Enfermez-vous dans une pièce, seul(e), éteignez-les lumières, branchez le casque, et (re-)plongez avec nous dans le macabre univers des survival horror. De façon occasionnelle, Mizakido et Vidok vous proposent de revenir sur un titre, dans une ambiance décontractée, pleine d’anecdotes, de tranches de vie et d’infos en tout genre. Chaque jeu sera choisi par l’un des deux rédacteurs et chacun devra justifier de son choix, certains, vous le verrez, seront des plus exotiques… Attention, âmes sensibles s’abstenir, ça va gicler.
Mizakido : Voilà un titre qui avait fait parler de lui à l’époque, et qui continue encore aujourd’hui d’être régulièrement cité auprès des amateurs de survival horror, mais aussi dans différentes campagnes de financement… Le genèse du jeu fût également une traversée du temps et source de papiers et discussions diverses : Silicon Knights ne s’était pas vraiment manifesté depuis la sortie de Blood Omen : Legacy of Kain en 1996, et Eternal Darkness, annoncé en 1999 pour la Nintendo 64 à grand coup de partenariat avec Nintendo, ne sortira qu’en novembre 2002, sur GameCube donc, et ce quelques temps après le fabuleux remake de Resident Evil. Un long périple donc, qui s’est finalement bien terminé, ce qui ne sera pas spécialement le cas plus tard pour le studio… D’où une certaine volonté de notre part de revenir dessus… Et de l’achever ?
Vidok : Oui, il a beau être sorti en 2002, Eternal Darkness est un titre que je n’ai jamais terminé. Les affres du temps ont fait que la raison de cet abandon s’est quelque peu évaporée, peut-être allons-nous la retrouver en nous replongeant dans le titre de Silicon Knights. Ce dernier nous amène à rencontrer Alexandra Roivas. Une jeune fille, plutôt ordinaire sur le papier, qui se met en tête d’enquêter sur le meurtre de son grand-père, lui plutôt étrange, dans son manoir, à Rhode Island. Arrivée sur place, en parcourant la demeure, Alexandra découvre un livre étonnant, dans lequel il manque certes des pages mais qui raconte les déboires de Pius Augustus, centurion romain, en l’an 26. Le joueur, incarnant jusque là Alexandra, rentre dans la peau de Pius. Première originalité d’Eternal Darkness : l’histoire court sur près de deux mille ans. Le Livre des Ténèbres présente le récit d’une dizaine d’êtres au fil des siècles. Tous de nationalités, de confessions, de métiers différents, ils ont pourtant tous un point commun : le Livre et leur quête contre les Ténèbres Éternelles.
Mizakido : Enfin ! Exit les zombies et les histoires de virus, et place aux entités d’un autre monde qui semblent énormément liées ce fameux bouquin. Les inspirations du jeu sont diverses mais citer les écrits de Lovecraft comme principale source ne serait pas malvenu tant les références aux monstruosités divines comme Cthulhu, au Necronomicon et à cette quête du mal pour s’emparer de notre monde sont évidentes. Et puis il y a aussi la folie, pierre angulaire de l’angoisse du jeu, qui n’influence pas le gameplay à proprement parler mais induit le joueur en erreur : lors de nos déambulations, il faudra surveiller aussi bien notre barre de vie que celle liée à la santé psychique notre protagoniste du moment. Un faible niveau de celle-ci résultera par d’aléatoires hallucinations qui provoqueront étonnement et parfois – il faut bien l’avouer – un peu de panique : forte inclinaison de la caméra, murs dégoulinants de sang, violente décapitation du héros… Une riche idée, très originale, et vraiment bien exploitée, quoique rapidement prévisible après s’être un peu amusé avec les nerfs de chacun. Cette manière de briser le quatrième mur et d’insuffler un “nouveau” sentiment de peur est suffisamment rare pour ne pas ne pas être saluée avec les honneurs, en tout cas. Il n’y a encore aujourd’hui que les Metal Gear qui s’en amusent encore. Au final, pour le fond, qu’importe les inspirations dirons nous, car en plus du système de folie, tout ici et fortement bien orchestré au travers d’un scénario certes étalé dans la longueur, avec les creux que cela implique parfois, mais s’avère très intéressant au final, même si les révélations sont totalement prévisibles et que l’héroïne est finalement bien en retrait par rapport au reste des personnages, notamment parce qu’elle demeure le personnage “HUB-uesque” du titre : elle trouve une page du livre, débloque un nouveau chapitre et de quoi progresser dans les entrailles du manoir, découvre une nouvelle page… Et ainsi de suite. Mais si l’histoire s’avère originale, quant est-il du gameplay ?
