A chaque fois que je tombe sur une perle de la SF cinématographique, une question revient toujours : la dernière fois que j’ai vu un vrai film de SF, c’était quand? Je veux dire par là « film d’auteur à vraie identité artistique », et non « blockbuster-dopé-aux-séquences-de-synthèse-jolies-et-toutes-propres-avec-une-histoire-à-deux-balles ». (respire).
La réponse à la question doit se situer il y a quelques années, quelque part entre La Guerre des Mondes du grand Steven, et Sunshine du virtuose du montage Danny Boyle, qui oublie parfois son histoire, mais bon…
Alors, ce District 9? J’avoue que sa présence dans les 10 films nominés pour l’oscar du meilleur long métrage de 2010, face à Avatar (mwahaha), m’a intrigué, et peut être que je ne l’aurais pas encore vu à ce jour si je n’avais pas eu cette information… Pauvre de moi.
L’humanité en abyme
Un vaisseau extra-terrestre en rade stationne dans le ciel de Johannesburg. Il abrite une population affaiblie, affamée et dans l’incapacité de repartir d’où elle vient. La suite, c’est l’Histoire de l’Humanité qui la dicte.
Ces immigrés interstellaires sont tolérés sur Terre, mais parqués dans un bidonville, le District 9. Ils sont de suite obligés de s’abonner au forfait 2 en 1 de circonstance : apartheid et pillage.
Comme cadeau de bienvenue, un surnom : les « Crevettes », en rapport à leur apparence « crustacée »… On leur interdit l’entrée de certains lieux publics, et la seule denrée qu’ils arrivent à se procurer pour se sustenter : de la nourriture pour chats.
Finalement, ce film n’a de fictif que les créatures venues d’ailleurs. En effet , quelques recherches rapides, et je m’aperçois que des vagues de crimes racistes ont encore été comptabilisées en 2008 (c’était hier) dans cette même ville de Johannesburg.
Pillage, car ces visiteurs ont emmené avec eux une technologie d’armement supérieure à la nôtre. Ces armes font l’objet de recherches scientifiques car il est impossible de les faire fonctionner sans l’ADN des non-humains. Cela va sans dire qu’on leur a confisqué cette richesse propre à leur civilisation.
Dans ce contexte pour le moins réaliste et contemporain, intervient notre anti-héros tête à claques : Wikus van der Merwe. Il officie en tant qu’agent de la société privée Multi-National United qui gère la situation des intrus. Chargé du recensement de la population du District 9 en vue d’un transfert vers un nouveau camp, cet agent de terrain va contracter accidentellement un virus qui, non seulement lui permet d’utiliser les armes extra-terrestres, mais semble aussi le transformer petit-à-petit en « crevette ».
Débute alors l’une des traques qui m’a le plus passionné, ces dernières années. Wykus est ainsi renié par ses proches (à la manière du membre du KKK transformé en noir dans un album bien connu de Spawn, immédiatement pendu par ses « potes » ) à cause de sa nouvelle différence, et pourchassé par les scientifiques et les militaires de la Compagnie car il est la clé du secret du fonctionnement des armes extra-terrestres.
La caméra épaulée, le montage dynamique, la photographie (de Trent Opaloch ) belle et cradingue à la fois donnent une authenticité et une expression très ordinaire aux évènements. La musique habille certaines séquences de façon délicate, juste ce qu’il faut. Le film ne se perd pas en moralité : une fois le contexte et les thèmes posés, on suit les tentatives de survie de cet anti-héros qui cherche à prouver sa bonne foi, et ne souhaite que s’en sortir.
L’alien qui va l’aider, même si on ne comprend pas sa langue, parvient même à nous émouvoir.
Ce film est une oeuvre comme j’aimerais en voir plus souvent. Sans prétention, sans enrobage dégoulinant de dollars, mais soutenu par une direction artistique béton, un équilibre thème/morale/scénario/exécution technique/rythme quasi-parfait. On est loin de ces mondes imaginaires aseptisés et passés à la Javel dont nous abreuvent les chaînes de télévision qui ne passent que 2 bandes-annonces en boucle, dans un seul souci de rentabilité. Les personnages ne sont pas que des fonctions (le méchant militaire, le scientifique sensible, la jolie « tassepé »,etc…). Les effets spéciaux sont au service de l’histoire point barre. La séquence en mécha est belle, mortelle,justifiée et absolument pas racoleuse. La sensibilité qui s’en dégage n’a d’égal que l’authenticité du propos, des thèmes ancrés dans notre existence et notre quotidien.
Alors c’est sûr, ce réalisme crade est un peu pénible à voir lors de certaines séquences, pour les âmes sensibles. Cette forme de rejet d’un certain nombre de codes du cinéma « Disney » qui viennent égayer n’importe quel blockbuster qui se respecte, avec un minimum requis de bons sentiments et de morale, peut choquer. Bien sûr, à certains moments la patte de Peter Jackson (producteur éxécutif du projet) se fait sentir, caméra mobile a la clé et OST légèrement « Howard Shorisée » qui vient lier le tout.
District 9 pose un contexte, met la condition humaine en abyme avec ses démons les plus primaires et les plus historiques (le racisme, l’opportunisme et le pillage sans concession des autres cultures) et modifie les perspectives du point de vue d’un personnage. Pas de prétendue morale universelle, les thèmes posés sont explicites et parlent d’eux-même. Neill Blomkamp a le bon goût de nous faire tout ressentir à travers un « Monsieur tout le monde » qui nous touchera véritablement alors qu’il sera arrivé au point le plus « dégradant » de sa nouvelle condition. Pour un dernier plan aussi émouvant que magnifique.
Parce que dans « Film de Science-Fiction », on peut encore trouver « Film d’auteur ».