Red Dead Redemption. Une super production de plus, un raz-de-marée promotionnel, un jeu qu’on connaissait avant sa sortie. Les développeurs étaient sûrs de leur bébé, les médias aussi. Car en matière de promotion, Rockstar sait y faire. Les vidéos lâchées de façon quasi hebdomadaire avaient fonctionné sur moi, qui n’attendais pas spécialement ce jeu. Avec GTA IV, le studio avait proposé un jeu d’une rare maturité, moyennant des compromis sur la liberté et les possibilités innombrables qui ont fait la célébrité de la série. Red Dead Redemption confirmait-il cette orientation plus intimiste ?
John Marston, héros bien de chez R*
« – Je suis un tueur ignare envoyé faire la seule chose qu’il sache faire : abattre un homme de sang-froid pour aider un autre homme à combattre le crime dans la région, tout ça pour qu’un riche puisse être élu gouverneur grâce à de belles promesses.
– C’est vraiment beau la civilisation, Mr Marston. »
Bienvenue dans l’Ouest lointain. John Marston, un ancien truand qui avait décidé de raccrocher, de fonder une famille et de terminer ses jours peinard à la ferme, s’est vu rattrapé par son passé tumultueux. Les autorités déléguées par le gouvernement détiennent sa femme et son fils, et ces derniers ne seront relâchés que lorsque Marston leur aura livré l’un des ses anciens potes fauteurs de trouble : Bill Williamson.
Un point fort indiscutable du jeu est assurément son ambiance couplée à sa trame principale. Pas beaucoup d’originalités ici. Malgré des fondements très classique, la mise en scène et la façon dont sont développés les personnages font que l’on s’attache vraiment à John Marston, ainsi qu’à la batterie de psychopathes « beaux gosses » caractéristiques des brochettes de belles gueules made in Rockstar. Évidemment, les personnes qui ne sont pas fans d’un héros imposé à la psychologie très écrite, pourraient ne pas apprécier. Mais on ne peut pas retirer aux scénaristes de Rockstar un talent certain pour composer un panel de personnages et de relations astucieuses et intéressantes. La relation entre Marston et Bonnie est un bon exemple. Cette dernière représente la présence féminine de l’histoire. Dans bon nombre de productions on aurait eu droit à une belle idylle en bonne et due forme. Or John Marston est marié, et une relation autre que la complicité et l’amitié est rapidement écartée. On s’attache vraiment à ce type de choix des concepteurs dans Red Dead Redemption : de la simplicité, de la crédibilité et de l’humain.
A ces propos résolument réalistes, s’ajoute le background qui m’a, curieusement, surpris. On n’est pas franchement dans un western spaghetti à la mise en scène très étirée pour les fusillades et les duels. Il y a un hommage certain au genre cinématographique, mais il s’agit plutôt d’une épopée qui flirte avec un carrefour de l’Histoire. C’est un concept que j’apprécie toujours en littérature, ou au cinéma : la « petite » histoire d’un homme ordinaire, mêlée et spectatrice de l’Histoire, celle avec un grand H.
Et un monde ouvert, un !
Bien que le jeu fût très populaire avant sa sortie, un certain nombre de questions se posaient malgré tout. L’univers fera-t-il l’unanimité, et les défauts des GTA ont-ils été gommés ou bien carrément transcendés par cette transposition dans l’Ouest lointain? Les réponses sont « non », « un peu » et « en partie ». A vrai dire, les personnes qui ne sont pas clientes des jeux open world, avec un scénario rythmé au bon vouloir du joueur (celui-ci déclenche la prochaine mission quand il le souhaite, comme dans n’importe quel Grand Theft Auto) ne le seront pas plus dans Red Dead Redemption. Alors c’est sûr, le contemplatif l’emporte plus que dans GTA 4, mais le problème de rythme de ce genre de jeu existe bel et bien. Et les – rares – bugs inhérents aux moteurs graphiques/physiques sensés gérer autant de paramètres sur une superficie de jeu aussi étendue.
