Enfermez-vous dans une pièce, seul(e), éteignez-les lumières, branchez le casque, et (re-)plongez avec nous dans le macabre univers des survival horror. De façon occasionnelle, Mizakido et Vidok vous proposent de revenir sur un titre, dans une ambiance décontractée, pleine d’anecdotes, de tranches de vie et d’infos en tout genre. Chaque jeu sera choisi par l’un des deux rédacteurs et chacun devra justifier de son choix, certains, vous le verrez, seront des plus exotiques… Attention, âmes sensibles s’abstenir, ça va gicler.
Mizakido : Comment en est-on arrivé à jouer à cette chose ? Un vieux rêve de gamer, c’est ça ?
Vidok : De gamer malheureusement un peu trop curieux… La Dreamcast, console incomprise de Sega, a su présenter une pléthore de titres absolument géniaux. Tout le monde – ou presque… – désirait sortir des jeux dessus. Tous les genres étaient représentés, y compris le survival horror. Entre les captures d’écran de Code Veronica et autres Illbleed, se trouvaient celles d’un dénommé Carrier. Les informations distillées par l’éditeur et développeur Jaleco – paix à son âme – laissaient supposer une suite spirituelle à Deep Fear, un autre survival horror, de Sega, sur Saturn. Un très bon titre, déconseillé aux claustrophobes puisque se déroulant dans un sous-marin des plus glauque. Super. La fin de la console se faisant, le titre n’a jamais été édité en France, uniquement dans quelques pays européens, dont le Royaume-Uni. Pourtant, la localisation française est bel et bien présente sur la galette. Assez vite oublié des médias, ce survival horror m’a toujours donné envie, envie de me plonger dans son univers malsain, en pleine mer, dans la peau de Jack Ingles.
▲ On vous épargne l’introduction sous-titrée en français, vu qu’elle est introuvable, et en plus mal traduite.
Mizakido : Il faut bien avouer que j’ai également été intrigué quand tu m’as présenté cette « exclusivité » anglaise avec enthousiasme. Et une fois le jeu lancé, cet intérêt n’a guère baissé, du moins avec l’introduction qui nous plante le scénario : l’Heimdal, un énorme porte-avion américain, alimenté par et équipé avec du nucléaire à en dégueuler, reste bien silencieux. Un silence qui pousse le gouvernement à envoyer deux équipes de soldats d’élites, les SPARC, à aller voir ce qui se passe. La première équipe est arrivée à se poser sans soucis, mais ne donne plus signe de vie. Bah tiens. La seconde équipe, dont notre héros Jack Ingles fait partie, se pose en catastrophe : l’Heimdal a en effet automatiquement détecté que l’hélicoptère de l’escouade était un nuisible, et a ouvert le feu. Touché. Voilà donc notre protagoniste bien dans la merde, seul, sur un énorme navire bien trop calme. On ne tardera pas à comprendre que le vaisseau nucléaire est infecté par une sorte de virus, entité, maladie, malédiction, ou je ne sais quoi d’autre. Et c’est là que Carrier commence à (déjà) montrer son véritable visage… D’ailleurs en parlant de trombine, les jaquettes américaines et européennes du jeu de Jaleco ne sont pas sans rappeler celle de Resident Evil 2, ou un autre survival horror. Une mode de l’époque ?
Vidok : Les ventes de Dreamcast n’étaient pas mirobolantes, exception faite du marché américain, et encore. Du coup, proposer une jaquette rappelant l’un des « fastest-selling video games » comme ils disent, semblait être une bonne idée. Et vu le peu de soutien marketing, c’était même la seule idée. Outre la jaquette, Jaleco a d’ailleurs tout essayé pour faire de son jeu un attrape-couillon – non : pas de commentaire. Carrier se passant en vase clos sur un bateau, les nostalgiques de Deep Fear se sentaient forcément titillés. Deux héros, un homme, en uniforme, très professionnel, très carré, et une jeune femme au fort caractère – mais au même modèle physique… – dont le scénario se débloque une fois le premier achevé, rappellent une fois encore Resident Evil 2. Les quelques ennemis invisibles de la fin du jeu qu’il est nécessaire d’entendre, ou de détecter, ici, au travers du scanner ne te rappellent-ils pas Enemy Zero ? Jaleco n’était pas réputé pour son originalité et l’a démontré une fois de plus avec ce Carrier. Plans fixes, maniabilité rigide, et ô combien rigide, carte magnétique à rechercher, allers-retours intempestifs, inventaire limité, rythme cardiaque symbolisant la vie du protagoniste. On est à deux doigts de se croire dans la série de Capcom, le savoir-faire en moins…
▲ C’est fou ce que l’on peut trouver avec l’Internet Archive. Voyez plutôt. Des artworks de malade, ressuscités des profondeurs diaboliques du web. Avouez que c’est beau.
