Dernière série en date d’Atlus plus ou moins rattachée à la licence fleuve des Shin Megami Tensei, les Devil Survivor se distinguent du modèle qu’offrait le plus souvent la saga ces dernières années en y ajoutant une bonne dose de T-RPG, et ils en profitent pour offrir une esthétique manga branchouille et proposer un scénario très ouvert qui laisse la part belle aux nombreux choix du joueur. Pour un coup d’essai, le premier épisode s’avère assez réussi pour s’imposer comme un des RPGs les plus mémorables que propose un support pourtant assez peu avare en la matière. Rien que ça.
L’histoire qui nous est narrée commence comme souvent dans un Shin Megami Tensei par un Tokyo moderne rapidement confronté à une catastrophe d’origine occulte. L’avatar, que le joueur prendra soin de nommer comme à l’accoutumée, se retrouve dans la capitale japonaise avec ses bons amis de lycée Yuzu et Atsuro pour profiter des plaisirs d’une après-midi d’été. Le petit groupe doit normalement être rejoint par Naoya, cousin du héros et programmeur de génie à ses heures mais ce dernier leur pose un lapin et leur laisse trois COMPs, des consoles de jeux aux vrais airs de DS. Enfin, des DS qui auraient des véritables fonctions online et qui enverraient des e-mails un peu glauques prédisant des catastrophes qui finissent par se réaliser. Atsuro, lui-même informaticien un peu geek, entreprend rapidement de craquer la sécurité des appareils modifiés par les soins de Naoya pour y voir plus clair.
Et c’est là que les événements prennent un cours étrange. Les COMPs vomissent des démons que nos lycéens doivent vaincre à mains nues pour s’en rendre maître, la force de défense japonaise établit des barricades autour de Tokyo sous le prétexte pour le moins suspect de fuites de gaz toxiques, les activités d’un mystérieux culte ésotérique se font de plus en plus visibles et notre héros voit apparaître au-dessus des gens qu’il rencontre le nombre de jours qui leur reste à vivre. Gros problème : à l’intérieur des barricades, personne ne semble avoir plus d’une semaine à vivre. Encore plus gros problème : notre petit groupe se retrouve avec un délai encore plus serré.
Bref, le postulat de départ pose beaucoup de questions et instille une atmosphère d’urgence qui accompagnera le joueur du début jusqu’à la fin. L’aspect survie promis par le titre est bien présent en commençant par les rigueurs imposées par le blocus de Tokyo. Pas d’électricité, pas de transports en commun, pas d’accès régulier à de la nourriture… Même si ces données classiques de toute catastrophe naturelle ne constituent pas le cœur du propos de Devil Survivor, elles forment en permanence un cadre oppressant qui limite les actions de notre petit groupe de personnages et qui s’impose en permanence à eux alors qu’ils ont déjà bien d’autres choses à gérer. D’autant que plus le temps passe, plus la pression s’accumule et plus la situation dans la zone de quarantaine devient volatile et ingérable… En parallèle de la grande lutte occulto-cosmique dans laquelle sont plongés les personnages, la prise en compte de ces problèmes ordinaires donne au jeu une touche de crédibilité bienvenue : ici pas de super-héros inébranlables, juste une bande de jeunes qui doivent trouver où dormir, qui fatiguent à force d’errer au hasard et qui finissent à un moment ou à un autre par flancher.
Le tout est rendu plus intense encore par une gestion du rythme soutenue par la structure du jeu. Le menu principal du jeu est matérialisé par une carte de Tokyo assortie d’un menu listant une dizaine de hauts lieux de la capitale japonaise. Le joueur peut alors se « balader » librement en choisissant un quartier pour observer ce qui s’y passe, écouter les rumeurs locales ou participer à des batailles bonus permettant d’accumuler de l’expérience. Mais le cœur du jeu est clairement ailleurs, dans des événements et des combats assortis d’un logo en forme d’horloge et associés à un ou plusieurs des personnages principaux. Assister à ces passages scénaristiques coûte alors une demi-heure dans l’emploi du temps chargé de notre groupe de héros. Une journée s’avérant courte et les possibilités nombreuses, inutile d’espérer tout voir lors d’une première partie : il va falloir faire des choix et privilégier la découverte de certaines facettes du scénario au détriment d’autres. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un événement obligatoire qui arrive à l’improviste bouscule totalement un grand plan échafaudé par avance par le joueur.
Bien sûr, qui dit Shin Megami Tensei dit aussi (et surtout) nombreux secrets et conspirations occultes. Beaucoup de questions se posent dès le début du jeu et à chaque fois qu’une réponse est proposée, c’est pour mieux évoquer deux mystères de plus. A mesure que la trame progresse, on découvre des convergences entre les buts des personnages, les liens qui les unissent… quand ce ne sont pas les clivages viscéraux qui les séparent. Si les choix à faire s’avèrent plutôt tranquilles en début d’aventure, la dégradation de l’atmosphère au sein des de la ville verrouillée par le gouvernement radicalisent rapidement les rapports de force… au point que certains personnages ne tardent pas à mourir si le joueur n’y met pas bon ordre. C’est alors une très riche galerie de personnages qui est mise à profit : chaque joueur trouvera fatalement des personnages qu’il appréciera comme d’autres qu’il prendra très rapidement en grippe. Le jeu laisse donc le champ libre au joueur pour grandement influer sur les événements de la trame, tout en relançant très régulièrement la tension et l’action. Jusqu’au moment où il devra choisir son camp pour le grand finale en fonction de ses affinités avec tel ou tel personnage… si ce dernier a survécu jusque là. Avec cinq fins principales à débloquer et de nombreux pans du background à découvrir en choisissant de passer son précieux temps libre avec tel ou tel PNJ, Devil Survivor est donc un jeu à faire et à refaire.
