Difficile était le challenge de faire mieux que le premier épisode. Après un Xenosaga conclu dans la hâte après seulement 3 épisodes au lieu des 6 initialement prévus, Monolith Software – à ne pas confondre avec Monolith Productions, les papas de Fear et Condemned – avait à la fois surpris et rassuré les fans de RPG avec Xenoblade, Xenoblade Chronicles en occident. Le jeu avait été à tel point plébiscité en Europe que Nintendo avait consenti à sortir un artbook spécial, une édition collector et une manette spéciale. Rien que ça. Aux Etats-Unis, alors qu’aucun plan ne semble être dans les cartons – officiellement – quant à une éventuelle localisation, des pétitions fleurissent un peu partout demandant à Nintendo de sortir le RPG au pays de l’oncle Sam. Un plébiscite justifié par une aventure inoubliable. Après la parenthèse X – non sans qualité elle aussi – Monolith et Tetsuya Takahashi l’emblématique président du studio reviennent à un épisode numéroté, sur la Nintendo Switch. Mission : conquérir le Japon tout autant que l’occident l’avait été pour le premier volet.
Le grand Rex
Pour cela, les équipes de Monolith nous proposent de diriger le jeune Rex, 14 ans, récupérateur, sur le dos du titan Azurda communément appelé Papy tout au long de l’aventure. Récupérateur ? Titan ? Le monde de Xenoblade Chronicles 2 se veut radicalement différent de celui de son prédécesseur, à ceci près que les être vivants résident eux-aussi sur le corps de titans, des êtres gigantesques dont certains suffisamment grands pour accueillir des villes entières. Sous les titans, se tient la mer de nuages recelant moult trésors mais où la vie n’existe plus. Les récupérateurs, tels des chercheurs de trésors, sont sans cesse à la recherche de matériaux sous la mer de nuages pour ensuite les revendre à bon prix en ville. Malgré son jeune âge, Rex est respecté par la profession, à tel point qu’il est choisi par Bana, le dirigeant de la guilde d’Argentum, pour guider une troupe de guerriers au sein d’un vaisseau abandonné. La cargaison de ce dernier est loin d’être anodine puisqu’il y repose l’aegis, Pyra, la plus puissante des lames. Dans le monde de Xenoblade 2, les lames sont des êtres immortels, nés de cristaux, qui doivent développer un lien avec un humain, leur pilote. Lorsque la lame et/ou le pilote décède(nt), la lame retourne dans son cristal en y perdant l’intégralité de sa mémoire, jusqu’à ce qu’un nouveau pilote ne la réveille. Rex devient donc pilote de lame et tout particulièrement de l’aegis, ce qui, bien évidemment, va attirer toutes les convoitises. Leur objectif : atteindre Elysium, ce lieu légendaire situé à la cime de l’arbre-monde, lui-même au beau milieu de la planète et montant si loin dans le ciel que nul n’a jamais réussi à l’escalader, sauf une personne, celle qui en est revenue avec les Aegis (les deux ?). Atteindre Elysium permettrait de trouver une nouvelle Terre pour héberger les humains.
Le choc des titans
Véritable appel au voyage, Xenoblade 2 multiplie rapidement les destinations et les titans à visiter. Chaque titan, et donc continent, dispose de sa propre ambiance et bestiaire, sa propre histoire et ses propres quêtes, ses propres PNJ et croyances. Comme nous sommes désormais habitués, les lieux sont gigantesques et il est bel et bien possible d’aller n’importe où. Le jeu en joue, en nous proposant régulièrement des plans en contre-plongée, étourdissants de grandeur, en sachant qu’il est possible de déplacer la caméra à loisir pour constater la beauté de la faune. Et ne parlons même pas de la prise de conscience du décor en mouvement, puisqu’il s’agit d’un titan se déplaçant sans cesse dans la mer de nuages : magique. Monolith a bien compris l’enjeu d’offrir de nouveau un voyage aux joueurs. Sans aucun temps de chargement, il est possible de passer de plaines à l’intérieur d’un village et de l’auberge, avant de repartir sillonner les couloirs d’une grotte. Encore une fois, le studio first party de Nintendo démontre tout le potentiel de la console. Et si des textures ne sont pas forcément heureuses, il faut les remettre dans le contexte : Xenoblade Chronicles 2 sort dans la première année d’exploitation de la console, et fournit déjà un (quasi-) open world riche en détails et créatures. En mode portable, la résolution chute drastiquement mais Xenoblade Chronicles 2 n’en oublie pas pour autant de conserver son titre de plus beau RPG portable à sa sortie du moins. L’animation, elle, reste globalement fluide et ne faiblit que lors de prises de vue ambitieuses ou surpopulation dans certaines zones.
