Je vais donc oser parler de AMY, le dernier opus de Paul Cuisset, et donc l’ultime jeu estampillé Lexis Numérique. Il m’aura fallu deux semaines pour me décider. Deux semaines de réflexion intense, de remise en question et d’interrogations existentielles. Qui suis-je ? Quel est mon problème ? Devrais-je consulter ? Vais-je pouvoir vivre désormais hué par mes amis, banni de tous les forums sur lesquels je réagis de temps à autre ? Pourquoi je me pose autant de questions bidons ? Un petit tour sur Metacritic : « AMY , metascore : 23/100 ». Moi je l’ai adoré. Vous voyez le topo ?
Le 11 janvier 2002 il y a eu REZ. Dix ans plus tard, jour pour jour, sort AMY. Des destins similaires auprès de la critique.
Je reconnais amplement beaucoup de défauts à AMY. Je ne lui excuse pas ses bugs en vertu de la petitesse de l’équipe de développement et la modestie des moyens. Je lui colle même volontiers la culpabilité d’une campagne marketing un brin mensongère (encore que, mais nous y reviendrons).
Je me refuserai cependant catégoriquement à prendre AMY pour ce qu’il n’est pas, pour aller lui reprocher ensuite le fait de ne pas être Dead Space 2 ou Ico. Un peu comme REZ en son temps, injustement jugé parfois comme un Shoot’em’up pauvre, alors qu’il était tellement plus que ça…Mais dans un premier temps, revenons au pitch du jeu de Paul Cuisset.
Amy est une petite fille autiste qu’une jeune femme nommée Lana accompagne. La gamine représente en quelque sorte un espoir ultime, un dernier rempart pour l’humanité car elle porte en elle une solution biologique contre un virus qui zombifie ceux qui l’inhalent. Le jeu débute au moment où le train dans lequel se trouvent Amy et Lana derraille. La jeune femme va devoir retrouver Amy, s’occuper d’elle et l’escorter jusqu’à un hôpital dans lequel se trouve le contact qui pourra exploiter le potentiel salutaire de la petite fille.
Les deux personnages sont complémentaires. Lana peut se battre, grimper aux échelles, franchir certains obstacles et accomplir les principales actions. Amy peut passer par des petites ouvertures et accéder à certains pouvoirs après avoir vu des symboles sur les murs. L’excellente idée assez novatrice étant que Lana est de base contaminée par le virus et seule la présence d’Amy à proximité peut l’immuniser contre la progression de la zombification. Une façon de timer de manière vraiment astucieuse l’exploration et certaines phases durant lesquelles Amy et Lana seront séparées. On rajoute à cela un système d’ordre basique à donner à Amy (« va appuyer sur ce bouton », « reste ici », « cache-toi dans le placard »,etc…)
Les voilà donc parties pour 6 chapitres plutôt variés dans les situations qu’ils proposent, et qui représentent environ 3 à 4 heures de jeu effectives, pour un temps total passé devant la console qui en est probablement le double. Car en bon jeu d’aventure/réflexion basé sur une structure Die&Retry bien à l’ancienne, AMY offre un challenge digne des plus grands titres du genres dont il découle : Heart of Darkness, Flashback, Another World et toute la clicque.
Le Die&Retry, le genre éteint que l’on n’accepte plus (ou dans de rares occasions)
Et c’est là qu’on commence à me prendre pour un demeuré mythomane (les questions dans l’introduction, vous vous rappelez ?). Et oui. Il suffit de jouer 15 minutes à AMY pour comprendre que ce jeu n’a de Survival qu’une ambiance relativement voisine, et la skin des ennemis rencontrés (des zombies et des soldats de type « cellule anti-virus biologique »). En dehors de ça, la structure du jeu est d’une limpidité si déconcertante, que je me demande bien comment certains testeurs professionnels ont pu faire abstraction totale de cet aspect.
La progression dans AMY est une succession de situations qu’il faudra résoudre les unes après les autres, en pigeant les séquences d’actions précises (ce qu’on appelle le « scénario utilisateur ») et en les accomplissant de l’unique manière prévue par les concepteurs. Chaque faux pas est sanctionné par la mort. C’est une évolution d’un jeu de réflexion comme Abe’s Odyssey, mais représenté en 3D à la manière classique d’aujourd’hui.
On progresse en se pliant aux règles de bases du gameplay , telles que :
– Quand Lana est loin de AMY trop longtemps, elle meurt.
– Seule Amy peut pirater des ordinateurs.
– Quand on se fait repérer par un soldat, on meurt. Ce qui signifie que lorsqu’un soldat est présent, l’accès à cette zone est tout simplement interdite, il va falloir trouver comment faire.
Etc, etc…
Après 20 minutes de jeu on se rend bien compte du rythme de l’aventure, et j’ai vraiment retrouvé des sensations très « old school », issues de ces jeux dans lesquels on progressait tableau par tableau, en mourant pour savoir comment faire, par où passer et par où il était interdit d’aller. Au début de chaque chapitre l’inventaire est vide. Parce que dans tout nouveau tableau, il va falloir aller trouver LE bâton qui va servir à buter LE zombie qui est devant la porte derrière laquelle se trouve LE symbole qui va activer LE pouvoir d’Amy disponible dans ce niveau,etc…. Et dire que certains testeurs ont même pris le reboot d’inventaire en début de tableau pour un bug… Sérieusement…
Une chose est sûre. C’est que je constate qu’à l’heure actuelle, le Die&Retry n’est plus véritablement acceptable. Ou alors quand c’est « écrit » dans le nom du jeu qui se servirait de ce principe de manière totalement avouée pour en faire son argument premier (Super Meat Boy, Limbo…). Or, proposer sérieusement un tel principe dans un opus qui s’adresse à tous; et en faire un jeu dont la difficulté et la progression par l’échec seraient liés à sa structure (et non son enjeu principal) : là ça ne passe plus. Qu’est ce que je le regrette !
