[dropcaps style=’3′]Il aura fallu que le compatriote Tzameti s’en aille vers d’autres horizons pour que je me décide enfin à sortir du placard : moi aussi, je suis une très grande friande de films d’horreur et autres productions cradingues très portées sur l’hémoglobine, le gore et tout ce que la décadence humaine peut amener de pire. La place est maintenant laissée vacante, une place qui se doit d’être prise, histoire d’amener à Archaic un soupçon de Mad Movies dans ses colonnes. Car le cinéma, c’est un peu comme le jeu vidéo, on retrouve le Triple A et l’indépendant. Et dans le pan cinématographique, on peut clairement dire que j’ai complètement oublié ce que peut être un blockbuster hollywoodien tant je me gave de productions indépendantes lorgnant aussi bien dans le cinéma de genre que dans la série B et autres nanardises. Ce qui est encore plus vrai dans l’univers de l’horreur : les films à gros budget sont bien trop fadasses et manquent à mon sens cruellement de substance pour y voir un quelconque intérêt. A quelques exceptions près bien entendu. Alors qu’à côté, les petits/moyens budgets peuvent parfois nous offrir des productions dotées d’une personnalité et âme véritables. La technique n’est peut-être pas irréprochable, mais compensée par une certaine inventivité que les gros films semblent avoir oublié en cours de route. De la même manière, ce n’est donc pas forcément dans des gros festivals qu’on remplira forcément son panier de petites perles à ras la gueule. We Are What We Are, le dernier film de Jim Mickle (à qui l’on doit déjà notamment le très bon et vampirique Stake Land), fait partie de ces pépites qui confirment la règle. D’abord présenté du côté des bobos normands de Deauville et des bling-blings m’as-tu-vu de Cannes, il avait su surprendre, notamment en mal, ce public de culs-bénis élitistes. Pour le retrouver ensuite au sein de l’Étrange Festival parisien, et tout récemment encore Gérardmer, des lieux autrement plus accueillants pour un tel candidat, ce dernier ayant même été très bien reçu. Mais en même temps, on ne s’étonnera nullement que des avisés du cinéma de genre soient bien plus réceptifs à des histoires de cannibalisme à l’inverse de tous ces intellos auto-proclamés qui ne sont pour ainsi dire pas habitués à être confrontés à des thématiques amorales.[/dropcaps]
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[tab]Les Parker sont connus dans le village pour leur grande discrétion. Derrière les portes closes de leur maison, le patriarche, Franck, dirige sa famille avec rigueur et fermeté. Après le décès brutal de leur mère, Iris et Rose, les deux adolescentes Parker, vont devoir s’occuper de leur jeune frère Rory. Elles se retrouvent avec de nouvelles responsabilités et n’ont d’autre choix que de s’y soumettre, sous l’autorité écrasante de leur père, déterminé à perpétuer une coutume ancestrale à tout prix.
Une tempête torrentielle s’abat sur la région, les fleuves débordent. Les autorités locales commencent à découvrir des indices qui les rapprochent du terrible secret des Parker…[/tab]
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Car oui, si le synopsis n’en parle pas, We Are What We Are est tourné autour de la thématique du cannibalisme. De la même manière que le Ne Nous Jugez Pas du mexicain Jorge Michel Grau présenté en 2011 à Cannes et à Gérardmer. Ce qui tombe bien car, justement, ce nouveau film de Mickle est en réalité une relecture de ce film mexicain. Relecture et non remake comme on serait tenté de dire à la va-vite. En même temps, le réalisateur aurait tort de se gêner, le film de Grau, qui n’était pas mauvais en soi mais très perfectible quand même, s’empâtait tellement dans son scénario qu’il en laissait de belles brèches béantes qu’il n’est pas trop difficile d’en faire une lecture alternative. C’est justement ce que fait cette version américaine de 2013.
Non content de modifier la vision du film original en changeant la figure perdue en introduction du film – il s’agit là de la mère et non du père comme c’était le cas dans la version mexicaine – Jim Mickle a surtout mis un point d’honneur à s’attarder sur l’aspect psychologique de la famille Parker. We Are What We Are se rapproche par conséquent bien plus d’un drame psychologique que d’un véritable film d’horreur. On est en effet bien loin d’un Hannibal qui y allait sans détour en mettant les têtes dans l’assiette ouvertement. Ici, l’horreur est bien plus feutrée, tenant davantage du suggestif que du gore véritable. Ce qui ne le rend pas moins dérangeant pour autant.