Attrape-moi si tu peux
Si la progression se veut linéaire, il est possible à tout moment, comme par le passé, d’interrompre l’avancée et flâner à la recherche de nouveaux lieux ou pour compléter des quêtes annexes. Particulièrement nombreuses, elles permettent régulièrement d’en apprendre un peu plus sur les coutumes locales, à défaut d’être intéressantes. Le syndrome du “Récolte-moi 4 graines et 3 pissenlits” est ici utilisée à outrance, au risque de ne pas passionner toutes les foules. Pour contrebalancer, les quêtes pour de nouvelles lames inédites ont le mérite de développer davantage de contexte. Monolith Software n’a pas conservé le confort apporté par Xenoblade X puisqu’il est de nouveau nécessaire de valider la quête auprès du PNJ l’ayant demandé, et non juste remplir l’objectif, ce qui entraîne irrémédiablement de nombreux allers-retours. Heureusement, un principe de téléportation existe permettant de nous déplacer instantanément dans un lieu déjà visité, chaque continent étant découpé en régions plus précises. Ne pas hésiter à en abuser.
Le cinquième élément
Les pérégrinations seront toutefois rythmées par les affrontements, évidemment. Monolith a repris un système de baston similaire à celui des précédents, donc orienté Action avec contrôle que d’un seul personnage, en l’occurrence Rex. Rex attaque automatiquement. Il est toutefois épaulé par sa lame (changeable d’une simple pression sur un bouton, parmi les 3 équipées). Chaque personnage est accompagné de sa lame, autant dire qu’il peut y avoir jusqu’à 6 personnages sur le champ de bataille. Attaquer augmente la jauge de remplissage des Arts, utilisables via un bouton lorsque leur jauge associée est complète. Utiliser un Art augmente la jauge de l’Art élémentaire. Afin de faire un maximum de mal aux adversaires, il est conseillé de faire des combos de lames, c’est-à-dire enchaîner les attaques spéciales dans un ordre donné afin de générer de super attaques beaucoup plus violentes. Si cela suffit, au début du jeu, à faire vaciller les plus forts des ennemis, très vite, il faudra également miser sur les orbes élémentaires. En effet, le combo de lame, si réussi, attache un orbe de l’élément de la super attaque à l’ennemi : toute nouvelle attaque de cet élément aura désormais moins d’impact. Il devient donc nécessaire d’alterner, pour placer d’autres orbes. Le but, ensuite, sera de casser les orbes via un enchaînement (déblocable dès lors que la jauge en haut à gauche de l’écran est complètement remplie, à force de prendre des coups et de taper). L’enchaînement est le moyen de diminuer de manière drastique une barre de vie : il est quasiment indispensable sur la fin de jeu pour les derniers boss.
Du sang et des lames
Le système vous paraît complexe ? Il l’est. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le jeu continue de proposer des fenêtres d’aide après plus d’une trentaine d’heures de jeu. Le système évolue sans cesse et ajoute régulièrement de nouvelles subtilités ou possibilités, d’autant que le héros dispose de l’aegis, une lame très particulière autour de laquelle tourne toute l’intrigue… Les lames sont au coeur du système et chaque héros peut en équiper jusqu’à 3. Elles possèdent également leur propre expérience (à répartir sur leurs 4 capacités, les 3 techniques et une compétence passive) et arbre de compétences, à déverrouiller sous certaines conditions indiquées sur chaque branche. Elles peuvent disposer d’un équipement et il s’agira de faire régulièrement évoluer leur arme pour ne pas se sentir impuissant en combat. Heureusement, assez rapidement, il sera possible d’envoyer des lames en mission, en parallèle de la phase de jeu, pour un délai en temps réel (par exemple, 50 minutes), dans des quêtes débouchant sur de l’expérience et des objets. Les lames se débloquent en utilisant des cristaux-coeurs, standards, rares ou légendaires (plus quelques autres très spécifiques). Selon le rang du cristal, la probabilité d’obtenir une lame rare augmente. Les lames existent en plusieurs types, génériques, mixés avec un type d’arme et un élément. La génération est aléatoire. Dans le cas des lames rares, elles sont uniques et disposent d’un design dédié. Chaque lame rare, hors histoire principale, a été réalisée par un designer ou designeuse réputé(e) japonais. C’est ainsi que nous devons Vess à Kia Asamiya (Manga Silent Mobius), Wulfric à Ryousuke Aiba (Final Fantasy XI, Chrono Cross), Vasara à Yashushi Suziki (Sin & Punishment) ou encore Uka à Nakaba Higurashi (Baten Kaïtos). Le désavantage de proposer autant de diversité est de faire perdre toute homogénéité dans les dessins. On ne peut pas tout avoir. Parmi ces lames rares, se cache la fameuse Kos-Mos de Xenosaga, au taux d’apparition particulièrement faible, que ce soit lors de la première partie ou en New Game +.
