[dropcaps style=’2′]Il y a de ces jeux qui vous prennent aux tripes. De même qu’il y a de ces jeux qui renversent toutes les idées reçues. Limbo, c’est tout ça à la fois. Un jeu à la fois bouleversant émotionnellement parlant et qui renvoie au placard le raccourci si facile qu’un soft fort et intense se doit d’être sophistiqué. Playdead ne s’est pas encombré de fioritures et chemins sinueux pour développer son désormais incontournable de la scène indépendante que chaque gamer se doit au moins d’essayer au détour d’une plate-forme de téléchargement. Et pourtant, malgré ce simplisme apparent se cache une atmosphère singulière et tord-boyaux sur laquelle il est quasi-impossible de rester indifférent. Et puis, vu que Limbo a envahi tel un effroyable virus une pléiade de supports (les versions IOS et Android sont en chantier, vous n’aurez bientôt plus d’excuses pour passer à côté), il n’y a aucune excuse pour qu’on passe à côté. Et si par hasard vous n’êtes pas encore infecté ou que vous avez tout simplement peur du noir, laissez-vous guider par la lumière qui suit.[/dropcaps]
Retour aux racines
Une chose est sûre, Limbo est très loin de jouer dans le domaine de la sophistication. Fini les gros moments de prise de tête pour mémoriser les actions toujours plus nombreuses et inimaginables des jeux modernes, on revient à une configuration de pad tout ce qu’il y a de plus simpliste. Imaginez un peu que vous ayez la bonne vieille gameboy première génération avec un stick à la place de la croix directionnelle. Eh bien, voilà, c’est tout, vous n’aurez pas besoin de plus : le stick pour se déplacer, un bouton pour sauter, un bouton pour interagir et Start pour la pause. Et c’est qu’en plus, le bouton Select a même le luxe de servir à rien. A l’instar d’un LittleBigPlanet, on revient aux bonnes vieilles bases d’un point de vue maniabilité, simplissime à prendre en main mais apportant un gameplay varié dans le sens où c’est l’environnement qui l’apporte.
De la même manière que le monde du petit Sackboy, jouabilité aisée pour un jeu retord ! Le mélange entre la réflexion et la plate-forme est savamment dosé de telle façon qu’on se retrouvera tantôt à se triturer les ménages sur des « puzzles » (façon de parler car on ne se retrouve en rien dans des tableaux), tantôt à s’efforcer de montrer notre habileté dans des situation au timing exigeant en terme de plate-forme. Ce qui nous amène souvent à buter, tel de vieux titres comme Oddworld, Heart Of Darkness ou Another World. « Meurs, avance, meurs, avance… », voilà la boucle perpétuelle qui guidera votre épopée dans Limbo.
De la même manière on le comparer à ces vieux titres poussiéreux ainsi qu’à certains plus jeunes mais tout aussi emprunts de nostalgie, on retrouve le bon vieux scrolling horizontal. Une grande variété également étant donné pour que les situations évoluent au fil du jeu, passant de la toute bête au démarrage à la plus ardue qui mettront les nerfs à rude épreuve. Heureusement, les checkpoints sont nombreux et très bien disséminés, jamais une frustration autre que notre échec précédent (en particulier si c’est dû à une erreur toute con de notre part) ne viendra s’incruster. Par contre, le sentiment indésirable qui pourrait venir se joindre à la danse, ce serait certainement à propos de sa durée de vie qui est son seul et véritable défaut. Limbo est un jeu extrêmement court. En trois ou quatre heures, on en voit déjà le bout, ce qui est d’autant plus frustrant d’un côté que le rapport durée de vie/prix est franchement déséquilibré. Un peu moins de treize euros pour si peu, c’est tout de même abusé. Mais bon, d’un autre côté, cette (courte) échappatoire vidéo-ludique n’est vraiment pas synonyme de perte de temps.
Le minimalisme au service de la maturité
Si l’on met de côté le gameplay riche et varié dû au renouvellement perpétuel des situations, le mot d’ordre de Limbo est le minimalisme. Mais attention à ne pas prendre le raccourci si facile de comparer cet état de fait à l’enfantin. Si Limbo se voit affublé de la limite 18+, ce n’est pas pour faire joli. Un GTA, à côté, c’est vraiment de la franche rigolade pour adolescents en mal de sensations fortes (pour comparer deux titres soumis à la même limitation d’âge).
Tout d’abord, le style graphique, si simpliste. Un peu à la manière d’une vieille caméra, le noir et blanc est de sortie, toutes dents dehors. Oubliez les couleurs, c’est terriblement ringard quoi ! Au fil de l’avancée, le travail de mise au point vient nous émerveiller. C’est peut-être simpliste mais emprunt d’une personnalité tellement forte qu’on ne peut qu’y adhérer avec des étoiles dans les yeux. De même, on retrouve un concept similaire au niveau de la bande-son. Aucune véritable musique (à part à certains moments, de courts passages orchestraux pour appuyer certaines actions), simplement des bruitages et effets. Très en retraits qui plus est, un peu à la manière de certains films muets.