Au niveau du gameplay, on peut résumer Devil Survivor comme la version Tactical-RPG des Shin Megami Tensei de génération PS2. Bon, les deux-trois ultra-fans de la série ergoteront comme d’habitude sans fin quant au fait que Devil Survivor n’est pas un « vrai » Shin Megami Tensei, la faute à un label absent du titre original japonais et rajouté par Atlus USA lors de la localisation américaine. Mais peu importe les considérations d’esthètes monomaniaques : on retrouve les mêmes démons à recruter, le même système de fusion, les mêmes skills et la même importance des faiblesses élémentaires à exploiter, à quelques variantes près liées au mélange de la « patte SMT » avec les mécaniques du T-RPG. Cet aspect Tactical est des plus classiques : quatre unités à répartir sur une map (chaque équipe constituée d’un invocateur et de deux de ses démons), une barre d’initiative pour garder un œil sur l’ordre des actions de chaque unité, une action de déplacement et une action d’attaque à gérer à chaque tour… Bref, on est dans le vu et le revu, le T-RPG tel qu’on le connaît depuis l’enfance du genre à quelques variantes près.
En effet, le système de classes typique des T-RPG est remplacé par les familles de démons bien connues de ceux qui auront déjà fait un Shin Megami Tensei. Ces clans accordent à leurs membres une compétence raciale qui prend toute son importance sur le champ de bataille : attaque à distance, soin à distance, possibilité d’enchaîner deux attaques contre une unité ennemie, déplacement en vol qui ne prend pas en compte les obstacles… La liste étant longue et chaque unité intégrant deux démons, les diverses combinaisons possibles donnent au système une fluidité qu’un simple système de classes n’offrirait pas. Notons au passage que le jeu se plaît à multiplier les buts à atteindre lors d’une bataille avec toutefois une nette prédilection pour la protection de civils. Qui plus est, il n’est pas rare que le choix soit offert au joueur d’adopter telle ou telle méthode, de s’allier avec tel ou tel camp ou qu’un événement imprévisible vienne changer la donne et les conditions de la victoire en plein milieu du combat…
Si les démons disposent de nombreux talents martiaux, ce n’est pas le cas de leurs invocateurs humains. Ces derniers vont devoir voler les compétences de certains adversaires en les tuant pour pouvoir les apprendre et les équiper par la suite. Lors de certaines batailles mettant en scène des démons disposant de pouvoirs rares, il faut alors tenir compte de ce facteur au moment d’élaborer sa stratégie. Chaque unité vise une compétence bien précise maîtrisée par un démon bien précis : si le démon est vaincu par une autre unité ou si la bataille prend fin avant que le vol n’ait pu avoir lieu, le joueur a perdu sa chance. De plus, chaque compétence ne peut être liée qu’à un seul invocateur. Il faut donc veiller à les répartir équitablement en fonction des statistiques de chacun pour trouver un maximum d’efficacité et éviter de se retrouver avec un poids mort dans l’équipe. On déplorera toutefois que le peu de compétences physiques disponibles et la prédominance d’adversaires invulnérables aux attaques de corps à corps en fin de jeu prédestinent une équipe de haut niveau efficace à compter une majorité de magiciens dans ses rangs.
L’aspect Shin Megami Tensei joue à plein quand deux unités adverses sont en contact. Le joueur a alors une vue subjective imprenable sur l’unité adverse, le temps d’un tour de combat évoquant les codes typiques du RPG nippon. Exploiter les faiblesses élémentaires de l’ennemi donne également une chance au chef de guerre perspicace de gagner des tours bonus ou de les faire perdre à son adversaire. L’attribution de ces actions supplémentaires repose toutefois sur une part d’aléatoire et est loin d’être garantie à chaque fois : cet aspect du gameplay prend donc une dimension bien moins capitale que dans un Shin Megami Tensei de génération PlayStation 2. Dans Devil Survivor, il est aussi important de déplacer stratégiquement ses troupes que de mener rondement ses escarmouches.
A l’issue d’une bataille, le joueur peut dépenser ses deniers infernaux durement acquis pour faire l’acquisition de nouveaux démons grâce à un système d’enchères. Ce dernier s’avère malheureusement assez peu commode du fait d’une sélection déterminée aléatoirement parmi un éventail de démons précis. En l’absence d’un Compendium qui permette de ré-invoquer les démons déjà apprivoisés à l’envi contre espèces sonnantes et trébuchantes, il faut donc soit assister à un événement du scénario, soit relancer la console pour ré-initialiser la sélection et espérer acheter le démon que l’on désire. Le tout n’est donc pas très ergonomique malgré une sélection qui s’étoffe à mesure que le personnage principal progresse et accumule des points de fidélité grâce à ses emplettes.
