Comme nous l’avait dit Roland Lehoucq dès la première table ronde : « si vous ne sortez pas frustrés des Utopiales, c’est que nous avons raté notre coup ». Et comme l’année dernière, la frustration était bien là : bien sûr, nous n’avons pas pu voir tout ce que le programme littéralement pléthorique de cette année avait à offrir et il a fallu faire des choix. La mission des Utopiales est donc une nouvelle fois accomplie. Et comme nous aimons partager la frustration, nous nous proposons de partager avec vous un petit aperçu de ce que nous avons pu voir et entendre au cours de ces quatre journées bien chargées.
TABLES RONDES – SCIENCE ET LITTÉRATURE
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– Le monde d’Avatar est-il réaliste?
Les Na’vis et les créatures de Pandora, sont-ils crédibles? Une planète peut-elle avoir une conscience? Analyse scientifique du film de James Cameron par le président des Utopiales. Humour et méthodologie rigoureuse sont au rendez-vous, autour d’une œuvre qui marqué une étape dans l’histoire de la science-fiction sur grand écran.
Intervenants :
Roland Lehoucq, astrophysicien et président des Utopiales
Quoi de mieux que de débuter ces Utopiales par un peu de vulgarisation scientifique ! Et c’est le président du festival qui s’y colle, avec sa fougue et son humour imparables. Une conférence des plus intéressantes, et qui prouve avec un peu de calculs, ainsi que la biologie et la physique terrestre que le célèbre film de James Cameron, Avatar donc (et pas Titanic), est particulièrement crédible scientifique sur de nombreux points (orbite de Pandora, bestioles chimériques, faune inspirée de nos nos fonds marins), mais reste évidemment de la science-fiction sur de nombreux aspects, comme les espèces de blocs volants que l’on peut voir durant le film et qui demanderait une quantité d’énergie magnétique considérable, tellement énorme qu’elle réduirait toute trace de vie sur un caillou de la taille du satellite de la pellicule décryptée. Dommage que ce « monologue » extrêmement instructif ait dû être interrompu par les exigences de temps imposées !
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– Spirou l’éternel aventurier
La diversité des mondes visités par Spirou et ses acolytes, tantôt en voyage dans l’ailleurs, tantôt en partance pour le passé ou le futur, n’est plus à démontrer. Parcours d’une œuvre plurielle, portée par les talents conjugués qui permettent au petit groom de toujours se réinventer.
Intervenants :
Yoann, dessinateur de bandes dessinées
Fabien Vehlmann, auteur et scénariste de bandes dessinées
Spirou est un héros plutôt atypique car ses aventures sont contées depuis 75 ans par une multitude d’auteurs, dont Franquin, Tome & Janry, ainsi que Yoann et Vehlmann, papas actuels des aventures du groom et invités de cette édition des Utopiales. L’occasion d’avoir un petit historique de la célèbre série, quelques informations croustillantes sur les prochains albums des deux écrivains (avec le grand retour d’un personnage jaune), mais également le rapport entre le héros et la science-fiction, sujet très aimé de son état. Des auteurs humbles et passionnés, qui avouent bien que leurs expérimentations ne sont pas du goût de tous les lecteurs, mais nous font comprendre qu’il est très difficile de réaliser un album qui plaira autant aux jeunes ou/et nouveaux lecteurs qu’aux anciens, et qu’ils font de leur mieux en variant les genres. Une entreprise qu’on imagine difficile, mais visiblement entre de bonnes mains.
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– La nature est-elle un laboratoire ?
L’observation de la Nature a été, depuis l’Antiquité, l’un des fondements de la méthode scientifique. Puis, à la Renaissance, les savants isolés sont devenus laborantins, modifiant le cadre de la Recherche. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les scientifiques d’aujourd’hui utilisent-ils la Nature comme un laboratoire ? La science-fiction peut-elle proposer une alternative ?
Intervenants:
Eric Picholle, physicien
Jean-Louis Trudel, astronome et auteur de science-fiction
Vincent Callebaut, architecte
Une table ronde très intéressante qui a confronté les points de vue d’intervenants aux profils plutôt scientifiques et aux spécialités diverses sur le rapport délicat du chercheur à la nature. Voilà un sujet dont les contours n’ont pas forcément été faciles à cerner, notamment à cause de la difficulté à définir la notion-même de nature. Bien sûr, en déroulant le fil des notions philosophiques de l’Antiquité jusqu’à l’étude de plus en plus poussée des mystères de l’espace, la conférence a brassé vraiment large. Et pour se tourner un peu vers l’avenir, la présentation rapide par Vincent Callebaud des techniques d’imitation du vivant qu’il utilise dans ses travaux et des méthodes qu’il emploie pour intégrer ses projets au sein des milieux naturels permet d’espérer un jour un certain degré de symbiose entre l’Homme et la nature. L’horizon est probablement très lointain, mais il semble bien présent.
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– Les colonies de l’espace, rêve ou réalité ? et Un autre monde vert ? Colonisation, terraformation et exploitation du système solaire
L’implantation de l’Homme dans l’espace est un vieux rêve, commun à la science et à la science-fiction. Depuis les premières stations spatiales jusqu’aux astéroïdes évidés et aux arcologies spatiales, quelle est la part de réalité ? Habiterons-nous un jour en orbite ? Quels seront les enjeux énergétiques ? Installerons-nous des mégapoles aux points de Lagrange ?
