La série des Castlevania est l’un des Grand Anciens de la culture vidéoludique. Le premier Castlevania de 1986, celui des origines, a initié un long défilé de jeux d’action qui ont mis à l’honneur les atmosphères gothiques. La série a ensuite connu un net virage en 1997 avec un Symphony of the Night qui a révolutionné la série en mettant au premier plan l’exploration et en intégrant des mécaniques de jeu venues directement du RPG, bref en inventant le « Metroidvania ». Alors que cette époque qui a vu la prédominance de Koji « IGA » Igarashi aux manettes de la série touche à sa fin entre deux épisodes en 3D honnêtes à défaut d’être pleinement convaincants et un Castlevania Judgment dont il vaut sans doute mieux rire que pleurer, la série entame une nouvelle fois sa mue décennale avec un studio espagnol aux commandes.
La trame du jeu met le joueur dans la peau de Gabriel Belmont, un membre de la Confrérie de la Lumière. Cet ordre vaguement religieux est en charge de l’extermination des diverses menaces surnaturelles qui planent sur l’Europe et cette année 1047 semble lui offrir beaucoup de travail. En effet, Dieu semble depuis quelque temps fort peu se préoccuper de son royaume terrestre, ce qui laisse le champ totalement libre aux lycanthropes, vampires et autres sorciers. La Confrérie envoie donc ses guerriers de par le monde pour découvrir la vérité sur cet étrange silence divin. Gabriel se met quant à lui en quête de Pan, un ancien dieu païen qui pourrait avoir des réponses à toutes ces questions métaphysiques. Grâce à ce dernier, Gabriel se met à la recherche des secrets de la Confrérie, mais aussi des seigneurs de l’ombre qui cacheraient sur leur territoire la source d’un pouvoir capable de réaliser de véritables miracles, et peut-être même de ressusciter les morts. De quoi motiver un héros qui vient juste de perdre sa femme Marie, assassinée par des inconnus.
Premier constat : visuellement, Lords of Shadow est en marge de tout ce qui s’est fait dans la série. Aux antipodes à la fois des designs basiques des origines de la saga, des portraits gothico-glamour d’Ayami Kojima sur la majorité des épisodes d’IGA et des illustrations manga d’un goût douteux des premiers épisodes DS et de Judgment, la direction artistique du dernier épisode en date s’affiche clairement comme étant occidentale. La différence est d’autant plus visible que Lords of Shadow met pleinement l’accent sur son esthétique, mettant en avant ses artworks dans ses cinématiques, soignant énormément ses angles de vue et faisant de chaque décor ou presque un tableau animé. Ce style visuel permet aussi au jeu d’intégrer des références toute occidentales au mythe du vampire dans la série japonaise. En effet, faire d’un des personnages majeurs de la trame une copie presque conforme de Christopher Lee, c’est rappeler qu’Hollywood aussi a contribué à la légende du comte Dracula.
Deuxième constat : alors que la série s’est jusqu’à présent contentée de faire une restitution de parc d’attraction des mythologies du monde en casant le maximum de monstres typiques du folklore occulte dans les couloirs d’un château labyrinthique, l’approche de Lords of Shadow est quelque peu différente. On sent l’identité occidentale (si ce n’est espagnole) de l’équipe dans cette restitution d’un Moyen-Age où la religion a une importance qu’elle n’a pas dans la série d’origine. La Confrérie de la Lumière est ainsi l’archétype de l’ordre de chevalerie catholique, l’explication du chaos ambiant est à rechercher du côté de Dieu et des démons et les derniers vestiges d’un paganisme moribond jouent un rôle non négligeable dans l’intrigue. En mettant en avant cette mystique judéo-chrétienne, MercurySteam présente sans doute un coin d’Europe médiévale un peu plus authentique que ne l’ont été les restitutions des différents cadres historiques de la saga, fantasmées par une vision japonaise en quête d’exotisme.
