On en entend de plus en plus parler. Maintenant, PlatinumGames n’est plus un inconnu aux yeux du grand public. Mis en lumière à l’E3 avec plusieurs projets dans ses cartons, le studio d’Osaka s’est déjà fait une sérieuse réputation. Spécialistes des jeux aux gameplays novateurs et décalés, les développeurs de PlatinumGames font maintenant partie des références du jeu vidéo japonais.
Pour ma part, je n’ai même pas attendu le premier jeu de PG pour en faire mon studio phare. Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand j’apprends qu’Atsushi Inaba, producteur d’Ōkami, fonde son propre studio (Seeds Inc.) en 2006, ça m’attire forcément. Il faut un peu de temps pour que l’attente se concrétise : un peu plus d’un an plus tard, Seeds Inc. fusionne avec Odd Ltd., studio dirigé par Tatsuya Minami, pour former PlatinumGames. Un nom plutôt classe, en somme. Jusque là, rien de tellement trépidant, certes. Mais quand on sait que Shinji Mikami et Hideki Kamiya, les deux créateurs de génie de Capcom, rejoignent le studio (avec l’excellent compositeur Masami Ueda dans leurs valises), il ne m’en faudra pas plus pour être fan. Le quator magique formé avec Inaba rappelle l’âge d’or de Capcom… car les CV de ces braves messieurs sont on ne peut plus impressionnants. Mikami-san, « le maitre », surtout connu pour avoir créé Resident Evil, puis révolutionné le genre du jeu d’action avec Resident Evil 4. Entre-temps, il aura aussi fait P.N. 03 sur Gamecube ; et sur Playstation 2, l’avant-gardiste God Hand, jeu autant décrié qu’adulé. Hideki Kamiya était l’élève de Mikami. L’a-t-il dépassé ? À mon sens oui. Dans le milieu, qui peut prétendre être meilleur que Kamiya aujourd’hui ? Resident Evil 2 (outre son travail ingénieux sur le premier opus), Devil May Cry, Viewtiful Joe et Ōkami constituaient alors son oeuvre. Mais les meilleurs développeurs ne font pas les meilleurs ventes : au sein de Clover Studio, Ōkami et God Hand sont de véritables flops commerciaux. Malgré un succès critique inestimable pour le premier cité, qui rivalise à l’époque avec le mastodonte The Legend of Zelda : Twilight Princess, les ventes du jeu ne sont absolument pas proportionnelles à sa qualité. En France par exemple, il se fera totalement écraser par le hit du moment, Final Fantasy XII (sorti juste un mois avant) : la semaine de sa sortie, Ōkami ne se vendra qu’à deux mille exemplaires dans l’hexagone. God Hand lui reçoit des critiques relativement mitigées, mais en plus, connait un échec commercial bien plus critique encore que celui d’Ōkami…
C’est ainsi que Capcom décide de fermer Clover, le studio au trèfle. Une décision qui semble logique en se fiant aux résultats financiers, mais qui évidemment, réduit aussi la créativité de la firme japonaise. Car cela engendre donc le départ de Kamiya, Mikami, mais aussi de la majorité des anciens de Clover qui migrent vers PlatinumGames. À partir de 2007, la qualité chez Capcom se fera bien plus discrète qu’auparavant. Pendant ce temps-là, les petits gars de Platinum bossent sur leurs premiers projets… et l’esprit Clover se fait toujours indéniablement sentir. MadWorld, c’est typiquement le genre de jeu qui ne fera pas de grosses ventes, mais qui restera aussi unique grâce à son ton totalement décalé par rapport aux autres jeux du genre. Tout comme c’était le même cas de figure pour God Hand ou Viewtiful Joe. MadWorld, sorti en 2009 – distribué par Sega – est ainsi donc le premier titre estampillé PlatinumGames, et histoire de bien enterrer ses résultats commerciaux par avance, le jeu sort exclusivement sur Wii… pas la machine de rêve des jeux d’action. Le jeu est globalement apprécié par la presse, mais comme prévu, les ventes ne suivent pas. Elles frisent le ridicule au Japon, et même si c’est mieux en occident, cela reste somme toute plus que modeste. Pourtant, avec son style atypique et son action frénétique, il avait de quoi plaire. L’association avec Sega continue, et la même année, l’addictif jeu de rôle spatial Infinite Space sort sur Nintendo DS.