Intervenants :
Roland Lehoucq, astrophysicien et président des Utopiales
Pierre Bordage, auteur de science-fiction
Andreas Eschbach, auteur de science-fiction
L’humanité pourrait-elle s’installer ailleurs dans le système solaire ? L’idée d’une base lunaire, bien qu’ancienne, n’est toujours pas réalisée. La terraformation, dont rêvent les auteurs de science-fiction depuis Jack Williamson, n’est pas encore d’actualité. Mais si, face à la diminution des ressources terrestres, on choisissait d’exploiter les astéroïdes, voire de les coloniser ?
Intervenants :
Claude Ecken, auteur de science-fiction
Peter Watts, auteur de science-fiction
Roland Lehoucq, astrophysicien et président des Utopiales
Patrick Michel, astrophysicien
Deux conférences qui convergent sur les thèmes de l’exploration spatiale et de la possibilité pour l’Homme de peut-être un jour habiter sur un autre monde. Aux visions des auteurs de science-fiction s’oppose rapidement les contingences matérielles et scientifiques que nous rappellera par deux fois un Roland Lehoucq visiblement désolé de doucher les imaginations les plus fertiles. D’innombrables problèmes d’ordres technique, politique, économique et éthique se confrontent aux projets d’exploitation des ressources minières des astéroïdes et d’adaptation artificielle des colons potentiels aux conditions de vie d’autres planètes. C’est également une problématique d’échelles de temps qui se dégage : alors que les sphères politique et économique ne voient pas les choses au-delà de trois mois, comment pourraient-elles initier ou soutenir des aventures scientifiques extrêmement coûteuses et qui nécessitent des recherches de plusieurs dizaines d’années ? Une celle certitude se dégage de ces deux tables rondes : malgré les projets de tourisme spatial qui n’ont jamais semblé aussi tangibles, l’humanité restera cantonnée un bon moment sur Terre. Une bonne raison pour prendre soin de notre vieille planète bleue.
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– Faut-il donner des droits aux robots ?
Les robots domestiques, d’aide à la personne, sont sur le point de devenir un élément incontournable du lien social. Faut-il envisager, pour le bien de l’Homme lui-même, de donner des droits à ses nouveaux serviteurs ? Si oui, quelque sera l’étendue de ces droits, quels modèles seront pertinents ? La science-fiction a déjà posé la question.
Intervenants :
Xavier Mauméjean, auteur de science-fiction, illustrateur et philosophe
Andreas Eschbach, auteur de science-fiction
Yoann, dessinateur de bandes dessinées
Deux auteurs qui s’accordent pour deux axes de pensées. La question, avant de prendre partie quant au fait de donner ou non des droits aux robots, est de connaître la limite à laquelle nous nous arrêterons concernant l’intelligence artificielle de ceux-ci. Êtres capables de pensées et d’émotions ou simples esclaves mécaniques ? Alors il sera peut-être possible de déterminer et de nuancer différentes notions, comme la souffrance, le plaisir ou de pénibilité que nous arrivons enfin à associer aux animaux, encore juridiquement considérés comme meubles par chez nous. Le débat n’est pas ici, mais reste que selon notre prétention à vouloir jouer à Dieu, devra t-on appliquer ces règles tellement humaines aux cyborgs, avatars et robots… Blade Runner et PLUTO ne sont pas loin ?
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– Interface cerveau-machine
Les innovations informatiques d’aujourd’hui nous promettent des machines pilotables directement par la pensée, sans recours à un clavier, voire à une interface tactile. Mais les scientifiques et les auteurs nous alertent. Quelle société naîtra d’une telle symbiose ? La complexité de l’homme sera-t-elle soumise à la rapidité de calcul de la machine ?
Intervenants :
Alain Damasio, auteur de science-fiction et cofondateur de Dontnod Entertainment
Karim Jerbi, neuroscientifique
Une conférence qui aura vu un contraste très net entre la présentation factuelle de l’état actuel des recherches en neurosciences par Karim Jerbi et la réflexion d’Alain Damasio sur les risques politiques et éthiques de cette évolution scientifique et technologique. Cette problématique a d’ailleurs rapidement débordé sur des questions plus générales en lien avec les abus de pouvoir que peuvent engendrer le contrôle de la technologie par les élites. Le travail d’Alain Damasio sur l’univers de Remember Me a vite fait le lien entre les potentielles futures découvertes des neurosciences et les dérives des technologies de l’information plus classiques, qu’il s’agisse de la surveillance, de l’internet ou des réseaux sociaux. Toutefois, l’étude du fonctionnement du cerveau se confronte encore à de nombreuses limites que nous a très pédagogiquement présentées Karim Jerbi. L’intrusion des grandes oreilles de la NSA dans nos cerveaux ne semble donc pas encore être d’actualité.
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– Ressources limitées et démocraties
Dans la monde où la consommation entre en conflit avec la limitation des ressources, la démocratie est-elle encore possible? L’égalité entre tous les citoyens semble peu compatible avec l’inégalité d’accès aux ressources. Ne sommes-nous pas en train de bâtir une société encore plus hiérarchisée ?
Intervenants :
Andreas Eschbach, auteur de science-fiction
Yannick Rumpala, chercheur en sciences politiques
Jean-Marc Ligny, auteur de science-fiction
Le principal problème soulevé par cette table ronde, intéressante au demeurant mais imposante de par les notions économiques abordées, est que nous sommes dans un système fermé qui a définitivement du mal à se renouveler. Donc oui, au fur et à mesure que les ressources primaires (combustibles fossiles, eau) vont se raréfier, les écarts, déjà énormes, entre les populations, vont encore plus se creuser, et donc, sans solutions alternatives valables, nous irons au conflit. Rien de positif à en tirer donc, malgré quelques signes d’optimisme remontés ça et là durant la conférence.