▲ Rassurez vous, nous n’y voyons pas plus ici que dans le jeu avec un écran de 80 cm.
▲ Pouvoir viser n’importe où ? Quelle bonne idée !
Vidok : Les ventes de Dreamcast n’étaient pas mirobolantes, exception faite du marché américain, et encore. Du coup, proposer une jaquette rappelant l’un des « fastest-selling video games » comme ils disent, semblait être une bonne idée. Et vu le peu de soutien marketing, c’était même la seule idée. Outre la jaquette, Jaleco a d’ailleurs tout essayé pour faire de son jeu un attrape-couillon (non : pas de commentaire). Carrier se passant en vase clos sur un bateau, les nostalgiques de Deep Fear se sentaient forcément titillés. Deux héros, un homme, en uniforme, très professionnel, très carré, et une jeune femme au fort caractère – mais au même modèle physique… – dont le scénario se débloque une fois le premier achevé, rappellent une fois encore Resident Evil 2. Les quelques ennemis invisibles de la fin du jeu qu’il est nécessaire d’entendre, ou de détecter, ici, au travers du scanner ne te rappellent-ils pas Enemy Zero ? Jaleco n’était pas réputé pour son originalité et l’a démontré une fois de plus avec ce Carrier. Plans fixes, maniabilité rigide, et ô combien rigide, carte magnétique à rechercher, allers-retours intempestifs, inventaire limité, rythme cardiaque symbolisant la vie du protagoniste. On est à deux doigts de se croire dans la série de Capcom, le savoir-faire en moins…
Mizakido : En effet. Les balades dans ces décors métalliques et tortueux, ça va cinq minutes, surtout quand la carte est aussi mal fichue, et qu’on vous indique lors d’une conversation des destinations exotiques comme la salle D2 sur le pont E5. J’extrapole un peu, mais on se perd souvent, à se demander où aller ensuite. Heureusement qu’on n’est pas sans cesse agressé par des ennemis rapides, car ces derniers sont absolument dépourvus de vitesse, voire de réactivité. Plus l’ennemi est gros, plus il est stupide et ira même jusqu’à nous regarder sans réagir alors qu’on est en train de lui rouler une galoche. C’est pourtant avec eux que l’on peut utiliser la seule véritable idée du jeu, à savoir le scanner. Ce dernier permet, comme son nom l’indique, d’analyser l’environnement en passant à la première personne, et de détecter des ennemis invisibles comme dit précédemment, mais aussi des parties cachées ou endommagées du navire, et, originalité, de savoir si une personne est infectée ou non. Une originalité sous-exploitée, car finalement, on ne s’en servira que quoi… Une fois ? En même temps, c’est tellement la punition visuelle quand il s’agit de rechercher un méchant – qui sera sans doute coincé dans un coin de mur vu le pathfinding pourri qui règne sur l’ensemble du jeu – que c’est plutôt sympa de la part des développeurs. Par contre, ils auraient pu s’abstenir de la partie shoot, très peu inspirée et surtout pas pratique. Il suffit de prendre la visée d’un Resident Evil, de remplacer le simple droit de tirer sur trois axes différents (en hauteur, en face de soi et à ses pieds) par la possibilité de positionner son viseur rouge comme on veut, d’implémenter une pseudo localisation des dégâts… Et paf. Cela ne fait pas des Chocapic, mais plutôt des Weetabix qu’on a oublié d’accompagner de je ne sais quelle garniture. Sauf que les Weetabix c’est pas mauvais et que le système de tir dans Carrier si. Il faut s’y reprendre souvent deux ou trois fois pour toucher un truc. Heureusement qu’il y avait ce soudeur…