Car les bonnes idées et les choses qui marchent ne manquent pas dans AMY. Passées les premières mauvaises surprises dues aux lags pendant les cinématiques, aux animations très cheaps lors des cut scenes ou des interactions entre Amy et Lana, etc… On finit par s’y faire vraiment à cette austérité technique. Car celle-ci est accompagnée d’une ambiance sonore vraiment convaincante. De plus, le fait de prendre Amy par la main (c’est elle qui porte la lampe qui sert à mieux voir) et de devoir rester loin d’elle le moins de temps possible sous peine de mourir, finit par imposer au jeu un rythme et un gameplay bien à lui. Enchaîner les commandes, les situations et les phases devient plutôt naturel (il semblerait que je sois assez seul dans ce cas, donc à prendre avec des pincettes pour ce point). Autant le soft ne parvient presque jamais à faire exister une relation touchante entre Lana et Amy, autant la mécanique de gameplay « relationnel » entre les deux personnages finit par fonctionner. Et c’est bien là le principal.
Les combats sont loin d’être dégueus, car l’esquive fonctionne très bien, et je n’ai quasiment jamais été frustré outre mesure par ces phases qui font le boulot juste comme il faut . Bref, après quelques minutes et un chapitre tutoriel qui peut rebuter, la sauce prend, pour peu qu’on accepte cette progression par l’échec.
Bien sûr, Lana a tendance à traîner en grimpant aux échelles et en franchissant une corniche. Mais c’est le genre de choses qui passent quand on est dans l’ambiance et le délire. On cherche toujours plus de réalisme et de crédibilité dans les jeux, il faut bien pouvoir accepter de temps en temps que le réalisme ne soit pas toujours d’un fun inouï. Une femme blessée qui accompagne une petite fille, et qui n’a rien d’une marine US, ne grimpe pas une échelle en deux secondes… La sensation de précarité et de fragilité de la situation de Lana et Amy m’ont permis d’encaisser pas mal de choses, en définitive. Tout comme l’absence totale de map de la zone, et le dosage des informations distillées par notre contact radio qui n’est pas omniscient comme la nana qui dicte chaque pas de ce gros assisté d’Isaac Clarke !
Peut être pas fun pour tous, on est bien d’accord !
Je veux bien qu’on discute du manque fun de l’ensemble ou du côté archaïque de ce genre de structures dans la progression. Mais je trouve que l’initiative est vraiment brillante. Vouloir proposer une évolution du bon vieux Aventure/Réflexion/Die&Retry diluée dans une forme de jeu contemporain en 3D est plus qu’intelligent à mes yeux.
D’où mon indulgence par rapport à la maniabilité, entre autres. La lourdeur de ce type de déplacements est une tare dans toutes les propositions de jeux d’aventure en 3D qui découlent du genre Point’n’Click. Tout le monde l’a compris pour Heavy Rain et L.A. Noire. Et pour tout autre opus qu’on pourrait assimiler à cette parenté de la branche « Point’n’click évolués ». Pourquoi le reprocher de manière aussi définitive à AMY ? Honnêtement, à partir du moment où j’avais compris à quel genre de jeu j’avais affaire, c’est passé tout seul.
On finit par savoir que les confrontations ne sont pas au cœur du gameplay, que les combats sont des sortes de phases d’interactions très critiques (un peu comme lorsqu’on croise un Scrab avec Abe, en somme) qui sortent un peu de l’aspect aventure/réflexion, et loin d’être un enjeu majeur. A partir de là on n’a plus beaucoup de surprises. Je suis mort parce que je n’ai pas réussi à m’enfuir ou qu’il y a trop de mobs? C’est que probablement je n’aurais pas dû être là, et qu’il y a un moyen beaucoup plus « safe » de résoudre ce problème. Ce jeu est aussi « simple » que ça.
Quand j’y repense ! Tout le chapitre 3 est une succession de salles avec des ascenseurs à va-et-vient. Du coup, voici une bonne heure et demi de jeu sans aucun combat, mais simplement basée sur de la réflexion pure : des puzzles de « pathfinding » du couple Amy/Lana en fonction de leur complémentarité et de leurs spécificités. Avec de telles séquences de gameplay, comment peut-on comparer deux secondes ce jeu à du Survival ?
Alors oui ! On baigne dans une sorte d’austérité toute relative, probablement à un niveau moyen de « fun » sur l’échelle actuelle des blockbusters récents. Or, moi, j’ai passé quelques heures délicieuses, assez passionnantes et très frustrantes en jouant à AMY (le chapitre 5 est horriblement dur, et souvent un peu aléatoire). Au bout du compte, je trouve dommage qu’ à l’heure actuelle, quand on tend l’oreille à droite à gauche, il soit limite devenu de mauvais goût, voire carrément malsain de trouver un certain plaisir ludique dans le simple fait d’être obligé de chercher par où et comment passer (et galérer un peu..). Je trouve ça tellement bon !