Après deux Bioshock salués par la critique, centrés sur la ville de Rapture, Irrational Games nous emmène aujourd’hui vers la cité de Columbia. Conscients de la pression et de l’attente suscitée, les développeurs ont pris leur temps. Quatre ans se sont écoulés depuis le retour à Rapture, quatre ans qui ont permis à l’équipe de repenser la formule Bioshock, celle-là même qui leur a tant réussi. Risqué, très risqué…
Mais pas impossible, et ils nous le prouvent en nous mettant dans la peau de Booker DeWitt, un détective pas très clean, expert des basses besognes, endetté jusqu’au cou en cette année 1902. Sa dernière mission en date est censée remettre tous ses compteurs à zéro : retrouver une jeune fille, Elizabeth, et la ramener à New York. Elle se trouve actuellement à Colombia, une ville hébergée dans les nuages, dont les liens avec les Etats-Unis ont cessé depuis pas mal d’années. Le premier contact avec le jeu se veut aussi abrupt que dans les épisodes précédents : un homme, seul, un phare, puis une arrivée spectaculaire dans la ville. Pas de doute : la licence Bioshock est bel et bien de retour, et avec elle, un univers à la fois original et crédible. De nouveau, la ville vole la vedette au héros – avant un final mémorable et totalement assourdissant. Idéale, elle en donne l’impression. Rapture était sombre, ravagée et inhabitée ; Columbia est lumineuse, animée et resplendissante.
L’arrivée de DeWitt se fait au travers de rues emplies de passants, vaquant à leurs occupations ou participant à la grande foire du moment. Impressionnante, elle l’est assurément au travers de ses immeubles sur coussins d’air et ses quartiers reliés par des rails aériens. L’utopie par excellence. Le colossal travail de construction d’Irrational Games se ressent à chaque coin de rue, dans chaque monument, de son histoire à son architecture. Tout est consultable, voire imaginable à l’aide des innombrables publicités et pancartes qui ornent les murs de la cité. Toujours dans un souci d’immersion, de petits films en noir et blanc, fort bien réalisés, parsèment les lieux, nous apportant les pierres à l’édifice Columbia, dans le but de mieux cerner les chemins de pensée des habitants. Toutefois, plus nous avançons dans les méandres de la cité et plus nous discernons ses travers, et notamment son intolérance raciale – aussi bien envers les populations de couleur que les habitants de la terre ferme – et sa religion dominée, et prophétisée, par Comstock, l’omnipotence incarnée. Dieu aux yeux de ses concitoyens. La religion fait corps avec la cité comme en témoignent les nombreuses statues à l’effigie de ses dirigeants et ses slogans endoctrinant.
Bioshock ne juge pas l’intégralité des actions : à chaque événement majeur, la main est donnée au joueur pour le laisser choisir, certains choix impactant des éléments scénaristiques futurs. C’est pourquoi les développeurs se sont permis de dépeindre des dessous noirs, au propre comme au figuré puisque les populations des bas-fonds sont essentiellement de cette couleur de peau. Recluses, elles fomentent une révolution au travers de son mouvement, la Vox Populi, dirigée par la radicale Daisy Fitzroy. Certains quartiers dépareillent alors totalement avec la prospérité apparente de Columbia, pauvres, affamés et hors de toute loi. La nourriture y est devenue la denrée la plus rare, bien plus que l’argent lui-même. Les lambeaux succèdent aux robes et costumes mondains. L’avancée dans Columbia réserve bien des surprises à Hooker DeWitt, permettant ainsi au joueur de se forger une idée précise du système – incroyable – mis en place. Incroyable, certes, mais jamais innocemment imaginé, puisque faisant autant que faire se peut référence à des pans de l’histoire américaine, plus ou moins dilués. Mais les gars d’Irrational Games se permettent de mélanger sans cesse les cartes au fil du temps au point de nous enfumer, voire nous perdre. Très fort. Les révélations arrivant progressivement, difficile de lâcher la manette avant le générique de fin, survenant après une quinzaine d’heures de jeu pour qui prendrait le temps de visiter. En effet, Columbia a beau se présenter de façon linéaire, sa découverte amène à lire les différentes affiches disséminées de-ci de-là, écouter la moindre bobine, explorer chaque boutique et fouiller chaque recoin de la ville. Bioshock Infinite est un jeu fait pour les curieux, et seuls eux seront à même de comprendre réellement ce qui se trame, et surtout ce qui s’y est déroulé. Non sans quelques heurts, bien évidemment, c’est alors que l’importance du gameplay intervient.
Les habitués de Bioshock navigueront en terrain connu. Irrational Games n’a absolument pas révolutionné sa formule, faisant en sorte de ne pas perdre les fans de la première heure et restant suffisamment classique pour plaire aux nouveaux venus. DeWitt s’équipe au fur et à mesure d’armes à feu toutes plus puissantes les unes que les autres. Du simple pistolet au lance-roquettes, en passant par le pompe, la carabine, le fusil à rafales et autres lance-grenades. Tout ce petit monde pourra être amélioré, à quatre reprises chacun, au travers de distributeurs, rendant certaines armes d’une efficacité redoutable. Le dilemme tient quant à lui sur les, seulement, deux armes à équiper. C’était pour la main droite. La main gauche est quant à elle dédiée aux toniques, l’équivalent des plasmides des deux premiers volets. Ces boissons permettent à leurs utilisateurs de « repousser leurs limites ». Ces pouvoirs sont aussi divers que balayer tous les ennemis, les électrifier ou les brûler. Les corrompre temporairement fait également partie du programme, entrainant l’envie irrépressible aux possédés de se suicider une fois leurs esprits revenus, tandis que les tourelles se retourneront contre vous ensuite. Avec un peu d’ingéniosité, il est possible de tuer nos adversaires de manière originale en utilisant à bon escient l’environnement, telle une flaque d’eau ou de pétrole étonnamment placée aux pieds des ennemis. Mieux, il est possible de combiner le pouvoir de plusieurs toniques. Ses pouvoirs se rechargent au travers de cristaux, présents à même les décors ou sur les cadavres de nos victimes. Plus encore que les précédents, l’action est omniprésente. C’est ainsi qu’une jauge de bouclier fait son apparition, aux côtés de celle de vie et de tonique, se rechargeant après un certain temps sans encaisser de coups. Toutes les trois peuvent être améliorées grâce à des infusions, plutôt bien planquées mais fortement recommandées pour avancer sans encombre. Le niveau de difficulté n’étant pas spécialement relevé – si ce n’est dans la dernière heure – il est conseillé de débuter d’entrée de jeu par le mode Difficile, le 1999, redoutable et véritable challenge du titre, n’étant sélectionnable qu’une fois l’histoire parcourue au moins une fois.