floW et Flower avaient déjà défrayé la chronique de par leur singularité. Journey se voulait le titre le plus attendu du Playstation Network (SEN comme disent les milieux autorisés) des semaines avant sa sortie. Les joueurs semblaient être une fois de plus prêts à vivre un trip inédit. Ils ne risquent pas d’être déçus…
Journey vous met dans la peau d’un personnage totalement inconnu et mystérieux, en burqa rouge, à l’objectif tout aussi obscur. Pourtant, une montagne se détache de l’horizon. Faute de repère, vous n’aurez de meilleure idée que d’en prendre la direction. Les commandes se voulant intuitives, le didacticiel ne dépasse pas les trois instructions au démarrage de l’aventure, mettant fin à toute trace d’interface à l’écran. Thatgamecompany a d’ailleurs tout fait pour que le joueur achève son périple puisqu’il n’est pas possible de mourir ou de se perdre en raison d’un chemin tout tracé jusqu’au générique de fin. Seule caractéristique de notre petit héros (ou héroïne, c’est comme chacun le souhaite) : une écharpe ornée de multiples symboles, symboles qu’il est nécessaire de recharger auprès de parchemins volants. Rechargés, ils vous permettent de voler un certain laps de temps. Vous avez également l’opportunité de pousser un cri, appelant ainsi les parchemins à vous aider ou de longs tapis volants – l’univers de Journey étant, je le rappelle, très particulier. A l’aide du stick analogique droit, ou en inclinant la Sixasis (possibilité anecdotique bien vite oubliée), vous dirigez la caméra libre du jeu, permettant d’admirer les somptueux environnements de Journey.
Difficile de ne pas être sidéré devant la splendeur des décors. Epurés, ils s’autorisent des effets de profondeur et de lumière rarement aperçus sur console. Le Phyre Engine – moteur de jeu utilisé par les trois jeux de thatgamecompagy mais également Dark Souls de From Software, Amy de VectorCell ou encore Malicious d’Avion – semble faire encore des merveilles et vous réservent des panoramas parmi les plus beaux jamais vus sur console. Techniquement, Journey n’est pas très impressionnant, il lui arrive même de proposer quelques ralentissements sous certains angles, mais esthétiquement, il met une baffe à toutes les productions PS3 et Xbox 360 parues avant lui. Chaque chapitre se veut un peu plus « beau » que le précédent, vous donnant envie de vous arrêter quelques instants, rien que pour admirer le paysage, vous faisant regretter qu’il n’y ait pas une option appareil-photo ou capture d’écran. Votre fond d’écran aurait bien apprécié. Mère Nature n’est pas figée et il vous faudra contempler mais surtout affronter les tempêtes de sable et les courants d’air. Les environnements varient du tout au tout d’un chapitre à l’autre, partant de l’infernal désert et se dirigeant vers les cimes enneigés.
Et si sur le chemin vous croiserez diverses créatures, tels que des tapis volants mais aussi de gigantesques gardiens que n’aurait pas renié Fumito Ueda pour son Shadow of the Colossus, il est possible d’activer le coop en ligne, fait nullement obligatoire mais fortement suggéré à la fois par le jeu et son créateur Jenova Chen. Il vous arrivera alors de croiser d’autres joueurs voyageant en même temps que vous. Aucune interface ne vous permettra de réellement communiquer avec eux, seuls vos mouvements, voire vos cris, pourront leur mettre la puce à l’oreille sur vos intentions. Libre à vous de les suivre, de les guider ou de méditer avec eux. La moindre déconnexion se fait sans l’ombre d’une information et chacun disposant du même avatar, il vous faudra attendre les crédits finaux pour savoir combien de joueurs différents vous avez réellement croisés. Journey se veut à la fois minimaliste et gigantesque puisque si tout est réduit à son plus simple apparat – maniabilité, possibilités, énigmes, interfaces, scénario – il espère vous faire rêver et miroiter une aventure personnelle ébouriffante… Et c’est peut-être là que le bat blesse puisque le jeu se voulant tellement atypique, qu’il ne sera pas du tout perçu de la même façon par les joueurs, au point de provoquer des points de vue extrêmes…
Il faut dire que son rythme n’aide pas à garder l’oeil ouvert. Si le démarrage vous galvanise puisque c’est le départ d’une belle épopée, se dit-on, après deux ou trois chapitres, la sacro-sainte question survient : Et ? Le jeu a beau être une baffe visuelle, il n’en demeure pas moins vide de sens. Annonciateur de la poursuite d’une vérité oubliée – au travers de fresques à découvrir – Journey en oublie très vite son but et nous présente plutôt la courte histoire d’un inconnu gravissant une montagne. Ce destin aurait pu être intéressant à suivre, et à vivre, s’il y avait eu ne serait-ce qu’un doute quant à sa conclusion. Malheureusement, l’impossibilité de trépasser annihile toute inquiétude et toute motivation. A quoi bon progresser dans une aventure où vous ne pouvez échouer ? Comble du malheur, le mode en ligne, à défaut de rendre le voyage intéressant, irrite, puisque voir un joueur déboulant dans sa partie, sans crier gare, sans demander l’autorisation et en effectuant les rares interactions souhaitées en vous laissant sur le carreau est le meilleur moyen d’ôter le restant d’immersion qui vous restait. Le jeu ne requérant pas d’être deux pour avancer, il est donc préférable d’oublier les intrusions étrangères, les laisser aux beaux wallpapers qu’elles génèrent comme ci-dessous, et rester dans SON voyage. Mais encore une fois : quel était l’objectif de Journey ? Que chacun y vive une expérience personnelle ? Pourquoi avoir mis du online. Que chacun y tente une expérience à deux ? C’est penser que les joueurs pensent à l’unisson. Pour raconter une histoire ? Elle disparaît très vite au profit d’une triste ascension. Pour vivre une histoire ? Encore aurait-il fallu imposer un minimum de challenge. Journey donne l’impression d’un jeu lisse où les créateurs auraient tout miser sur la simplicité pour que les joueurs s’imaginent monts et merveilles prétextant à qui veut l’entendre puissance de récit et poésie. A ne pas confondre avec le vide.
Journey est difficilement recommandable, comme il est tout aussi impossible de l’interdire. Il s’agit d’une aventure singulière, qui a le mérite d’exister, mais qui ne fera pas l’unanimité. A ne pas vouloir imposer un objectif clair, Journey ennuiera ceux dont les jeux bacs à sable – et c’est le cas de le dire – laissent de marbre. Jenova Chen semble avoir oublié qu’un jeu doit aussi disposer d’un but et d’un challenge pour captiver le joueur. Sans compter que l’univers de Journey a trop vouloir être passe-partout en devient quelconque. En revanche, les rêveurs, ceux capables de rester des heures devant un beau paysage, seront émerveillés tous les dix pas. Car si le titre de Thatgamecompany est bien irréprochable sur deux points, ce sont bien évidemment sa bande son – téléchargeable sur le réseau de Sony – et son esthétisme à tomber par terre. Un véritable jeu papier-peint. C’est déjà ça.