Mes jeunes années (qui commencent maintenant à quelque peu remonter) ont été bercées par un cinéma héritier d’une science-fiction très inspirée par la littérature américaine d’une certaine époque, une science-fiction dans laquelle il était davantage question d’interpeler, de faire réfléchir le lecteur ou de dénoncer que de construire une trame et des personnages. Bref, le message l’emportait toujours sur l’histoire et sa cohérence, pour un résultat souvent déroutant (voire inquiétant) quand il était associé à l’imagerie et aux effets spéciaux des années 1960s, 1970s ou 1980s. Je connais mal et peu l’œuvre de Cronenberg senior, mais Antiviral, le premier film réalisé par son fils Brandon, s’inscrit dans la droite lignée de ce cinéma engagé et profondément bizarre.
L’action d’Antiviral prend pour cadre un monde d’anticipation pas si éloigné du nôtre. L’obsession malsaine d’un public voyeur pour la vie privée des stars y est juste un peu plus prononcée et a encouragé les grosses compagnies privées comme la pègre des bas-fonds à développer un commerce parallèle qui va bien plus loin que l’émission de télé-réalité ou le magazine people aux photographies suggestives. Ces vendeurs très spéciaux proposent ainsi à leurs clients de se faire inoculer les maladies de leurs idoles ou d’acheter des steaks synthétiques contenant des cellules de célébrités cultivées artificiellement.
Et c’est dans ce milieu un peu glauque qu’évolue Syd March, le protagoniste du film. Vendeur de maladies de son état, il alimente également un marché noir florissant en s’injectant les restes des germes vendus à ses clients et en les revendant à un contact de ses amis. C’est donc un « héros » trempant dans un business discutable et dans un état perpétuel de maladie plus ou moins déclarée que nous allons suivre… Et on sent déjà que les ingrédients d’une belle recette d’emmerdement maximum sont réunis. Et c’est l’obsession partagée par Syd avec le reste de la population pour Anna Gheist, la starlette du moment, qui le précipite dans les ennuis jusqu’au cou. Envoyé au chevet de son idole par sa société pour lui prélever son dernier rhume en date, il ne résiste pas à la tentation de s’inoculer la maladie sans même prendre la peine de vérifier la nature du virus.
Mais Anna Gheist meurt, suscitant un véritable culte de la part de ses fans. Un culte et une demande morbide pour ses dernières reliques : Syd est maintenant le vecteur d’une affection qui excite toutes les convoitises. Mais c’est à cette maladie qu’a succombé Anna Gheist et Syd se retrouve maintenant infecté par un germe incurable dont l’origine est totalement inconnue. Il va donc devoir protéger son secret coûte que coûte, se lancer dans une course-poursuite pour échapper à toutes les parties intéressées et trouver la vérité sur l’infection d’Anna Gheist s’il espère trouver un remède pour rester en vie.
Se faire injecter les maladies ou verser dans le pseudo-cannibalisme pour atteindre une communion physique perverse avec ses idoles… L’idée de départ du film peut paraître saugrenue, au moins autant que le concept de télé-réalité si on l’avait exposé des téléspectateurs-types d’il y a quinze ans. Mais comme précisé dans l’introduction, Antiviral fait partie de ces films qui privilégient l’impact de son message à la vraisemblance de son histoire. En l’occurrence, le thème du film est parfaitement développé par le biais de ses personnages : pas un seul d’entre eux n’a l’air totalement sain d’esprit ou franc du collier, qu’ils soient motivés par l’appât du gain ou l’idolâtrie.
Celui qui écrase les autres personnages de son ombre maladive est assurément Syd March, joué avec talent par Caleb Landry Jones. Même si le fantôme d’Anna Gheist hante en permanence le métrage et même si Malcolm McDowell fait une apparition remarquée en médecin juste un peu moins désaxé que la moyenne des personnages du film, l’intégralité de l’histoire est filmée du point de vue de Syd et met en scène sa descente aux enfers et sa lutte pour la survie. Le reste du casting n’existe quant à lui que par rapport à lui, que ce soit en tant qu’obstacles ou (plus rarement) en tant qu’alliés très intéressés.
Le film est quant à lui construit sur le point de vue de Syd : C’est vraiment à travers son expérience que le spectateur s’immerge dans une société dégoulinante de cynisme mercantile quand il se confronte à de grosses firmes pharmaceutiques qui se font du fric facile en rendant malades leurs clients-cobayes volontaires ou de malaise profond quand il interagit avec un public de paumés qui semble ne plus pouvoir vivre que par procuration perverse en fantasmant une proximité inexistante avec des icônes indifférentes. L’immersion dans le monde d’Antiviral n’est pas un voyage plaisant, et il l’est encore moins quand on prend la peine de constater que notre monde bien réel porte en lui bien présent les germes de ce genre de dérives.