Et toute cette réduction à la plus simple expression pour en résulter à une atmosphère. Au final, l’atout principal de Limbo, c’est bel et bien ça, cette atmosphère particulière, mature. Sombre et oppressante, on a beau s’émerveiller du parti pris artistique, le reste n’est pas glorieusement positif. Mettre un tel jeu dans les mains d’un enfant, ce serait indubitablement une grossière erreur pour son équilibre. On a beau ne pas voir de sang, la violence est réelle et particulièrement sauvage. Voir un enfant se faire déchiqueter de toute part, c’est quand même tout un symbole pour nos esprits, avec ou sans sang, doté d’un style d’image plus conventionnel ou non.
Épurer au maximum pour atteindre la démesure
Et c’est cela qui rend Limbo si fascinant. Tout ce minimalisme qui apporte une atmosphère. Et cette atmosphère qui amène à une émotion totalement démesurée. C’est glauque, malsain et abject. On ne commence pas une partie du jeu avec la fleur au fusil mais plutôt avec la boule au ventre. Pauvre enfant qui se fait malmener sans vergogne. Ces bruits quand il se fait tuer. Intenable pour tout être doué d’une conscience. Dire que d’un certain côté, c’est nous, joueur, qui l’avons mené à cette fin atroce…
Ce petit être qui se balade dans ce monde sans pitié, truffé de pièges et de créatures étranges et sanguinaires, même si on ne le voit pas clairement, qu’on ne dispose d’aucune information sur son identité, ni même au sujet de cet univers ou comment il a pu se retrouver là, on s’y attache avec une facilité déconcertante. Non, tout ce qu’on sait, c’est qu’il se réveille là-dedans, aucun apparat de scénario, tout baigne dans le mystère total. Ah si, à peine sait-on que ce gamin se serait engouffré dans Limbo dans l’espoir de retrouver sa sœur, encore faut-il lire la description du jeu du Playstation Network (Xbox Live Arcade ou Steam selon la plate-forme concernée). Mais bon, même avec ça, on est dans le flou total.
Malgré tout, le « défloutage » n’a pas lieu d’être, c’est là que le soft puise toute sa force. L’inexistence nous force à gamberger. Et nos neurones tant mises à contribution vont commencer à voir d’autres images, ces scènes qu’on ne voyait pas clairement mais alignées dans nos crânes en alternative plus réaliste et visuelle avec toute la violence qu’elles amènent décuplées au centuple. Ce petit garçon, on finit par s’attacher à lui malgré les obstacles du minimalisme. On ne s’identifie peut-être pas à lui, on se pose plutôt comme un protecteur. Qui ne fait pas forcément bien son boulot qui plus est.
Limbo, c’est tout cela. Le mystère qui laisse la porte ouverte pour que notre cœur se cale dedans. Et il nous bouffe et nous déchire les entrailles. Notre esprit s’en ressort lui aussi meurtri. Il n’empêche qu’on ne peut pas s’empêcher de continuer, infâme fascination malsaine, quasi-hypnotique. De même que notre esprit n’arrive pas à se décoller de son désir de compréhension. Une chose est sûre, la fin, tout aussi peu avare d’explications sur le pourquoi du comment d’une telle pérégrination, ni même de ce qu’elle apporte et apportera, marquera le cervelet au fer rouge. De quoi meubler les longs moments solitaires d’ennui pour se perdre dans de longues réflexions contemplatives.
A la découverte de soi
En franchissant toutes frontières formelles du jeu en lui-même, le titre de Playdead s’avère intéressant sur un autre point. Il s’agit du jeu parfait pour se rendre compte du profil de joueur qu’on peut bien être. Du joueur appartenant à la case du « divertissement pur et dur » qui survolera le jeu en une poignée d’heures en ligne droite, sans réellement réfléchir et qui se retrouvera certainement lésé au bout du compte car pas assez long. Le joueur intermédiaire qui s’émerveillera devant la prouesse artistique ainsi que le charme qui en ressort et prendra plaisir sur un gameplay si bien foutu même s’il est bien loin de réinventer la poudre. Mais également le joueur prenant la passion au sens le plus noble, qui ouvrira pleinement son cœur et sa sensibilité pour s’y plonger à corps perdu et qui finira pleinement marqué de cette courte expérience. Mais ô combien intéressante à mener pour autant malgré le fait qu’on perd moult plumes en chemin tant on se retrouve vulnérable. Bref, vous l’aurez compris, malgré son défaut majeur, Limbo peut avoir beaucoup à offrir, c’est à vous de faire en sorte qu’il en vienne à vous cracher toute sa richesse en pleine face.
[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#00a0db;color:#FFFFFF; »]Au final, Limbo ne déçoit pas. Au contraire, il apporte bien plus que ce à quoi on pouvait s’y attendre. Il n’y a pas forcément besoin de venir faire de grands shows hollywoodiens pour marquer les esprits. Le jeu s’appuie en contre-courant total de tout cela en affichant des bases extrêmement minimalistes. Cela n’enlève en rien qu’il regorge de bien plus de charme et d’identité que les grandes sérénades pète-aux-yeux abrutissantes. Tout comme il peut apporter bien plus à notre esprit si on s’imprègne du soft entièrement, malgré le fait qu’il peut nous conduire à des positions bien délicates émotionnellement parlant.[/section]