Avec 50’000 exemplaires de Caligula PSVita distribués au Japon, Furyu a très vite compris qu’il tenait là une licence porteuse. Quoi de plus normal donc que de l’étendre en anime, puis sur PlayStation 4 pour profiter de l’immense parc installé de la console de salon. Soucieux de son public, l’éditeur n’allait toutefois pas faire le choix d’un bête portage.
Caligula Overdose commence un rien abruptement : le héros se retrouve dans un lycée inconnu, au beau milieu d’une cérémonie de début d’année où il ne connaît personne. Il cherche alors à fuir et tombe nez à nez avec un élève au visage complètement difforme. Il va vite comprendre qu’il n’est plus dans la réalité et fera connaissance avec un étrange club se désignant comme le kitakubu. Ces jeunes plus perspicaces que les autres se rendent bien compte qu’ils sont dans une illusion et cherchent le moyen de revenir dans le monde réel. kitaku signifie d’ailleurs littéralement “rentrer chez soi” : habile jeu de mot puisque kitakubu désigne généralement les écoliers n’appartenant à aucun club, et donc rentrant directement chez eux après les cours.
Toujours est-il que les membres de ce groupe développent le Catharsis Effect, métamorphose qui va les rendre aussi difformes que les créatures qui les pourchassent. Le Catharsis Effect est symbolique du design général de Caligula, volontairement sombre car axé sur les teintes de gris pour coller intelligemment aux thèmes principaux que sont l’illusion et la mort. Cet état de transe va leur donner la force d’accomplir leur objectif : tuer μ (prononcez “Mew”, aucun lien de parenté), la créatrice de ce monde fictif appelé Moebius.
Mais avant d’atteindre μ, il faudra vaincre les inquiétants gakushi qui approuvent ce monde et contribuent à le maintenir en l’état en composant de la musique. En effet, μ est une chanteuse virtuelle qui trompe les élèves par son chant. Chaque méchant, chaque donjon aura donc son propre morceau. Et pas n’importe lequel puisque, parallèle à Hatsune Miku oblige, toute la tracklist de Caligula Overdose est composée de morceaux Vocaloid. Furyu a conclu un partenariat avec des artistes Vocaloid renommés : CosMo暴走P et 蝶々P qui ont déjà officié sur Project Diva F sont à l’affiche de ce RPG. On retrouve d’ailleurs dans Distorted Hapiness de CosMo暴走P des accents présents dans son Sadistic Music Factory de Project Diva F. Cela donne au jeu publié par Atlus une bande originale puissante qui dynamise les combats, notamment Sin ou Cosmo Dancer. Plus fort encore, les paroles sont même en adéquation avec la personnalité du boss. Caligula Overdose comprend quatre nouveaux personnages jouables, et trois morceaux originaux qui n’ont rien à envier aux meilleures pistes de l’original. Par ailleurs, certaines musiques existantes ont été remixées pour leur donner plus de pêche.
Mais la plus grande qualité de Caligula Overdose est son histoire extrêmement bien écrite. Les thèmes abordés sont particulièrement sérieux (maladie, filiation, solitude, vie professionnelle, deuil, rejet de soi…), mais c’est le rapport à ces thématiques qui est particulièrement bon, car le scénario interpelle directement le joueur à travers la confrontation d’idées entre les héros et les gakushi. Ces échanges posent de vraies questions : les mondes virtuels, les réseaux sociaux nous éloignent-ils trop de la réalité? Cette réalité est-elle forcément meilleure que le virtuel? Caligula Overdose développe comme ça beaucoup d’enjeux à partir des sujets sus-cités d’une manière passionnante de bout en bout. Malgré la réalisation modeste, la mise en scène est suffisamment ingénieuse (excellent travail de la caméra par exemple) pour se plonger dans la narration. La direction artistique un peu sordide, là encore, donne du poids aux événements et une personnalité singulière au jeu dans sa globalité. Impossible de ne pas s’en souvenir quand on l’a fini.
C’est là que l’on situe le gros plus de Caligula Overdose : dans cette version PS4, vous allez pouvoir prendre le parti des méchants ! Le héros (ou l’héroïne car il y a maintenant le choix) va recevoir une offre de Son, la meneuse des gakushi. Si leurs idéaux lui plaisent, il peux faire le choix de défendre Moebius et trahir les siens. La trame scénaristique des gakushi est aussi longue et complète que celle du kitakubu. Le jeu a ainsi doublé de volume par rapport à l’original.
Cette partie inverse audacieusement les rôles entre bien et mal, si bien que les vrais criminels ne sont pas forcément ceux qu’on l’on croit au début. De nombreuses surprises sont à attendre dans ce scénario parallèle, décidément bien maîtrisé. Mais le fait le plus impressionnant est que… vous n’avez pas besoin de choisir ! En tous cas pas tout de suite : la progression de Caligula Overdose vous laisse jouer les deux camps de manière alternée, trouvaille judicieuse pour que le joueur puisse profiter de l’ensemble des nouveaux personnages. Chapeau !
