Ace Attorney : Phoenix Wright

Objection et volte-face initiale

Genre
Aventure / Visual Novel
Développeur
Capcom
Éditeur
Capcom
Année de sortie
2006

Un petit moment de clairvoyance m’a fait repenser que j’avais complètement oublié de clore les critiques des trois premiers Phoenix Wright. En plus d’en avoir parlé dans le désordre puisque la seule pièce manquante dans ces colonnes était le tout premier opus. Par chance, il n’y a pas si longtemps, je me suis replongée dans cette trilogie qui occupe une belle place dans mon cœur de joueuse tant je parviens à les refaire régulièrement avec toujours le même aplomb et plaisir de retrouver cette vaste histoire, son univers et ses protagonistes alors que je les connais pourtant sur le bout des doigts. Et c’est ce qu’il s’est passé encore une fois en début d’année 2020 : voir la récente compilation de la première trilogie Phoenix Wright sur Playstation 4 m’a donné l’envie de m’y replonger par ce biais, autant pour me les remémorer encore une fois que pour partir vers cette pratique si inutile – mais que j’apprécie néanmoins dans certains cas de figure – de la chasse aux trophées. C’est donc avec le souvenir tout frais de ce Phoenix Wright : Ace Attorney que je peux donc vous en parler aujourd’hui, même si pour conserver la logique de ce qui est paru précédemment, je m’attarderais sur sa version Nintendo DS (presque) originelle, la configuration tactile/stylet du support se révélant définitivement comme la confortable et ce, pour plusieurs aspects.

A l’instar, de ma critique de l’épisode de clôture, Trials & Tribulations, je vous reconduis vers la bafouille de Justice For All où je revenais avec précision sur ce que peut bien proposer la série en terme de gameplay. Ce premier opus, tout logiquement, pose la base de ce qu’est la série des Ace Attorney, à savoir un visual novel – car oui, définitivement, mettez-vous ça dans le crâne que l’on n’est pas dans un jeu à gameplay – qui propose deux variantes de jeu. Des phases d’enquête tout d’abord où l’on devra chercher des preuves et trouver des témoins, montrant un visage peut-être plus interactif à première vue mais se révèle bien vite assez poudre aux yeux au vu de leur linéarité. Ces phases débouchant sur les phases de procès, complètement textuelles où l’on sera sollicités à divers moment dans certains choix ou les contre-interrogatoires des témoins où l’on devra leur présenter des preuves pour réfuter leurs affirmations. Bref, du visual novel qui s’arme de deux formes d’habillage tournées vers la réflexion et l’enquête typée point’n click. Quelque chose que l’on nommerait davantage dans notre jargon d’aujourd’hui – le terme n’existant pas spécialement trop à l’époque de sa sortie – une expérience narrative interactive en somme.

Et c’est justement là où réside l’intérêt des Ace Attorney. Ce premier opus n’y fait pas exception et pose les premières graines qui germeront et prendront une nouvelle ampleur lors de l’épisode de clôture qui s’amuse à lier un peu les différents chapitres, de près ou de loin présentés lors de l’ensemble de la trilogie. Des graines de jouvenceau pour cet opus qui représente le mieux ce côté « on a l’idée saugrenue de mettre du shônen dans des histoires de tribunaux, à l’instar d’un anime comme Le Petit Chef le faisait dans ses histoires de cuistots ». A savoir que l’on ressent pleinement que l’on est ce petit avocat tout juste sorti de l’école qui devra gagner en expérience de terrain afin d’aiguiser ses compétences et appréhension de son rôle. Qui se retrouve plongé dans des affaires aux déroulements assez capillotractés, entouré de protagonistes souvent absurdes. Le Japon dans toute sa démesure et son excentricité donc. Malgré tout, aussi cliché peuvent être certains aspects selon les codes du shônen, le soft arrive à s’extirper de certains codes, lui donnant une saveur toute particulière, qui saura même toucher un public plus exigeant et lassé de ce type d’approche. Nous ne somme pas ici ce héros aux super-pouvoirs dont la puissance ira crescendo au fil de l’avancée du scénario et des nouvelles embûches. Certes, l’on gagne en expérience et en maturité mais nous restons avant tout un être humain tout ce qu’il y a de plus normal. Un point qui est souligné sur une façon de narrer certains éléments dramatiques de la façon la plus terre-à-terre qui soit. Oui, notre mentor qui nous a accompagné lors de la première phase de tutoriel a tôt fait de passer l’arme à gauche. Plus cliché tu meurs. Moins cliché est la manière dont les choses se produisent et sont présentées : aucun excès d’héroïsme, voire même de mort que l’on pourrait considérer comme « digne », ni même d’ailleurs de surenchère en terme d’explosion des émotions. Non, ici, les choses sont brutes et aussi concrètes qu’une personne qui décéderait suite à une vilaine chute dans les escaliers dans la vraie vie. Ce qui vient pas mal trancher avec les twists plus capillotractés les uns que les autres en terme de logique pure ou encore ces joutes avocat contre procureur frénétiques et autres représentations fantaisistes d’un coupable avoué vaincu, amenant un humour débridé bienvenue. Voilà peut-être ce qui explique pourquoi l’on accroche à ce Ace Attorney : Phoenix Wright jusqu’à aller jouer aux épisodes suivants qui ne proposent pourtant pas d’évolutions réellement significatives dans le gameplay, tout en s’appuyant sur de nouvelles affaires jonchées d’éléments et/ou personnages récurrents. Du recyclage d’une certaine manière mais ce genre de répétitivité représente une raison de plus d’entretenir le lien et l’attachement entre ces divers protagonistes, qu’ils soient majeurs ou mineurs ou certaines composantes de l’univers.