Vidok : Plutôt sympa et original pour l’époque dans le sens où le jeu proposait une souplesse de jeu différente en fonction du personnage contrôlé. Le prêtre a beaucoup moins d’endurance que l’archéologue par exemple, lui, habitué à la quête de trésors en terrain hostile. Armés d’armes de poing ou à feu, nos protagonistes peuvent systématiquement viser différentes sections du corps de leurs adversaires. Bras droit, bras gauche, tronc et tête, généralement le point faible à privilégier. Le plaisir de jeu et le stress fluctuent selon l’époque. Les interactions avec le décor restent classiques mais nombreuses puisque les développeurs nous demandent régulièrement d’actionner des leviers, utiliser des objets de l’inventaire à divers endroits stratégiques. Il y a un petit côté Resident Evil/Alone in the Dark dans le besoin de trouver le bon objet pour ouvrir la bonne porte, clé à récupérer après avoir déverrouillé un artéfact via la magie et les runes. Car mine de rien, le jeu s’appuie énormément sur son innovant système de magie. A tel point qu’il n’a pas été reconduit dans beaucoup de jeux, aurais-je envie de dire de manière un peu mesquine. Pourtant, il est, sur le papier, plutôt bien pensé : trois magies. Rouge, Bleue, Verte, formant un triptyque de puissance : la magie bleue l’emporte sur la verte qui l’emporte elle-même sur la rouge qui, enfin, l’emporte sur la bleue. A chaque couleur, il est nécessaire d’associer des runes afin de former un sort, le tout dans un schéma à trois, cinq ou sept points. Pour se guérir, il faudra utiliser la magie rouge (rouge-sang) avec deux runes particulières, découvertes au fil de l’avancée, dans au moins un schéma à 3 points. Avec un cinq points, il faut ajouter aux trois runes initiales deux autres runes de pouvoir pour guérir encore davantage de points de vie. Inconvénient, plus le schéma dispose de points, plus le temps d’incantation est long, et donc plus le personnage est vulnérable aux attaques ennemies. Pas mal ! D’autant que la création des sorts est laissée au joueur. Malheureusement, dans les faits, tout ceci n’est pas toujours très clair.
Mizakido : En effet, le titre n’est pas toujours explicite quand il s’agit d’expliquer certains aspects du gameplay, notamment la magie. Si l’on reprend les schémas à cinq points par exemple, c’est par un pur hasard et non sans quelques expérimentations que l’on découvrira comment booster un pouvoir. A l’écran, pas un indice précis mis à part qu’il faut utiliser telle puissance à tel moment. Dans les menus ? Pas grand chose. De plus, ce n’est pas forcement logique d’ajouter deux fois la même rune de ‘Pouvoir’ pour augmenter les capacités d’un sort… Le joueur lambda pourrait croire qu’il en faudrait une autre, pas encore trouvée, ou je ne sais quoi… Pis encore, il arrive parfois que l’on découvre un nouveau pouvoir dans un chapitre qui ne sera qu’utilisé qu’une ou deux heures plus tard, une fois encore après avoir testé tout notre grimoire pour se dépatouiller d’une des parfois étranges énigmes que propose le jeu. Nous sommes dans un survival horror, donc quelques puzzles entre chaque effusion de sang fait logiquement partie du cahier des charges du genre. Si la plupart demandera juste de récupérer des objets pour les disposer à un endroit, certaines autres impliqueront l’utilisation de sorts, avec un certain degré de mystère et du non-sens, la faute à un manque d’explications textuelles précises, ou à l’absence de celles-ci. Difficile par exemple de déduire que pour supprimer un élément du décor qui ne donnait pas l’air de cacher quelque chose, il faille utiliser le sort d’invocation que l’on a découvert deux chapitres plus tôt. De même, l’application du code couleur change du tout au tout : soit il faut utiliser CETTE couleur, soit celle opposée… Soit la troisième ? Quelle confusion ! Et ce n’est malheureusement pas le seul problème d’Eternal Darkness…
Vidok : L’appel de sorts cassent pas mal un rythme qui lui-même a bien du mal à s’emballer. Tu as bien fait de rappeler que le jeu était prévu sur Nintendo 64 et que sa création s’est faite sur de nombreuses années, car cela se ressent énormément dans le jeu. Techniquement, le jeu est daté. Il peut être tout à fait honnête sur certains points et proposer des panoramas assez horribles rappelant son passé sur N64. L’immonde 2D utilisée pour représenter la ville souterraine en est la preuve la plus flagrante. Les ennemis, pour ainsi dire toujours les mêmes, sont en général bien laids et n’affichant que peu de polygones. Eternal Darkness n’est clairement pas l’étalon de la GameCube, sans non plus être trop vilain, hein, mais le fond n’est pas toujours mieux. La phase de préproduction et très probablement le rush de fin de développement, avec le portage du jeu ont semble-t-il obligé l’équipe à toujours proposer les mêmes environnements et un nombre d’allers-retours parfois anormalement élevés. Certains justifiés par le scénario, il est vrai – des lieux doivent revenir dans le récit – d’autres paraissant être là pour combler les derniers chapitres, plutôt redondants et ennuyeux. On y trouve qui plus est de grosses erreurs de game design, quand la phase la plus lourde du jeu – inutilement longue et mal expliquée – est réutilisée en fin de parcours pour gonfler une durée de vie qui n’en avait pas forcément besoin, nous sommes en droit de nous poser des questions. Il y a du monde pour recommander Eternal Darkness mais combien l’ont réellement terminé ? Combien sont allés jusqu’au bout pour voir les si innovantes mécaniques du début se répéter Inlassablement pendant la quinzaine d’heures de jeu ? Si la Terre entière, celle qui recommande Eternal Darkness était allée jusqu’au bout, elle ne lui rendrai pas un tel culte pour son idée de folie.
Mizakido : C’est in fine la principale originalité que l’on retiendra de ce titre, en plus, tout de même, de proposer un scénario intéressant et d’être plein bonne volonté. Eternal Darkness n’est en aucun cas un mauvais jeu, il faut se rendre à l’évidence qu’aujourd’hui son statut de jeu culte voir indémodable est particulièrement entaché par un rythme en dents de scie, parfois très redondant, avec des mécaniques de jeu relativement obscures, malgré, là encore, une ténacité à vouloir proposer quelque chose de nouveau. Et ça, ce n’est pas toujours le cas.
▲ Après plusieurs campagnes de financement infructueuses et une mise au placard, la suite spirituelle du jeu, nommée Shadow of the Eternals, semblait bel et bien de nouveau en développement en 2013… Mais plus de nouvelle depuis.
Oui, mais une fois…
Vidok
Oui, mais avec réserves.
Mizakido