Mais aussi sympathiques soient ces jeux, ce que tout le monde attend, ce sont surtout les premières créations signées par Mikami et Kamiya. C’est ce dernier qui ouvre le feu en premier en 2010, et de quelle manière, avec Bayonetta. Lui qui critiquait le fait que le jeu d’action stagnait depuis la sortie de Devil May Cry (au grand dam de Tomonobu Itagaki) redonna un gros coup de boost avec ce titre. Dynamique et décalé, il propose une nouvelle évolution du beat’em all et fait date au sein de la 7ème génération de consoles (surtout sur Xbox 360… la version Playstation 3 étant inférieure.) Si le démarrage est timide, sur la longue, Bayonetta obtient des résultats de vente plus qu’honorables et demeure à ce jour le meilleur succès de PlatinumGames. Celui qui lui permet, en outre, d’acquérir une véritable renommée dans le domaine. Plus tard dans l’année, Shinji Mikami nous livre lui Vanquish, un TPS proche des Gears of War en terme de gameplay mais en plus nerveux et speed. Le système de glissade rend le jeu jouissif, et grâce à des situations variées et des graphismes de très haute qualité, le jeu fait très bonne figure en dépit d’une durée de vie relativement faible – bien qu’il puisse compter sur une assez bonne re-jouabilité. À l’instar de Bayonetta, Vanquish confirme une chose : PlatinumGames est très sérieux quand il s’agit de gameplay.
Le studio nippon se fait un peu plus discret ensuite, après cette première salve de jeux globalement fortement appréciée par les joueurs. Il faudra attendre juillet 2012 pour la prochaine apparition de PG, avec Anarchy Reigns, une sorte de beat’em all multijoueurs. Prenant encore un parti pris original, le jeu de Masaki Yamanaka manque cependant de finition sur certains points et est considéré comme le jeu du studio le moins abouti jusqu’alors. Grâce à son côté fun, il trouvera tout de même un petit public. L’année suivante parait Metal Gear Rising : Revengeance. C’est la première fois que Platinum travaille sur une série qui n’est pas originale, et aussi leur premier jeu non-édité par Sega (mais par Konami, donc.) Cela montre que le studio a gagné en réputation et avec MGR, dérivé de la saga Metal Gear davantage porté sur l’action, Konami sait que les développeurs d’Osaka sont un choix idéal pour créer un gameplay prenant et explosif. 2013 marque également le retour de Kamiya, qui crée The Wonderful 101, une exclusivité WiiU. Atypique, celui-ci évoque un croisement entre Viewtiful Joe et Pikmin. Le résultat est très bon – malgré un aspect technique perfectible – et apporte un vent de fraicheur bienvenu à la ludothèque de la console de Nintendo… le jeu sort cependant pratiquement dans l’indifférence générale, en dépit de qualités convaincantes. Pour l’anecdote, c’est le premier jeu de Kamiya qui n’est pas accompagné par Masami Ueda à la bande-son : simplement parce que dans les mêmes temps, celui-ci travaillait sur Bayonetta 2, lui aussi une exclusivité WiiU – ce qui fut une vraie surprise – avec Yusuke Hashimoto. Ce second opus reprend les ingrédients du premier et améliore la formule avec brio : Bayo 2 est une véritable bombe, assurément l’un des meilleurs de 2014 et, sans conteste, une nouvelle référence absolue en son genre. On peut penser alors que PlatinumGames a atteint son paroxysme…
Mais évidemment, et heureusement pour nous autres joueurs, ces braves gens ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Si depuis le temps, Shinji Mikami a quitté l’équipe pour former son propre studio, Tango Gameworks (The Evil Within), ce n’est pas une raison pour baisser de régime. Leur prochain projet principal, Scalebound – exclusivité Xbox One – s’agit ni plus ni moins du jeu le plus ambitieux de l’histoire de ce studio. Dévoilé à l’E3 2014 sans que personne ne s’y attende, il a pu nous dévoiler ses premières phases de gameplay (pré-alpha) il y a quelques jours, lors de la Gamescom. Dirigé par Kamiya, les références à ses anciennes gloires sont déjà visibles, avec des phrases sorties tout droit de Devil May Cry, et même de The Wonderful 101. Scalebound ne sera pourtant pas un beat’em all dans le style de DMC ou Bayonetta : Hideki Kamiya se projette cette fois dans le A-RPG. Un genre qu’il avait déjà effleuré avec Ōkami, qui avait emmené le jeu d’aventure au firmament. On retrouve également Jean-Pierre Kellams (qui a déjà travaillé sur des titres tels que Monster Hunter Freedom, God Hand, Devil May Cry ou encore les deux Bayonetta). Vaste, le titre nous fera promener sur le monde imaginaire de Draconis, mais aussi la Terre. Toujours dans une ambiance à la limite de l’absurde, marque de fabrique ou presque des jeux de Kamiya, on devine que Scalebound ne laissera pas insensible. Il suffit de voir les débats qu’engendre déjà son héros, Drew, typique du jeune tête à claque… et finalement, c’est peut-être ça qui fera tout son charme. L’atout principal du jeu, outre un gameplay que l’on devine déjà dynamique et varié, est évidemment d’avoir le dernier dragon du monde avec soi (que l’on pourra personnaliser, eh oui.) Si certaines caractéristiques restent floues, cela s’annonce bien prometteur. Dernier détail et pas des moindres : il y aura un mode coop à 4 joueurs. Si le jeu sort en 2016, on a déjà pu voir certaines choses à améliorer sur la démonstration, notamment au niveau des animations, un peu datées. Nul doute que PG y travaillera comme il se doit. Après tout, pourquoi douter ? Hideki Kamiya est un génie, dont tous les jeux hormis The Wonderful 101 (un peu salement noté aussi…) dépassent la moyenne de 90%. Quand il dit qu’il s’agit du plus gros jeu de PlatinumGames, on veut bien le croire. Et on espère qu’il sera à la hauteur des attentes placées en lui.