Quand je parle de contemplatif, je pèse mes mots. Combien de fois ai-je attendu sur mon cheval que le soleil se lève sur les plaines désertiques, pendant que mon canasson broute ou frappe du sabot ? L’immersion dans Red Dead Redemption est extraordinaire. On sent presque la chaleur mexicaine traverser l’écran, les bruits des insectes ou celui du galop des chevaux. L’animation et les attitudes du cheval, entre autres, sont incroyables de réalisme. Se déplacer, aller cueillir des herbes (une des nombreuses features du jeu), engager un duel en ville. Autant de choses ordinaires que j’ai pris plaisir à faire à chaque fois, sans que l’impatience ne pointe le bout de son nez. On y est.
La démarche des développeurs est claire : proposer ce que la boîte sait faire de mieux, et l’améliorer. Ainsi, Rockstar ne réinvente pas la poudre, bien qu’ils soient les précurseurs de cette recette. Personnages déjantés, dialogues exquis, morale très crue, et par conséquent, très humaine. Ici on ne théorise pas sur le gameplay, l’immersion, les émotions ) et le joueur. On propose des choses déjà vues, on reste dans les codes d’un genre. Le génie des concepteurs réside dans l’équilibre de tous les éléments qui composent un jeu vidéo. La narration, les cinématiques, l’immersion, l’univers, les références, la balance du gameplay entre fusillades, déplacements, interactions et features. Chapeau.
De la vie …
Là où Red Dead Redemption constitue une expérience marquante, c’est dans le mouvement constant du monde qui entoure le joueur. Combien de fois, alors que je me dirigeais vers la piaule qui sert de sauvegarde, me suis-je retrouvé à ramener un voleur en le traînant avec mon lasso, à sauver une gente dame se faisant frapper, ou à courser un voleur de chevaux ? Résultat de l’opération : je sauvegarde et n’éteins la console qu’avec une heure de retard. Et c’est vraiment génial. De l’imprévu, de l’improbable.
Cap sur la prochaine ville, après les missions du ranch je me dirige vers la ville des voleurs, Thieves Landing. L’endroit est charmant, marécageux. L’ambiance change, c’est assez magique. Comme je suis un joueur qui contemple, je m’arrête quelques secondes pour jouer avec la caméra et faire passer les rayons du soleil à travers les branches des arbres (si si, vous aussi vous le ferez, et pas qu’une fois!!). En une fraction de seconde, deux sangliers nous chargent. On a tous vu les vidéos sur la faune et les écosystèmes du jeu : ce n’était pas de la publicité mensongère. Je dégaine. Echec ! La dernière arme que j’avais utilisée est mon lasso. Passablement inefficace contre deux sangliers enragés. Ni une, ni deux, mon cheval succombe sous mes yeux. J’arrive enfin à sortir mon arme, et à trucider ces deux porcs d’une balle dans la tête. Je me retrouve en pleine zone marécageuse, sans cheval. Bon, ça sent l’humiliation : un cowboy sans cheval. Situation incongrue, mais normale dans ce monde qui nous est proposé. En effet, qu’est ce qu’il y a d’extraordinaire à se faire attaquer par des animaux sauvages, et de perdre son cheval?
… et du mouvement : la vie dans l’Ouest
C’est là que Red Dead Redemption est magistral : une variété de situations qui déboulent à l’improviste, avec des finalités diverses, mais cohérentes avec l’univers. C’est fun, immersif, et le jeu apparaît nettement moins « futile » entre les missions que son aîné GTA IV. Du coup, le problème de rythme inhérent aux jeux dits open world est largement compensé par cette possibilité de tous les instants que le joueur soit sollicité par un événement ou un problème fortuit. Bon, il n’y a pas des centaines de situations différentes, mais suffisamment espacées pour une sensation de variété. Surtout que l’on a souvent un tout autre objectif en tête (missions principales, missions secondaires, shopping, voyages, etc.). C’est dense, assez bien calibré, et là où les GTA accumulaient des features souvent secondaires et anecdotiques, Red Dead Redemption mixe le tout de manière beaucoup plus intelligente, mieux intégrée à la trame principale, et surtout pour un résultat tout simplement plus « fun ».