Ce tout premier opus qui a permis d’instituer la licence en France était à la base un remake, la trilogie Phoenix Wright étant sortie à la base sur Game Boy Advance au Pays du Soleil Levant. Si les deux volets suivants sur DS se contentaient d’un simple portage, les équipes de Capcom ont toutefois fait l’effort avec celui-ci d’ajouter une affaire supplémentaire, spécialement concoctée pour l’occasion. Cette dernière voulant faire le lien entre la fin de cet opus et le début du suivant en terme de temporalité. Entreprise risquée niveau scénario dans le sens où cette nouvelle petite tranche n’était pas censée exister à la base. Et pourtant, il y règne comme quelque chose d’assez paradoxal dans le propos : sur certains détails, on sent pleinement que quelque chose cloche si l’on s’appuie sur le dénouement de ce premier volet. Et malgré ça, ce qu’il s’y passe rend pourtant plus logique certains détails de Justice For All qui pourraient sembler un brin excessifs si cet épisode bonus n’avait pas existé. Autant dire : il vaut mieux passer outre les éventuelles considérations qu’il s’agit d’ajout pour de l’ajout car sur plein d’aspects, cette petite extension propre à la version Nintendo DS demeure importante. Déjà parce que ses géniteurs ne se sont clairement pas foutus de nous en terme de marchandise tant l’on est loin d’un simple DLC d’une demi-heure, cette affaire s’avérant très longue dans sa durée. Et que même si elle souffre parfois de soucis de rythme, elle demeure passionnante, avec sa pléiade de nouvelles têtes, toujours hautes en couleur, qui nous mettront autant en émoi que les autres. Allant même jusqu’à présenter, tel un petit teasing, des petites choses que l’on retrouvera par la suite sur Ace Attorney : Apollo Justice, le quatrième volet et tout premier conçu pour la Nintendo DS. Les origines d’Ema Skye qui s’avérera récurrent dans la série post-trilogie Phoenix Wright notamment. Et surtout, exhiber réellement des features de gameplay supplémentaires qui exploitent les caractéristiques spécifiques de la Nintendo DS, par des petites cinématiques plus travaillées et animées – les affaires du jeu originel n’étaient qu’une succession d’illustrations fixes qui ont juste été relissées pour l’occasion – via des « techniques scientifiques » lors des phases d’enquête (comme passer du luminol en tapotant sur l’écran tactile ou relever des empreintes où l’on ira enlever l’excédent de poudre en soufflant dans le micro de la console) que l’on retrouvera de manière plus développées encore lors du quatrième opus. Bref, du bon pain pour le public nippon qui patientait sur l’arrivée d’Apollo Justice à l’époque et un cadeau extrêmement sympathique pour nous, Européens, qui profitions dès la découverte de cette franchise de sa version « étendue » en plus d’avoir la joie de bénéficier d’une localisation plus qu’honnête (on sentait les traducteurs très inspirés sur les jeux de mots amusants à propos des noms) malgré quelques mauvais côtés (ce choix discutable de sous-entendre que cela se passe en France, ce qui ne manquera pas d’amener des incohérences parfois fort aberrantes).

Ace Attorney : Phoenix Wright
Appréciation
Ce Ace Attorney : Phoenix Wright montre dès ses premiers pas un univers marquant, un ton oscillant entre gravité brute et humour absurde à la nipponne débridé et des personnages attachants que l'on ne pourra s'empêcher de suivre au cours des épisodes suivants avec émotion et plaisir. Le tout agrémenté d'une affaire bonus spécialement concoctée pour l'occasion qui n'a rien de gimmick tel l'épisode filler d'une série animée japonaise grand public. Alors, certes, si le jeu fait partie du paysage retro et que vous ne possédez plus de DS ou de 3DS pour pouvoir vous y plonger, la sortie récente de Phoenix Wright : Ace Attorney Trilogy, compilant les trois premiers volets peut représenter un point d'entrée idéal à cette saga que Capcom a injustement sabordée pour nous, Européens, au fil du temps. On espère que cette compilation représentera comme un début de rédemption de la part de ce dernier et de volonté de réhabilitation. Cela paraît néanmoins peu probable mais l'on croise les doigts quand même.
Points forts
Un univers et personnages aussi loufoques qu'attachants
Une écriture bien ficelée pour toujours lier des affaires qui semblent pourtant indépendantes entre elles
Les phases de tribunal en mode shônen (Objection !)
Des traducteurs inspirés bien qu'amenant des incohérences dans certains parti-pris
Une affaire bonus plus que généreuse, amenant une vraie plus-value pour la suite de la série
Points faibles
Des phases d'enquête linéaires
Quelques énigmes vraiment énigmatiques et capillotractées
Le Lutin Bleu (les vrais comprendront)