Marathon Man
Atteindre la fin du titre et découvrir le convoité Elysium nécessite au bas mot près de 80 heures, et voir le générique de fin en une centaine d’heures de jeu est un trophée plutôt cohérent pour celui qui voudra réaliser pas mal de quêtes annexes. Leur nombre, indécent, a amené les développeurs à créer un New Game + dans lequel de nouvelles lames apparaissent – il est toutefois nécessaire de télécharger toutes les mises à jour gratuites – et qui devient vite un terrain de jeu incontournable pour ceux qui auront investi dans le Season Pass. Mis à part l’énorme chapitre Torna – disponible en dématérialisé via l’e-shop ou en physique en boutique, façon stand-alone – le passeport nous emmène dans de nombreuses quêtes inédites et nous ravitaille en quelques objets opportuns. En l’incluant, il est possible de tabler sur une centaine d’heures, de nouveau, pour boucler une seconde fois Xenoblade Chronicles 2. Le jeu est d’une richesse qu’il est difficile de décrire et de réaliser sans mettre le nez dans la cartouche. Il y a en effet toujours quelque chose à faire, et même quand le sociogramme de techniques des héros sera complet (pas simple lors du premier run), un second se débloque, aussi grand que son aîné.
Ace Ventura
Pour nous accompagner dans cette aventure au long cours, Monolith a fait appel à la majeure partie de l’équipe musicale initiale. Yoko Shimomura ne rempile pas cette fois, au profit de Yasunori Mitsuda. Auteur uniquement du thème principal dans Xenoblade, il est ici omniprésent, et même son studio (Procyon-Studio) est nommé à la production de l’intégralité de la bande son. Mitsuda-san partage toutefois toujours l’affiche avec le duo ACE, Tomori Kudo et Hiroyo Yamanaka. Pas réellement de ACE + (ACE, mais à trois) puisque Kenji Hiramatsu, le troisième larron, a souhaité participé à la bande son sous son propre nom et indépendamment de ACE. Et enfin, Minami Kiyota, ayant déjà réalisé une cinquantaine de morceaux sur Xenoblade, revient pour compléter l’équipe. En somme, nous avons affaire à des sonorités dans le même ton que celles de Xenoblade premier du nom, et des thèmes tels que Counterattack qui sauront vous hérisser le poil lors des (nombreux) moments de bravoure dont feront preuve les héros. Mention spéciale aux musiques de “cartes” (“Mor Ardain – Roaming the Wastes” ou “Kingdom of Tantal”) et au superbe thème de fin, One Last You, interprété par Jen Bird, vocaliste britannique.
Titanesque est assurément le mot le plus approprié à ce volet de Xenoblade, sans jeu de mot. Fabuleux de bout en bout, aussi profond que les atouts féminins sont malheureusement proéminents, Xenoblade Chronicles 2 revient plus japonais que jamais, partant du principe que l’occident est acquis à sa cause et qu’il fallait plaire à son pays d’origine. Pas certain que cela touche les habitués des W-RPG et aux allergiques des quêtes dites Fedex ; mais avec son monde tellement original, son histoire si atypique et ses mécaniques bien huilées sauront trouver leur public parmi les fans de JRPG désireux de retrouver le gigantisme propre à la saga. Ses quelques errances techniques lorsque l’écran est surchargé ne sauront ternir cette joie de parcourir les belles étendues de terres et ces multiples continents.