On est toutefois loin du documentaire mystico-historique, très loin. En effet, les anachronismes sont légion et on peine parfois à concevoir que l’aventure se déroule en plein Moyen-Age. Les niveaux inspirés par la traditionnelle Clock Tower paraissent à cet égard particulièrement insolites compte tenu du cadre historique. Mais surtout, MercurySteam puise en début de jeu une part non négligeable de ses inspirations dans une source très éloignée de l’identité de la série Castlevania, la fantasy. L’habitué de la saga sera donc sans doute surpris d’avoir affaire à tant de gobelins, de trolls et d’araignées géantes qui seraient sans doute plus à leur place dans un scénario de Donjons & Dragons. Cette vision envahit aussi malheureusement ce qui était sans doute l’une des idées les plus intéressantes du postulat de départ du jeu, la présence de dieux païens et de créatures féériques évoquant les anciennes croyances européennes. Les fées deviennent ainsi des sylphes luminescentes de carte postale bien éloignées du folklore souvent inquiétant entourant les légendes originelles, un folklore qui aurait pu constituer une source d’inspiration nouvelle pour évoquer l’atmosphère horrifico-gothique de la saga. Pan oscille quant à lui entre une apparence de base très proche de celle du Labyrinthe de Pan de del Torro et des métamorphoses qui ne seraient pas incongrues dans une adaptation vidéoludique du Seigneur des Anneaux. Même si le résultat final est très loin d’être déplaisant, on peut se demander si MercurySteam n’a pas raté une belle occasion d’intégrer au background une part plus importante inspirée de son patrimoine culturel espagnol au lieu de privilégier des références à une pop-culture américanisée plus passe-partout. Ce côté quelque peu hollywoodien se retrouve même dans la bande-son très « musique de film », efficace pour accompagner l’action mais jamais mémorable. Michiru Yamane semble bien loin.
Le deuxième tiers du jeu renoue quant à lui avec l’atmosphère gothique et horrifique de la saga, mais l’identité globale de ce Lords of Shadow s’en affranchit clairement, offrant à de nombreuses reprises de petites expérimentations bien senties au niveau de l’ambiance. On sent toutefois l’énorme attachement de MercurySteam à Castlevania, en témoignent les très nombreuses références à la série qu’il s’agisse de réinterprétations totales de personnages bien connus du background (c’est le cas de Cornell et de Carmilla), de clins d’œil plus ou moins fugaces aux autres épisodes (l’évocation de la famille Cronqvist et de Rinaldo Gandolfi parleront à ceux qui ont fait les opus PS2) ou de la reprise d’une piste mythique de la saga à l’occasion d’un niveau pour le moins original.
La trame de Lords of Shadow reste quant à elle dans la veine de la série : simple et efficace à défaut d’être d’une originalité folle. Il est toutefois à noter que le scénario offre de petites distractions bienvenues entre les grandes parties consacrées à la lutte contre les seigneurs de l’ombre éponymes grâce à la présence de courts chapitres consacrés à des antagonistes mineurs sans rapport avec le reste de l’intrigue. On sent d’ailleurs une volonté de peupler et de faire vivre l’univers du jeu en faisant appel à un nombre conséquent de PNJs pour un Castlevania. Il y a malheureusement un revers à cette médaille : même avec une durée de vie très honnête d’une vingtaine d’heures, le temps manque pour donner un relief conséquent à ces personnages et ils ont malheureusement tendance à traverser très rapidement le scénario sans y laisser une empreinte mémorable. Même les seigneurs de l’ombre ont tendance à passer en coup de vent et seul Zobek et Pan se distinguent par leur rôle partagé de mentor et de guide. Gabriel est d’ailleurs un personnage très plaisant à suivre que l’on sent évoluer dans des directions inattendues à mesure que sa quête vire à l’obsession. Le dernier chapitre offre malheureusement une conclusion un peu faible et décevante à la trame en abusant de clichés et de grosses ficelles narratives. Le tout est heureusement rattrapé par un court épilogue qui ouvre un boulevard pour une suite qui s’annonce trépidante.
Le gameplay ne fait pour sa part pas dans l’originalité : on se retrouve face à un jeu d’action des plus classiques. Deux types d’attaques, un bouton qui sert à saisir les adversaires et un autre à sauter, des combos à acheter avec des points d’expérience et des ennemis à achever en appuyant sur un bouton au bon moment, des mouvements supplémentaires à acquérir qui enrichissent la palette de coups et qui permettent d’accéder à de nouveaux passages… La partie action de Lords of Shadow, c’est à 90 % du déjà-joué efficace auquel on ajoute parfois un colosse à escalader pour le côté épique.
Au chapitre des originalités, on retiendra les sub-weapons typiques de la série que Gabriel récupère au fil de son aventure et entre lesquelles il peut maintenant jongler à tout moment, et les deux jauges de magie de lumière et des ténèbres. C’est d’ailleurs l’utilisation de la magie qui constitue la dynamique de base du combat passé un certain stade : si le « mode lumière » permet à Gabriel de se guérir à chaque coup de fouet et le « mode ténèbres » lui permet de faire considérablement plus mal, seuls les combos infligés aux ennemis sans l’aide de la magie font apparaître de précieux orbes d’énergie qui permettent au joueur de régénérer la jauge de son choix.