Dans GTA 4, moult activités étaient simplement secondaires. Ici, les développeurs ont eu le bon goût d’en intégrer un grand nombre aux missions principales. Comme jouer au Poker pour gagner un titre de propriété, ou même d’aller faire exprès de tricher pour provoquer un duel et pouvoir tuer un traître en toute légitimité. Ces épreuves qui auraient pu faire office de simples features, sont des activités du quotidien de la vie dans l’Ouest. Quoi de plus logique que d’y avoir recours pour atteindre ses objectifs ? Et la vie dans l’Ouest est bien chargée. Activité de cow-boy (n’oublions pas que ces héros étaient chargé de guider les troupeaux), tour de garde pour protéger un ranch la nuit, chasser les têtes mises à prix…. Le gameplay est fluide et permet de réaliser des choses très jouissives, comme traîner un hors-la-loi sur des kilomètres pour le livrer au Marshall et empocher la prime. Les duels, bien que simplistes au niveau jouabilité, sont des vrais moments cinématographiques. Ajoutons à cela un système de réputation qui offre le choix de mener la campagne en incarnation même de la vertu, ou en parfait mécréant (condition sine qua non pour pénétrer dans une ville refuge pour les bandits, vers la fin du jeu). Il y a de quoi faire. De quoi vivre.
Red Dead Redemption, photographie d’une époque
Nous sommes en 1911, la révolution industrielle vient d’avoir lieu. Son influence ne se fait ressentir que petit à petit sur le territoire américain, tout comme la loi et ses représentants ne progressent que très lentement en ces terres. John Marston fait figure de stéréotype archaïque : un cow-boy à l’ancienne. Le manichéisme ? Poubelle. John essaie simplement de faire de son mieux pour mener à bien sa mission et retrouver sa famille le plus vite possible. Sa perception, et donc celle à travers laquelle le joueur découvre le scénario, est d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de nous rendre compte de l’écart soudain qu’il y eut entre les natifs de l’ouest lointain, et les personnes plus proches des premières villes industrialisées et du gouvernement américain. On assiste donc à l’évangélisation des « terriens » du far west, comme Marston, quant à la technologie, à la législation et la mise en application d’une constitution qui a la vie dure dans ces contrées.
L’angle avec lequel la conquête de l’Ouest nous est conté s’inscrit bien dans la tendance actuelle qui vise à refaire vivre le genre au cinéma ou à la télévision, mais avec un point de vue assez focalisé sur les aspects pragmatiques qui servent à décrypter une époque charnière : progrès économiques, technologiques, politiques. Epopées sociologiques au coeur d’un carrefour de la civilisation américaine.
La réaction de John lorsqu’on lui présente une voiture est claire et symbolise cette collision : il comprend qu’on puisse en avoir besoin, mais il fait plus confiance à son bon vieux cheval. Selon lui, quel que soit le moyen de transport, l’essentiel c’est de faire de son mieux et de remplir sa mission. Ce héros en quête forcée pour sa rédemption devient alors extrêmement attachant. On admet qu’il ait pu être une racaille finie, et on accepte aussi que cela ne soit pas incompatible avec sa volonté de devenir un simple fermier éleveur de bétail. Le propos est passionnant, humain et très touchant dans sa résolution. Cette photographie d’une époque, ou plutôt de la transition entre deux époques, est magnifiquement amenée et relevée par une réalisation graphique somptueuse, une ambiance sonore très travaillée, et des dialogues à la Rockstar : géniaux.
Red Dead Redemption est un jeu à essayer. Même si l’on n’est pas spécialement fan de western, il suffit d’être un peu friand d’Histoire pour comprendre le propos de Rockstar. Après des années de reconnaissance pour le politiquement incorrect et la provocation, le studio démontre un savoir faire unique en terme de narration et de gameplay. Des artisans précieux dont le talent mérite d’être promu haut et fort. Red Dead Redemption c’est une époque, un territoire en mutation, une révolution industrielle qui s’immisce de force. Un instant de l’Histoire des Etats-Unis masterisé à notre disposition, et ce avec le talent et l’humour que l’on connaît de Rockstar. Le dosage avec l’aspect dramatique de l’histoire, finalement très dure, est parfait. Le final : magistral de simplicité. Dieu que c’était bon !