Mais pour obtenir des démons plus intéressants, il faudra s’intéresser à la fusion. Le principe est simple : on combine deux démons pour en obtenir un troisième d’un niveau supérieur. Alors que les Shin Megami Tensei ont d’ordinaire la désagréable habitude de rendre le processus aussi cryptique et aléatoire que possible, Devil Survivor fait heureusement office d’exception : un système de recherche permet de connaître toutes les combinaisons de démons possibles pour obtenir celui recherché, en mettant clairement en évidence les démons déjà possédés pour plus de visibilité, s’il vous plaît ! De la même manière, le joueur peut maintenant choisir directement de quelles compétences parentales le démon final hérite. Plus la peine de relancer des dizaines de fois la même fusion comme un autiste pour obtenir une sélection de compétences choisies aléatoirement à peu près potable, le joueur peut maintenant personnaliser comme il le veut les membres de son équipe en ayant pour seules limites les compétences natives du démon final qui ne peuvent pas être remplacées et le nombre total de six compétences (trois actives et trois passives). Avec un système de fusion aussi abouti, on ne peut que regretter une nouvelle fois l’absence de Compendium qui reste le dernier petit obstacle qui empêche le joueur adepte de micro-gestion de profiter sans retenue. Il se consolera peut-être en voyant que le jeu lui permet de remplacer n’importe laquelle des compétences actives d’un démon de son équipe par l’une de celles de la réserve des personnages humains quand il aura accumulé assez de Magnetite lors d’une bataille. De plus, son équipe de démons de haut niveau fait partie des nombreux bonus conservés lors d’un New Game +, à l’instar de nombreux petits bonus qui rendent une seconde partie beaucoup plus douce et plus rapide que la première.
Plutôt atypique pour un Shin Megami Tensei, Devil Survivor nous présente ses décors tokyoïtes selon une vue isométrique pendant les phases de bataille, T-RPG oblige. Qu’il s’agisse des quartiers de la capitale japonaise ou des sprites des personnages et des démons, le tout est retranscrit dans une 2D fine, pleine de vie et de petits détails. A l’occasion, une modélisation en 3D vient se perdre dans cet ensemble old-school et s’y intègre plutôt bien pour souligner un passage un peu grand spectacle. Le gros du scénario est quant à lui représenté de manière très classique : une boîte de dialogue, deux portraits animés de belle taille et un décor fixe au fond. Bref, si Devil Survivor ne décrochera pas un prix de beauté pour ses effets de lumière et son photo-réalisme, il parvient sans peine à évoquer une atmosphère crépusculaire de fin du monde branchouille, soutenu en cela par une interface et une présentation soignées comme sait si bien en faire Atlus.
Atypique également, le character-design n’est signé ni par Kazuma Kaneko, ni par Shinegori Soejima. C’est donc Suzuhito Yasuda, principalement connu pour le design des personnages de Durarara!!, qui s’y colle. L’esthétique manga/urbaine/branchée semble donc être son domaine de prédilection et cela se vérifie avec une galerie de personnages aux designs parfois perchés. Même si ce nouveau venu chez Atlus ne témoigne pas de la même maîtrise que ses illustres prédécesseurs, son design est à la fois frais et atypique, ce qui suffit à donner vie à tout un ensemble de personnages que l’on prendra plaisir à aimer ou à détester.
Atypique enfin, la bande-son a été laissée à un certain Takami Asano. Là encore, pour une première participation à un Shin Megami Tensei, le résultat est très convainquant, les différentes pistes atmosphériques soulignant à merveille les moments de tension du scénario, comme ceux de calme relatif. Et à l’occasion des combats, on voit revenir les traditionnelles sonorités rock de la série pour des thèmes pêchus qui mettent dans l’ambiance. Malheureusement, même si l’ensemble est très réussi, il manque quelque peu de personnalité et d’identité, surtout eu égard aux précédentes bandes-son de la saga occulto-apocalyptique d’Atlus.
Pour une série ayant si peu d’expérience en matière de T-RPG, Devil Survivor est une surprenante et incontestable réussite. Et si le jeu brille d’abord par l’atmosphère d’urgence et de tension qui va avec une ambiance de fin du monde vécue par le bas, il parvient également à faire la démonstration qu’on peut conjuguer un scénario cadré, riche et haletant avec une grande liberté de choix qui laisse au joueur beaucoup de latitude. Qui plus est, la substantifique moelle du gameplay si typique des Shin Megami Tensei se conjugue à merveille avec les mécaniques de jeu d’un RPG tactique et en profite même pour atténuer (voire faire disparaître) des défauts et des archaïsmes que la série se traîne comme des boulets depuis bien longtemps. On sent dans Devil Survivor une attention portée au moindre petit détail, le genre de soin qu’on imagine mal un grand studio consacrer à un projet mineur. Atlus le fait. Merci à eux.