On doit donc alterner efficacement entre attaques normales et attaques magiques pour éviter de tomber à court d’énergie occulte, choisir entre une approche offensive et une approche défensive en fonction de la tournure du combat et gérer efficacement ses ressources pour éviter de se retrouver à sec au pire des moments. Il s’agit là d’un système très simple et intelligent qui offre à une base de gameplay largement éculée une richesse nouvelle et une identité forte. Tout simplement la meilleure idée de gameplay du jeu.
Concernant de l’exploration, le soft épouse amoureusement l’approche de la ligne droite. En dehors de quelques rares passages qui offrent le minimum syndical de méandres, la mode est au couloir avec parfois un ou deux embranchements. L’essentiel de l’effort à fournir consistera donc à revenir dans les précédents niveaux armés de nouvelles capacités pour récupérer un objet perdu dans un passage autrefois inaccessible ou à longer les murs invisibles pour repérer des salles cachées par des angles de caméra fourbes. Mais pour atteindre les traditionnels 100 % dans chaque chapitre, il faudra maintenant aussi refaire les stages dans les autres niveaux de difficulté et relever des défis divers et variés dont l’intérêt et la difficulté sont à géométrie variable. Chacun jugera si faire et refaire les niveaux ad nauseam pour détruire un certain type d’ennemis à la chaîne, finir un passage en temps limité ou battre un boss sans se faire toucher se révèle un apprentissage jubilatoire visant à maîtriser totalement les mécaniques du jeu ou une tâche répétitive et pénible qui ne justifiera pas qu’on y passe des heures juste pour gonfler un simple score en pourcentages.
On sent donc bien que MercurySteam s’inscrit davantage dans la lignée des premiers épisodes de la série orientés action que dans la veine des Metroidvania. Le choix est assumé, mais les amateurs d’exploration qui ont aimé la série avec Symphony of the Night et ses suites trouveront l’ensemble vraiment limité. Il en est de même pour l’évolution de Gabriel qui se résume maintenant à une collecte d’upgrades qui permettent à notre chasseur de vampire de transporter ses subweapons en quantités plus importantes, et de fragments de barre de vie et de jauges de magie. Seule dérogation à cette optique, Lords of Shadow se distingue de l’action pure en proposant une dose inhabituelle d’énigmes. Diversifiées et toujours cohérentes avec l’action, elles ne posent jamais un challenge conséquent au joueur mais offrent régulièrement une petite touche rafraîchissante entre deux massacres de mobs en série.
Si les deux périodes phares de la saga ont été très succinctement abordées dès l’introduction, c’est parce qu’une question se pose fatalement en faisant Lords of Shadow. « Est-ce un vrai Castlevania ? » Le reboot est à la mode ces dernières années et il arrive de plus en plus souvent que des séries typiquement japonaises finissent entre les mains de studios occidentaux, comme peuvent en attester Front Mission, Silent Hill ou Devil May Cry. Se pose alors toujours le problème de la définition de l’identité du matériau d’origine et du respect qui lui est accordé. Ce concept d’identité d’une série est difficile à approcher tant il repose sur une large gamme de facteurs, des mécaniques de gameplay au thèmes abordés en passant par l’univers, l’atmosphère générale et l’équipe qui est en charge du boulot.
Avec Lords of Shadow, c’est un véritable emblème de l’âge d’or du patrimoine vidéoludique japonais qui fait le trajet d’est en ouest, et une licence qui a eu plusieurs décennies pour affirmer ses codes. Par-delà cette séparation entre un premier âge orienté action et un deuxième axé sur l’exploration et l’emprunt d’éléments issus du RPG, Castlevania reste pour l’essentiel du jeu de plates-formes 2D à l’ancienne, une lutte contre une émanation ou une autre de la menace Dracula, une confrontation de forces en présence récurrentes comme les alliés traditionnels du comte et le clan Belmont, l’ombre lugubre d’un château transylvain qui plane en permanence au-dessus de la trame, etc… Et on ne retrouve pas grand-chose de tout ceci dans le jeu de MercurySteam. Le gameplay centré sur les combats et les niveaux rectilignes essayent d’évoquer de manière moderne le feeling action des premiers épisodes, et les clins d’œil et relectures de certains éléments de la mythologie abondent. Mais on peine à vraiment retrouver l’ambiance Castlevania dans Lords of Shadow malgré tous les efforts évidents d’une équipe d’amoureux de la série pour créer des ponts avec le matériau d’origine.