Vidok : Les prémices de Dead Space ! EA a tout piqué à Jaleco, je te le dis. Maintenant que nous sommes arrivés à la fin, il faut bien reconnaître que l’arme du jeu est incontestablement ce soudeur. Non concerné par les munitions, il propose d’envoyer des décharges aux ennemis proches. Toutefois, la combinaison portée, puissance de tir et vitesse adverse fait qu’il est tout à fait possible d’absoudre la moitié du bestiaire rien qu’avec elle. Le moindre ennemi isolé devient la proie idéale pour cette arme. L’armement du jeu est correct mais sans aucune originalité et n’est vital qu’en cas de boss. Difficile de ne pas arriver face à chaque maître des lieux sans une cargaison de munitions d’avance. Ces derniers, peu nombreux, tous kitsch – sans exception – ne font que conforter l’idée que Carrier prête davantage au rire. Et c’est sans compter sur les objets tous plus classiques les uns que les autres. Avec le recul, heureusement vu l’ergonomie discutable de l’inventaire. Les mémos, eux, enfoncent le clou grâce à l‘horrible traduction française. Fautes, phrases coupées, oublis de traduction, … Ils confirment la mauvaise impression liée aux dialogues du jeu. A l’instar de tout bon survival qui se respecte, Carrier nous fait rencontrer d’autres survivants, ponctuellement, au travers de cinématiques rarement aussi mal mises en scène qu’ici. Personnages rigides, doublage aux fraises, angles de caméra mal choisis. Mais comment Jaleco a pu autant rater son titre ?
Mizakido : Peut-être par une absence de d’assurance qualité ou de simples tests, les développeurs ont parfois tendance à oublier cette partie. Tester c’est douter, c’est bien connu. Je rajouterai, avec délectation, que le boss de fin est absolument pitoyable, non pas par son design directement piqué à un Resident Evil, mais par son absence totale d’agressivité. On aurait pu croire que même en ayant apparemment raté la meilleure arme du jeu (un lance-grenades), cet ultime combat serait épique, mais non, absolument pas. On tourne autour du pachyderme boiteux en évitant d’être dans sa ligne de mire quand il attaque mollement, trois coups de pistolet et puis plus rien, tombée du rideau. On n’oubliera pas non plus l’amour fraternel de notre héros porté à son frère, qu’il vouvoie sans arrêt. Pire ! Au final, le second scénario du jeu, débloqué après la purge du premier, est largement plus intéressant et mieux ficelé. M’enfin, se taper huit heures de jeu pour ça… Non, beaucoup, beaucoup – trop – de choses sont ratées dans Carrier : scénario, graphismes, maniabilité, véritable originalité, intérêt… On retiendra tout de même une bande son pas trop mal, arrivant à instaurer avec peine une ambiance horrifique, et aussi ce fameux « angle de caméra » – source de rires chez vos serviteurs – élan de qualité et digne de celui qui a estomaqué les joueurs au début du premier Silent Hill. Les connaisseurs sauront que quel moment nous voulons parler. On comprend au final pourquoi personne n’a osé éditer le jeu en France…
Vidok : Et dire que ce titre me semblait une curiosité intéressante… De minutes en minutes, d’heures en heures, le regret d’avoir lancé le titre dans la console croit jusqu’à souhaiter une fin rapide. Comme tu disais les scénarios auraient dû être réajustés, le premier plus court, le second plus long. Ou Jaleco aurait dû juste faire un bon jeu, cela marche aussi. Puisque ce que l’on retient de Carrier, au final, c’est huit heures de lutte contre une maniabilité récalcitrante, des ennemis pitoyables et une mise en scène digne des plus grands nanars. La Dreamcast n’avait pas besoin de cela, clairement, et avec le recul, il est compréhensible que le marketing ait préféré limiter sa diffusion en Europe. Certaines têtes pensantes auraient même dû dire stop beaucoup plus tôt, lors du développement. Le développeur n’est cependant pas connu pour son catalogue très reluisant. Carrier vient apporter une pierre supplémentaire à cet édifice spécialisé dans les sous-jeux, à l’inverse de la boîte de Solid Snake… Et ce n’est pas la fin de son activité dans le secteur du jeu vidéo en 2009 qui viendra changer l’avis général. Pour une fois que le général a raison… (Mizakido : Le colonel moutarde ?)
Purge !
Vidok
Ridicule.
Mizakido