Ça ne s’arrête pas là, puisque le studio travaille aussi sur trois autres projets. Ceux qui s’inquiètent sur le fait que cela pourrait altérer la qualité de tous ces jeux peuvent tenter de se rassurer : MadWorld, Bayonetta, Vanquish et Infinite Space ont été développés plus ou moins en même temps également. Et l’effectif s’est agrandi depuis, même s’il conserve son esprit familial : toutes les équipes travaillent au même étage, et se croisent donc facilement à chaque pause ou pendant le repas. Comme le racontait Kamiya, les uns et les autres échangent donc facilement sur leurs projets respectifs, piochent parfois des conseils vers autrui, etc… Une belle osmose, en somme. En fin d’année, nous pourrons donc mettre la main sur deux nouveaux titres de Platinum. Le premier est Transformers : Devastation, commandé par Activision, qui avait déjà mis PG sur La Légende de Korra (passé inaperçu.) Le studio continue donc de travailler sur des adaptations. Abordant des graphismes en cel-shading plutôt charmants, le jeu semble avoir plu à ceux l’ayant vu de plus près. Avec la maitrise de Kenji Saito (Metal Gear Rising : Revengeance) dans le genre action, cela pourrait bien donner une agréable surprise. Autre surprise, présentée à la conférence E3 de Square-Enix : Nier New Project. Totalement inattendue, surtout l’association avec PlatinumGames, la « suite » de NieR n’a pas encore de date de sortie et n’est qu’au début de son développement. Mais avec Yokô Taro évidemment aux commandes, Keiichi Okabe à la musique et une équipe de PG expérimentée, cela pourrait bien donner un cocktail gagnant. Si seuls ceux ayant joué au premier NieR peuvent déjà avoir le coeur conquis, tellement il s’agit d’une expérience unique en tous points et que les personnes n’y ayant pas touché ne peuvent guère comprendre, ils savent aussi que le jeu contenait des lacunes qui pourraient être corrigées par la maitrise de PlatinumGames, notamment au niveau du gameplay.
Le dernier projet et pas des moindres, prévu pour cette fin d’année, n’est autre que Starfox Zero. Entre Scalebound pour la Xbox One, NieR pour la Playstation 4 et celui-ci pour la WiiU, les développeurs se font donc la main sur tous les hardwares. Et ils comptent bien utiliser au maximum l’originalité et les spécificités du WiiU Gamepad pour proposer un shoot’em up de qualité. S’il est rare de voir Nintendo déléguer l’une de ses grosses licences à un studio-tiers (bien que l’on se souvienne tout de même de Metroid : Other M, co-créé avec la Team Ninja), ce choix s’explique déjà par la qualité des équipes de PG et les bonnes relations entretenues avec Nintendo, ainsi que par le rôle joué par Hideki Kamiya, grand fan de la série Starfox, qui a persuadé Big N de confier le développement de ce nouveau volet à son studio. Si les avis sur les démos jouables du jeu sont inégaux (et les graphismes totalement dépassés), nous pouvons continuer d’espérer que la qualité du produit final soit au rendez-vous. Nintendo et PlatinumGames, pour inventer un gameplay génial, on peut difficilement rêver mieux, non ?
Vous l’aurez compris : depuis sa création en 2007, PlatinumGames a réussi à se forger une identité marquée dans l’industrie du jeu vidéo. Un studio japonais atypique, auquel les gros éditeurs font de plus en plus souvent appel, et ce, même pour des séries de grande envergure. Certains se mettent même à imaginer Hideo Kojima, mis à la porte par Konami, rejoindre le studio d’Osaka (qu’il avait visité l’an passé)… ne fantasmons pas trop non plus, mais il faut avouer que ça sera plutôt dantesque. PlatinumGames, finalement, c’est un peu un Clover Studio indépendant. Le même esprit, détaché des obligations de Capcom… Combien de jeux se rapprochent d’un God Hand, d’un Ōkami, d’un Viewtiful Joe ? Et combien de jeux se rapprochent d’un MadWorld, d’un Bayonetta, d’un The Wonderful 101 ? Les listes risquent d’être très restreintes. Et c’est bien là ce qui fait l’ADN même des jeux Clover et des jeux Platinum : ils sont uniques. Alors, pour le bien du jeu vidéo (et plus précisément du jeu vidéo japonais, en global manque d’inspiration depuis des années), espérons que PlatinumGames vive encore longtemps et continue à créer ce genre de jeux.