Si on peut être très élogieux sur Lords of Shadow, difficile d’être aussi enthousiaste concernant les DLCs Reverie et Resurrection. Enfin, parler de DLCs au pluriel relève davantage de l’entourloupe tant Konami innove dans le domaine de l’arnaque, visiblement très à la mode chez les éditeurs en ce moment. En effet, il fallait du culot pour inventer la fin du DLC… disponible en DLC.
L’histoire de Reverie se déroule ainsi entre le dénouement de la quête de Gabriel et le mystérieux épilogue qui clôt le jeu. Et à vrai dire, la promesse de quelques éléments visant à expliquer cette curieuse note finale est le principal argument de vente de ces deux chapitres supplémentaires (après tout, une fois passé à la caisse, Konami n’a plus honte de rien et les deux DLCs apparaissent sur la map comme étant les chapitres 13 et 14 du jeu).
Sitôt après son dernier combat, Gabriel est ainsi appelé à l’aide par Laura qui le fait revenir dans le territoire des vampires pour l’aider à contenir une menace intemporelle scellée par les fondateurs de la Confrérie de la Lumière et qui commence à se libérer de ses entraves suite aux événements du jeu… Autant dire qu’en matière de prétexte, on a connu beaucoup plus inspiré. Reverie est ainsi l’occasion de revenir dans le château du deuxième tiers du jeu et d’en explorer de nouvelles zones. Très axé sur les énigmes et offrant de nouveaux décors très réussis, il se révèle plaisant à suivre, d’autant qu’il offre de temps en temps l’occasion au joueur d’incarner Laura lors de rafraichissants changements de gameplay. On aurait pu croire qu’à l’instar des Metroidvania d’antan, finir cet épisode bonus aurait donné l’occasion au joueur de recommencer l’intégralité du jeu avec ce nouveau personnage histoire de donner un nouveau souffle à l’expérience, mais ce serait oublier un concept de base : ne jamais trop en demander à un DLC dont le but est d’offrir le service minimum pour un prix maximum.
Un principe que Resurrection ne fait même plus semblant d’honorer en faisant payer séparément le boss qui aurait du se trouver à la fin de Reverie. Et autant le premier DLC offre une expérience de jeu honnête du même niveau de qualité que le reste de Lords of Shadow, autant ce dernier affrontement entrecoupé de quelques scènes de plates-formes mal conçues est lamentablement répétitif et laborieux pour des révélations promises au final bien trop convenues. Bref, Resurrection est ce qu’on appelle une grosse foirade.
De plus, le syndrome récurrent du manque de cohérence entre les DLCs et le jeu d’origine se manifeste une fois de plus par le biais d’une narration tout en cinématiques réalisées à base d’artworks animées. Plutôt classes, elles n’en tranchent pas moins avec celles qui présentaient l’intrigue du reste de l’aventure. On propose aussi au joueur de chercher quelques objets cachés dans les décors sans trop savoir pourquoi. En effet, ces objets ne servent à rien et n’apportent rien à la différence des divers upgrades apparus dans le reste du jeu, ou même des parchemins qui détaillent quelque peu l’atmosphère ou l’univers du jeu. Bref, le tout transpire plutôt la facilité et la flemme.
Bref, chacun jugera de la pertinence de ces deux DLCs. Pour une bouchée de pain, on pourrait se laisser tenter. Mais quitte à payer une vingtaine d’euros pour quelques maigres heures de jeu dont la moitié est lamentablement foirée, il vaut mieux prendre les devants. Acheter le jeu d’occasion en prévision pour rentrer dans ses frais au cas où on se laisserait tenter par exemple…
Si cette relecture occidentale apporte de nouveaux éléments à la série Castlevania, que conserve-t-elle de ses codes ? Et bien en fait, pas grand-chose si ce n’est rien. Là où Lament of Innocence et Curse of Darkness se sont efforcés à prendre le modèle originel en 2D et à le faire rentrer tant bien que mal dans les codes de la troisième dimension, MercurySteam a fait un jeu d’action-aventure en 3D nourri à coups de références bien senties inspirées par son amour de la saga de Konami. Cette différence d’approche est peut-être à la fois le plus gros souci de Lords of Shadow et son plus gros atout. Son plus gros souci parce que le jeu est surtout l’hommage d’une bande de fans et ne sera sans doute jamais reconnu comme un « vrai » Castlevania par ceux qui aiment la série depuis deux décennies tant il s’en distance. Et son plus gros atout parce que s’affranchir des origines était sans doute le seul moyen d’offrir à la fois un gameplay très convainquant et un peu de fraîcheur et d’originalité au soft. La question est de savoir si l’on cherche un Castlevania dans la lignée de tout ce que la série a offert depuis vingt ans… ou juste un excellent jeu.