Lorsqu’on découvre que les créateurs de The Unfinished Swan, doté d’une très forte identité visuelle dans son genre, ont misé sur un second jeu autour du principe de l’exploration de manoir narrative, il faut admettre que ça peut un peu décevoir. Ou comment passer d’un truc qui arrive à se montrer foufou dès les premières secondes à quelque chose paraissant totalement planplan tant il y a de prétendants qui misent sur les petites promenades dans de mystérieuses bâtisses. Gone Home, The Stanley Parable ou encore toute une tripotée de titres davantage orientés vers l’horrifique comme Layers Of Fear, les exemples ne manquent pas. Et pourtant, il serait bête de s’arrêter sur ce genre d’aprioris totalement ignorants. Il n’y a pas à sous-estimer le studio Giant Sparrow qui nous confirme avec ce What Remains Of Edith Finch qu’il a de la suite dans les idées et pléthores de choses intéressantes à dire et à nous partager.
Parce que What Remains Of Edith Finch, c’est très loin d’être ce simple simulateur de promenade en mode urbex photo-réaliste qui sert de prétexte à nous raconter une histoire. Et ce, même si l’on pourra s’y tromper dans les premières minutes où l’on atteindra le mystérieux manoir familial de notre héroïne où elle n’a plus remis les pieds depuis de nombreuses années. Une bâtisse isolée en pleine nature, au fin fond de l’Amérique profonde. Procédé somme toute classique pour nous plonger d’emblée dans le mystère qui invite à entrer, visiter et découvrir un peu les sombres secrets d’une famille apparemment maudite où tous, sans exceptions, voient leur destin prendre des tournures dramatiques et funestes de manière plus ou moins prématurée. C’est d’ailleurs la raison de la venue d’Edith, dernière survivante des Finch qui tente de comprendre et, pourquoi pas, trouver des réponses à cette malédiction familiale qui n’a eu de cesse de frapper ses différents membres. Et également de découvrir leurs destinées qu’on lui a toujours caché pour la préserver, notamment en condamnant les accès aux chambres des Finch trépassés.
Les premières tribulations somme toute convenues passées, on se retrouve à accéder à la première chambre condamnée du manoir. Une certaine Molly Finch. Où l’on nous conte sa mystérieuse histoire. Et c’est certainement à ce moment-là que le charme opère, à tel point que l’on regarde le jeu dans son ensemble d’un œil autrement moins blasé qu’en le lançant en s’attendant à un Gone Home-bis : What Remains Of Edith Finch est définitivement foufou. D’une manière très différente de The Unfinished Swan bien évidemment. Notamment lorsqu’on nous conte les histoires des propriétaires des différentes chambres condamnées, chacun dans un procédé narratif différent, en raccord direct avec leur personnalité. Et sans forcément rentrer dans les détails, histoire de ne pas spoiler intempestivement, il y a vraiment au sein de ces mini-histoires, des idées en terme de direction artistique et de mises en scène excellentissimes. Avec énormément de variétés, allant de quelque chose de terre à des choses véritablement perchées, en passant par des jolis moments poétiques et contemplatifs. Citons pêle-mêle la narration comics alternant cases fixes et cases interactives où l’on pourra se déplacer en vue subjective à la XIII, la fameuse phase de Molly qui se transformera en divers animaux/monstres ou encore l’histoire du frère d’Edith, Lewis, où l’on se doit d’avancer dans une sorte de jeu imaginaire en parallèle au fait de jouer les agents de productions dans une conserverie de poissons dans les idées les plus originales et enthousiasmantes. Et surtout, chaque mise en scène, qu’elle soit exotique ou plus sommaire, tape juste : l’émotion du joueur est à chaque fois fortement titillée. A tel point qu’il en viendra à s’attacher à ce personnage mort et enterré qu’il n’aura pourtant vu que quelques minutes d’une manière extrêmement métaphorique. Jusqu’à ce que l’émotion nous submerge complètement pour cette famille dans sa globalité où chacun semble avoir été baptisé dans un océan de poisse et non dans l’eau bénite par le cureton du coin.
L’autre point qui fait le charme du titre de Giant Sparrow et dont on ne se rend pas forcément compte au premier abord, c’est sur la bâtisse en elle-même. Très loin d’être un manoir classique, la maison des Finch s’avère être construite des propres mains de ses propriétaires au cours de plusieurs générations. Homemade oblige, le résultat s’en fait sentir : tout est ingénieusement biscornu. Biscornu par ce fait qu’on lui ait ajouté au travers des années de multiples dépendances pour chaque descendance, la famille gardant un point d’honneur à conserver les chambres des trépassés intactes et surtout, en l’état. Ingénieusement car même si les différentes chambres se sont trouvés condamnées, on parvient quand même à y accéder via divers passages secrets. Ces deux particularités finissent au fur-et-à-mesure du jeu à fasciner profondément. Et si lorsqu’on y rentre, on s’amusera à constater que malgré le bazar ambiant, le manoir reste autrement plus impeccable que la maison de Resident Evil VII en terme de propreté alors qu’on nous susurre que cela faisait pourtant un certain temps que plus personne n’y est plus entré, cette petite incohérence – qu’on expliquera simplement par « jeu vidéo » – enfonce le clou qu’on finisse par considérer ce lieu comme une sorte d’entité vivante à part entière. Ou tout du moins qu’elle possède une véritable âme, une histoire – enfin, plutôt une multitude – très marquée. L’opposé total d’une maison calquée sur un catalogue Ikéa comme on en voit tant de nos jours. Un fait par ailleurs un brin paradoxal d’y voir tant de vie alors que la mort a été omniprésente.
Tout ceci donne à What Remains Of Edith Finch un charme et une ambiance tout particulier. Non, ce n’est pas que de l’exploration de manoir narratif comme les autres. Giant Sparrow nous montre la capacité rare d’amener énormément de fraîcheur en partant sur une base réaliste. Sur l’architecture intrigante et assez surréaliste. Mais aussi par le biais d’une variété narrative et de mises en scène édifiantes/inventives en terme d’idées, d’autant plus qu’elles sont excellentes dans la mise en pratique. Bref, difficile d’en sortir de marbre et ce, à tous les niveaux, y compris en terme émotionnel.