Persona-like oblige, chaque allié aura sa propre histoire divisée en chapitres progressifs tout au long du jeu. Cette partie annexe est au moins aussi bonne que l’histoire principale car les révélations n’en sont pas moins poignantes et le suspense toujours fort. Et comme dans l’ensemble de la narration, la qualité d’écriture n’empêche pas Caligula de jouer la carte de l’humour souvent et à bon escient : certaines vannes que se balancent les personnages entre eux sont bien senties.
Qui dit nouveaux personnages dit plus d’événements secondaires liés aux personnages. Caligula Overdose apporte son lot d’anectodes racontant l’histoire des nouveaux arrivants. On y trouve moult scènes aussi amusantes qu’originales comme un test scolaire (ultra-difficile dans la version japonaise). Dans le même registre, l’humour des tirades d’avant et après les combats est plus que jamais un délice. Furyu n’en oublie pas pour autant le fond, car plusieurs de ces destinées individuelles sont tragiques et participent bien à la morale générale de l’histoire.
Là où le jeu de Furyu impressionne clairement moins, c’est dans sa progression. Les donjons s’enchaînent de manière linéaire, sans à-côtés et il n’existe pas de réelle quête secondaire pour se changer les idées. Ce manque, en soi, ne serait pas très grave si la structure du jeu ou des donjons était bonne ou même intéressante, mais soyons francs ici, ce n’est pas le cas. Caligula Overdose est un jeu-couloir comme on n’en fait (heureusement) plus : le level design est pénible avec des donjons qui manquent cruellement de clarté, et qui ne sont finalement qu’une longue succession de combats jusqu’au boss. On est souvent perdu sur ces cartes et la patience vient à manquer dans ces zones souvent quadrillées d’ennemis. Le dernier environnement est symptomatique de ce fait, avec ses secteurs tous identiques, sans vrai point de repère. On aime chercher dans un RPG, mais l’avancée dans Caligula Overdose est au final plus laborieuse que motivante.
Dans cette version PS4, le level design n’a pas été retravaillé et reste pénible malgré davantage de points de sauvegarde intermédiaires. On est mieux logés au niveau de l’animation, avec l’Unreal Engine 4 qui assure un framerate beaucoup plus solide. Les combats sont également nettement plus jolis. L’aspect graphique général laissera néanmoins dubitatif : la modélisation n’a pas du tout été refaite et on se retrouve une fois encore avec des personnages au look parfois sommaire, sans synchro labiale ou même expression faciale. D’un jeu PSVita techniquement moyen, on passe à une version PS4 graphiquement pas terrible. Pas sûr qu’on aie complètement gagné au change… Au moins, cette version-là n’a jamais planté.
Avec une progression aussi chaotique, Caligula avait plutôt intérêt à proposer des combats intéressants. Et là c’est le cas! Furyu propose un tour par tour par ATB qui permet de construire des enchaînements de manière tout à fait innovante. Première particularité, le système vous permet de voir l’avenir : au moment de choisir votre prochaine action, l’écran de combat vous révèle l’intention de l’ennemi pour que vous puissiez adapter votre stratégie. En fonction du type d’attaque, il faudra utiliser un contre particulier ou se mettre en position défensive. Une fois la contre-attaque amorcée, vous pouvez construire des combos complexes soit en projetant l’ennemi en l’air et en utilisant des techniques ayant un bonus de combo aérien, soit en le faisant tomber et en utilisant des techniques ayant un bonus d’attaque au sol. En contrepartie, le timing pour raccorder ces attaques est très minutieux, et il faut donc ajuster le début du tour du personnage sur la frise ATB. Heureusement, l’action s’arrête à ce moment-là.
Pour les combats, Caligula Overdose apporte quelques judicieuses initiatives. Par exemple, il efface le décor proche quand le combat commence (on est dans un monde virtuel, tout est permis), évitant ainsi les problèmes de caméra près des murs. Mieux encore, le jeu calcule automatiquement le timing nécessaire pour enchaîner les attaques, ce qui rend le système plus confortable. Les nouveaux personnages ont une excellente palette de coups. Ayana, par exemple, est spécialisée dans l’interruption du tour de l’adversaire, et enchaîne avec de puissantes décharges électriques à terre. Par contre, et c’est très dommage, cette version PS4 perd à la fois le mode photo et les petites appréciations données à la qualité des combos.
Dernière chose et pas des moindres, tous les ennemis ont un niveau de risque qui va croissant et qui les rend plus dangereux. Mais c’est aussi et surtout un levier de gameplay, puisque certaines de vos capacités profitent du niveau de risque de l’adversaire : Mifue par exemple ne pourra utiliser ses techniques les plus efficaces qui sur des ennemis de risque 2, 3 ou plus. Certaines super-attaques ne s’exécutent qu’à niveau de risque 5, le plus élevé. Caligula Overdose introduit une barre de spécial qui se remplit avec le temps. Si la gestion du risque reste impérative, il n’est plus forcément nécessaire de le prendre en compte pour lancer des attaques puissantes.