Ces pnjs qui nous prennent par la main

La conscience comme phénomène mental :

« Snake ! Make me feel alive! »

Place à un peu de terminologie. Dans un premier temps, il convient de préciser rapidement quelques termes, afin d’éviter tout abus de langage. Lorsque l’on parle de « conscience », il faut d’emblée faire le distinguo entre le phénomène mental et la conscience morale. Dans le premier cas on parle de la perception de soi ou du monde. Il s’agit du fait d’appréhender le Soi ou le monde extérieur grâce à des mécanismes purement subjectifs (perceptions internes, émotions, relativisation par rapport à son contexte sociologique, son éducation, etc…).
Pour Descartes, comme il l’écrit dans les « Méditations Métaphysiques » : « l’âme est un rapport à soi ». En ce sens, pour lui, la conscience est un fait. Les anthropologues l’attribuent à l’homme, les chimpanzés, et d’autres espèces simiesques, comme la faculté de pouvoir se représenter, même de façon très simplifiée, sa propre existence. Pour ce qui nous intéresse ici, on retiendra cette idée de « représentation de sa propre existence ». Cette idée peut se décliner sous de multiples façons symboliques au cinéma comme dans les jeux vidéo. En effet, la notion d’Alter Ego, la sémantique des images liée au miroir et aux reflets : autant d’éléments récurrents qui accompagnent immanquablement les séquences dans lesquelles le personnage prend conscience de ses actes, du monde qui l’entoure, voire de lui-même.

Je m’adresse à toi, donc tu es !
Les First Person Shooter : ou comment faire exister un héros que l’on n’est pas censé voir

Un genre de jeu auquel ce phénomène profite, est certainement le First Person Shooter. Les expériences les plus marquantes en terme d’immersion sont celles où l’existence du héros que l’on incarne et que l’on ne voit presque jamais est évoquée lorsque des PNJ s’adressent à nous.
Le tutorial du tout premier Halo est à ce niveau, un exemple flagrant. Les commandes du jeu sont expliquées par un instructeur qui souhaite vérifier le bon fonctionnement de l’armure du Master Chief. D’emblée, c’est une petite assistance de 4 ou 5 personnes qui regardent et conversent avec le personnage (et donc le joueur). Ils ne le quittent pas des yeux lors de ses déplacements dans la salle. Efficace. Encore plus que le coup du miroir. En effet, lequel d’entre nous ne s’est jamais arrêté devant le premier miroir qu’il croise au cours d’une aventure FPS ? Les sauts, et autre pitreries effectuées devant la glace n’expriment-ils pas le plaisir et la légère fascination de « voir » (enfin !) le personnage que l’on incarne ? Le moment où l’on prend conscience de son existence ? Un certain personnage de Metal Gear Solid, mal localisé, dirait : «  Fais-moi sentir vivant! ». Snif…

Notre ami le Freeman (celui de City 17, pas le tatoué qui pleure!) lui, a connu une nette « prise » de corps entre Half-Life 1 et sa suite. Sa première aventure, il la mène à bien seul. Et voilà que la charmante Alix vient illuminer ses heures sombres de sa sympathique présence dans Half-Life 2. La belle trouve même la patience de nous expliquer précisément le fonctionnement du Gravity Gun. Un bien joli tutorial cette Alix! A l’opposé, et dans le même univers (Portal), sévit la non moins charmante GLaDOS qui nourrit une toute autre forme de bienveillance envers Chell dans un bel hommage au HAL de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». Le background du jeu implique une certaine hostilité frigide de la part de GLaDOS envers le joueur. En même temps, comment bien aborder le jeu sans les explications et autres commentaires de cette Intelligence Artificielle qui rythment et guident notre progression?

Pour en revenir à notre sujet principal, nous évoquerons le lien permanent entre le Master Chief et Cortana. Celle-ci commente, précise, s’affole… Dans certaines missions son absence se fait bien « ressentir » : les développeurs profitent du fait que le joueur soit conditionné à sa présence pour créer du stress en nous retirant cette présence bienveillante dans certains chapitres. Il y a quelque chose de rassurant dans l’idée qu’une autre entité voit et vit les évènements exactement comme le joueur. Il semblerait que cela apporte aussi de la clarté dans le déroulement des conflits, qui serait peut être difficile à appréhender en étant seul.

 

Nous finirons avec les FPS, en évoquant la généralisation dans les scenarii et le gameplay de la présence d’alliés, véritablement récurrente. Ceux-ci participent à l’immersion, à la mise en évidence des objectifs, et à la dramaturgie des évènements. Et ce, par leurs exclamations et autres dialogues intégrés dans le déroulement même des missions. Imaginez-vous au milieu d’un conflit à la Modern Warfare, sans une seule voix ni un seul commandement venant nous indiquer quoi faire et où aller. Bon, l’exemple n’est peut être pas si évident que cela, puisque j’entends déjà des mauvaises langues plaisanter à coups de « Il n’y a qu’à suivre le couloir ». Bref, on aura saisi l’idée.

Personnellement, je vois dans ces artifices (donner des informations au joueur par des dialogues et des réactions d’alliés gérés par l’IA), le même principe d’exposition qu’au cinéma. Quand un réalisateur souhaite nous donner des indications sur le cours d’une bataille à grande échelle, ou d’un conflit impliquant des milliers de têtes, il n’a d’autre choix que d' »exposer ». Derrière ce terme dramaturgique se terre le principe qui consiste à indiquer clairement au spectateur les différentes phases de la bataille au moyen de dialogues, d’exclamations ou de commentaires débités, la plupart du temps, par des personnages qui, en réalité, n’ont aucun moyen de se rendre compte de la situation (par exemple, parce qu’il sont à 500 mètres du coup d’épée héroïque qui change le cours de la bataille). Sans ces méthodes qui servent à donner les informations et à rythmer les évènements, le spectateur (ou le joueur) se perdrait. Il s’agit donc, de mon point de vue, d’une méthode cinématographique d’exposition appliquée dans un univers de jeu vidéo. Ainsi, trois objectifs fondamentaux sont remplis. Premièrement, le joueur n’est jamais perdu car on l’abreuve d’indications. Deuxièmement, son immersion s’en trouve largement renforcée. Enfin, le fait que des PNJs s’adressent au joueur/héros, ce dernier prend corps au sein de cet univers, développant virtuellement cette « conscience d’exister » définie un peu plus haut.

« Par ici ! »