Le film porte aussi en lui les défauts de sa démarche. Le rythme est non seulement lent et contemplatif, mais il ne nous épargne malheureusement pas quelques longueurs. La lumière stérile et clinique qui imprègne l’action distille en permanence une atmosphère froide et déprimante, renforcée par une trame générale qui n’est pas des plus réjouissantes. Bref, Antiviral n’est pas un film pour dépressifs et il y a fort à parier qu’il clivera son public en deux parties d’un coup de scalpel bien net : ceux qui auront été au moins en partie fascinés par son univers morbide et ceux qui se seront fait mortellement chier.
En sortant de la projection alors que nous étions entre membres d’Archaic (autant dire en bonne compagnie), Vidok n’avait qu’une question à la bouche : pourquoi ? J’imagine que la question s’appliquait au postulat de base de l’univers d’Antiviral et la réponse est alors facile à apporter : parce que. Le contexte du film, c’est seulement l’hypothèse qui est indispensable pour initier la démonstration. C’est d’ailleurs la faille de ces films dont je vous ai parlé en introduction et qui se plaisent davantage à titiller le cortex du spectateur qu’à développer un lien empathique avec l’univers et ses personnages : à force d’être abstrait et intellectuel, on prend le risque de perdre son auditoire. Pour le meilleur ou pour le pire, Antiviral prend le risque et devient par conséquent un film qui a quelque chose à dire mais qui ne parlera pas à tout le monde.
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[accordion_item title= »L’avis de Mizakido »]Pas facile de convaincre les gens quand on est le fils ou la fille de. La charge est double et beaucoup s’y sont essayés en se prenant des baffes de la part d’un public exigeant ou, quitte à faire encore plus mal, de son propre géniteur. Derrière ce Antiviral se cache Brandon Cronenberg, fils de David Cronenberg, grand réalisateur à qui l’on doit eXistenZ, A History of Violence ou encore La Mouche (et non pas La Mèche, de David Kronembourg). Le fiston n’en est pas à son premier essai dans le domaine, ayant à son actif quelques courts, mais c’est bien sa première tentative dans le long-métrage. Et après visionnage, nous voilà rassurés, mais attentifs. Brandon nous signe là un film d’anticipation dans une époque très proche de la nôtre où la dernière lubie des gens est de s’inoculer les maladies de leurs stars préférées via les services de cliniques spécialisées, lieu de travail de notre héros, qui mène un double jeu qui va se retourner contre lui. Le concept est léché, légèrement bizarre quand même, mais il est traité de façon très assumée et convaincante, à défaut de révéler le pourquoi du comment, mais qu’importe. Le rythme du film est lent, un peu trop parfois, mais la photographie est vraiment superbe, maitrisée, le jeu d’acteur excellent, et les plans « putain c’est quoi ce truc » prouvent que ce jeune réalisateur a une bonne patte, peut-être encore un peu trop proche de son père, mais un cerveau un peu dérangé quand même.[/accordion_item]
[accordion_item title= »L’avis de Vidok »]Brandon Cronenberg, fils de David Cronenberg… bien, et alors ? Ce n’est pas une raison pour se venger du monde de la sorte. Une fois le film ingurgité, une question demeure : Pourquoi ? Le postulat de départ est intéressant – des fans se ruinant en achetant les maladies de leurs stars – et surtout d’une originalité sans nom. La société est donc entièrement régie par ce nouveau commerce ; les protagonistes sont donc aussi étranges que le propos traités. Très bien. L’envie arrive alors très vite de comprendre comment le monde a-t-il pu chavirer de la sorte. Et là aucune explication. Comment en sommes-nous arriver là ? Qu’il y a-t-il de bon à s’inoculer une maladie ? Qu’il y a-t-il de bon à manger des steaks de nos stars ? Des questions que Cronenberg junior ignore totalement, au grand désarroi du spectateur désireux de comprendre la recette de l’étrange soupe qui lui est servie. Et rien n’est alors fait pour nous le faire oublier puisque le film cumule action inexistante, tunnels de longueurs à assommer un Bernard Pivot et un jeu d’acteur – passé l’excellent rôle principal campé par Caleb Landry Jones, remarqué dans X-Men Le Commencement – assez plat. La bande son a de plus le mérite d’être en accord avec la saveur du film, à savoir inexistante. La dominance blanche finira d’achever les derniers courageux et curieux.
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