De sa naissance en 1990 à sa liquidation en 2002, le studio français Cryo Interactive s’est taillé une réputation tiraillée de toutes parts pour une qualité de ludothèque, il faut bien l’avouer, des plus hasardeuses. Un coup d’oeil plus attentif à celle-ci montre cependant que pour un Super Danny, un Timecop ou encore un Virus, la société aura développé ou édité beau nombre de productions particulièrement convaincantes (voire avant-gardistes) comme, pour n’en citer qu’une brève sélection, l’extravagant Extase, l’adaptation culte du roman Dune, des jeux historiques tels que Versailles ou Egypte, ou encore la série Atlantis, sa plus célèbre licence et saga la plus étendue du studio avec, à ce jour, cinq épisodes vidéoludiques (dont deux développés par Atlantis Interactive suite à la fermeture de Cryo), ainsi qu’un roman écrit ni plus ni moins par Pierre Bordage. S’inspirant (comme beaucoup d’autres) du célèbre Myst, le développeur français, et plus particulièrement ses fondateurs (Rémi Herbulot, Jean-Martial Lefranc, et Philippe Ulrich), se mirent en tête en 1997, en parallèle de la mise à profit de ses dernières trouvailles technologiques et son moteur graphique tout neuf, de tenter d’offrir au travers de pas moins de quatre disques, non sans une certaine réussite, un jeu d’aventure inédit, gage d’évasion et de mysticisme.
Atlantis nous propose de suivre l’histoire de Seth, fraîchement débarqué sur l’île-État pour rejoindre les compagnons de la reine, sorte de garde rapprochée de la royauté. Il s’avère qu’il est arrivé au mauvais moment : Rhéa, l’impératrice qu’il devait un jour protéger, a été enlevée, et il se retrouve malgré lui embarqué dans un complot politique qui va d’abord le dépasser, mais dont il sera expressément l’acteur principal quant à la recherche de la reine et à savoir les pourquois des comments de sa soudaine disparition. Ce dernier point, Seth et la personne derrière son écran seront rapidement mis au parfum, mais pour ce qui est du destin et de la localisation de la reine, autant dire que cela va nous occuper une bonne poignée d’heures d’enquête. Atlantis nous fera rencontrer bon nombre de personnages, avec des dialogues entièrement doublés en français pour un résultat en général convaincant, quoiqu’un peu dans un emballement plutôt drôle durant certains passages du script. Mais cela fait parti, assurément, d’un des charmes du jeu, et fera oublier la relative mollesse de Seth (dont la voix rappelle, pour le rédacteur, sans trop savoir pourquoi, celle d’André Wilms dans Le Havre), qui fait plus ici figure d’avatar que de héros au charisme des plus absents.
L’aventure de Seth se déroulera en partie sur l’île mythique, puis sur une poignée de destinations inspirées de l’Île de Pâques ou encore de Stonehenge, pour une multitude d’environnements à visiter et à scruter à la recherche du moindre indice permettant de progresser dans l’histoire. Atlantis se veut, en l’occurrence, être un jeu d’aventure à la première personne, avec l’ensemble des actions greffées à la souris. Tout comme Versailles 1685 sorti l’année précédente, Atlantis est propulsé par le moteur maison du développeur, à savoir l’Omni3D, qui propose, en lieu et place d’écrans fixes et “plats” à la Myst, de pouvoir déplacer son regard sur 360° dans une sorte de sphère où est placardé un décor modélisé en 3D. Malgré l’absence d’effets de reliefs propres à une vraie troisième dimension, le rendu, assez déroutant au départ, s’avère tout à fait immersif grâce à une gestion du champ de vue (FOV) plutôt bien fichue, à défaut de ne pas, quelquefois, provoquer la nausée aux personnes sujettes au mal des transports… On notera également une limitation certaine, voir imposante, des animations affichées à l’écran, puisque les environnements resteront la plupart du temps parfaitement statiques, avec quelques petits effets aquatiques et pyrotechniques, ici et là, mais également quelques incrustations pas terribles de bonhommes en 2D lors de quelques séquences typées “action”. Évidemment aujourd’hui, on ne pourra que constater que globalement, les modélisations et les mouvements des personnages ont quelque peu vieilli, surtout pendant les dialogues où la caméra est collée sur leurs visages, et que à moins de jouer sur un dispositif cathodique, Atlantis est noyé sous une pellicule de pixels pas vraiment du meilleur apparat sur du LED ou de plus anciens cristaux liquides. Dommage que le titre n’est pas eu les honneurs d’avoir une remasterisation lors de sa sortie sur support DVD, car celle-ci aurait pu permettre d’apprécier davantage la direction artistique mine de rien si originale et caractéristique du jeu qui transpire au travers de son univers, que cela soit du côté personnages, l’architecture, la technologie et la culture imaginées (selon différentes inspirations) pour l’occasion.
Pour ce qui est de l’aventure à proprement parler en tant qu’expérience ludique, rien de plus simple, puisque tout se fait à la souris, avec des interactions possibles matérialisées à l’écran par un curseur qui change de forme selon les actions possibles. Se déplacer se résume, compte tenu du moteur, à une transition en FMV ou à un passage brut et net à l’écran suivant. Les conversations avec les personnages offrent quant à elles un certain nombre de choix de dialogues utiles ou non à l’avancée de l’histoire, et peuvent parfois résulter, si l’interlocuteur se veut menaçant ou ennemi, sur une fin de partie. Pour le reste, on retrouve les classiques du genre, avec récupération d’objets et gestion/utilisation d’un inventaire dont la manipulation n’est pas, dans les souvenirs du rédacteur, pas des plus compréhensibles en ce qui concerne le résultat d’une utilisation entre un objet et un élément du décor. Il ne s’agira d’ailleurs pas du seul problème du gameplay : vieillesse du jeu oblige, certaines énigmes ne sont pas accompagnées d’un visuel des plus parlant avec cette bouillie de pixels, ou sont parfois simplement cryptiques dans leur résolution. On pourra aussi parler des scènes “pêchues” du titre, comme de la fuite ou l’enchaînement rapides d’actions, qui demandent d’être vif comme l’éclair alors que l’interface et le timing ne s’y prêtent pas. Après, rien d’insurmontable, mais avec un positionnement quelquefois hasardeux des points de passages, on se retrouve de temps à autres à refaire toute une séquence de zéro, ce qui peut entraîner un tantinet l’agacement.
Foncièrement, Atlantis demeure assez classique dans son déroulement, avec un enchainement mêlant puzzles plutôt inspirés, exploration minutieuse et conversations plus ou moins pertinentes, pour une histoire assez convenue et sans grandes surprises qui baigne, heureusement, dans un univers graphique très réussi, et surtout dans une ambiance sonore, Cryo Interactive oblige, excellente : on retrouve en effet Stéphane Picq, un des compositeurs clef du studio, avec l’aide, pour sa première participation, de Pierre Estève, qui forment ici un duo admirable pour une bande-son mémorable, dont les inspirations et instruments multiples marquent assurément et accompagnent des plus efficacement l’aventure de Seth à travers le monde, quitte à largement contribuer à la qualité à l’intérêt du titre aujourd’hui encore, tout en étant tout à fait différente du “Spice Opera” de Dune ou encore de Lost Eden (toutes deux que le présent rédacteur vénère profondément), même si on reconnaît assurément le style et la patte de Monsieur Picq un peu partout.