Malgré tout, si vous appréhendez le film comme un véritable film d’épouvante, il y a fort à parier que vous passerez totalement à côté du sujet. Et que vous sortirez déçus de la projection de la même manière que vous n’apprécierez pas l’œuvre à sa juste valeur. Car même s’il est décrit comme tel, il faut reconnaître que les éléments horrifiques restent assez limités. We Are What We Are préfère mâtiner les genres : le drame psychologique, l’horreur mais également le film d’auteur. Dernier point qu’il faut bien s’enfoncer dans le crâne soit dit en passant car on ne peut pas dire que le long-métrage se plaît à passer très vite. Au contraire, le rythme reste plutôt lent, notamment dans la première partie qui pose en douceur et graduellement l’ambiance. Première partie qui ne rentre pas vraiment dans le vif du sujet car il n’est nullement question de cannibalisme. Il s’agit simplement de montrer la vie de cette famille américaine qui doit assumer le deuil de sa figure maternelle, tout en faisant fît de celle-ci. Malgré le drame, la vie continue et il n’est nullement question de changer ses habitudes. Les traditions familiales se doivent d’être perpétuées à tout prix, peu importe le contexte. Telle est la vision de ce père rustre, visiblement convaincu qu’il s’agirait presque là d’une question de vie ou de mort si les petites cérémonies familiales n’avaient pas lieu. Familiales mais surtout religieuses, Dieu étant au centre de toutes ses réflexions, ce jour de l’Agneau qui se prépare se trouvant précédé d’un jeûne tout ce qu’il y a de plus religieux. Rituel destiné à laver ses péchés. Car Dieu est partout. Un Dieu partiellement personnel et païen d’ailleurs car on remarque bien vite par l’intermédiaire de l’enterrement de la mère que la famille Parker obéit à ses propres rites mais surtout sa propre Bible. Pas forcément un Dieu si différent que celui de la religion en place, surtout la conséquence d’une interprétation personnelle de la Bible développée, et très certainement affinée, au travers des générations familiales.
C’est ainsi, la famille Parker est plutôt marginale, une communauté restreinte, si ce n’est carrément une secte, et c’est ce que le spectateur perçoit tout le long du film : un sentiment de solitude et d’enfermement. Ce sentiment-là qui anime les enfants Parker, en particulier les deux filles aînées, contraintes de subir malgré elles toutes les conséquences de la mort de leur mère : prendre sa place, s’occuper et initier leur petit frère et préparer comme il se doit à ce fameux jour de l’Agneau. Passage de relais soudain, et surtout de trop grosses responsabilités pour de telles jouvencelles. Situation largement empirée par la pression de leur père, bien décidé à ne faire aucune concession sur sa vision de « l’ordre des choses ». Et ces jeunes filles se retrouvent piégées. Elles ont beau ne pas avoir de boulets et de chaînes, elles sont tellement tiraillées par l’amour paternel et fraternel et la peur de cette éducation si stricte et traditionaliste qu’elles se retrouvent à faire tout ce que leur père peut bien vouloir d’elles. Des actes les plus sains et logiques – materner leur petit frère n’a rien de mauvais en soi sur le principe – aux plus ignobles. Leur père, par son fanatisme exacerbé, leur a posé des barreaux psychologiques assez conséquents pour qu’elles se compatissent dans leur état de captivité, lui obéissent malgré les appréhensions et prises de conscience, non sans souffrance et culpabilité les amenant à s’isoler du reste du monde, la société se limitant à cette petite communauté familiale restreinte.
C’est là que se situe tout l’enjeu du film : le parcours de Rose et Iris Parker, piégées par les traditions familiales en place depuis des générations et la dévotion illuminée de leur éducation, durant ces quelques jours avoisinant le jour de l’Agneau. We Are What We Are est une immense réflexion sur le traditionalisme familial encore très présent aux États-Unis, le despotisme découlant de croyances religieuses exaltées, les conséquences de l’absence totale de libre-arbitre. L’étendard cannibale n’est qu’un simple argument aussi percutant qu’un coup de poing pour appuyer de manière radicale le propos global du film. Mais en aucun cas, le cannibalisme n’est la thématique principale du film même si paradoxalement, c’est sur cette dernière que l’on aurait le plus tendance à se focaliser à la fin du film, sans que le recul n’ait eu moyen de faire son trou.
En même temps, le cannibalisme aurait été au centre du propos, jamais il n’aurait été occulté durant la première partie du film et les actes auraient été sans doute plus explicites. Hors, même cette scène de repas anthropophage reste soft : tout le monde sur son trente-et-un, plat accueilli de la façon la plus religieuse possible. On n’est pas si loin d’un Thanksgiving d’une famille modeste de l’Amérique profonde où la dinde aurait été remplacé par un ragoût de tissus humains ressemblant à s’y méprendre à du bœuf haché. Point de véritable carnage, les images s’arrêtent au bon moment pour laisser voguer l’imagination du spectateur. Et plus celle-ci sera fertile, plus dérangeant le film sera. Car l’atmosphère reste très lourde de bout en bout, tout autant qu’elle en est élégante à l’image de la dignité familiale et religieuse tant recherchée par le père Parker. Les couleurs ternes dues à des conditions climatiques désastreuses de tempête n’arrangent en rien la tension de même que l’implicite virant crescendo du suggestif à de véritables actions.