Pour son premier film, Franck Vestiel offre au cinéma français un film d’un genre qu’il ne connaît pas réellement. Mais il ne faut pas croire que le monsieur s’est réveillé un matin et s’est dit qu’il allait réaliser son propre long-métrage sur un coup de tête. Non. L’énergumène avait non seulement toute sa tête mais également ses dessins, scripts et croquis. Il avait son univers bien posé, il ne lui restait plus qu’à lui donner vie : le 26 décembre 2007, il paraissait sur les écrans français. Eden Log.
Un homme se réveille dans une sombre cave. Il est couvert de boue, il a froid, il ne voit presque rien et a encore le corps tout engourdi. Il ne se souvient de rien, pas même de la raison qui l’a poussé à se retrouver ici. Son identité demeure un mystère et celle de l’individu gisant à côté de lui également. Mais on sent cet homme désormais réveillé n’est pas d’une nature docile et commence à s’orienter dans les dédales de ce labyrinthe. Des cris de monstres rugissent dans les galeries, les décors semblent post-apocalyptiques. A en croire l’état des lieux, il y a fort à parier que l’ensemble des infrastructures a été abandonné et délaissé par les humains. Pourtant, que fait notre homme ici ? Qui est-il ? Où est-il ? Qui le poursuit ? Qu’est-ce qui le poursuit ? Qu’est-ce qu’Eden Log ? Quelle est cette gigantesque plante qui hante ces lieux ? Ce ne sont que quelques questions parmi toutes celles que vous poserez durant le film.
Pour faire un parallèle avec les jeux vidéo, Eden Log rappelle le jeu Baroque. On est lancé à l’aveuglette dans l’aventure, espérant à chaque pas en apprendre un peu sur l’histoire et découvrir la raison de notre présence en ces lieux. Dans Eden Log, on suit les pérégrinations de Tolbiac qui n’en sait pas plus que nous. La grosse particularité du film est de nous faire ressentir les choses en même temps que le héros. Il ne sait jamais rien avant nous, nous ne savons jamais rien avant lui. Le réalisateur a fait en sorte que le spectateur se contente de suivre Tolbiac. Pas question de prendre de l’avance sur lui. Les révélations se font au fil de l’avancée, sans nous tomber dessus non plus sans crier gare. Cela se fait généralement via le récit de survivants ou d’archives vidéo. Et c’est d’ailleurs durant ces moments-là que l’on se rend compte de la cohésion de l’univers. Par exemple, lors de la première découverte d’archives, Tolbiac est obligé, au vu de l’état du laboratoire, de se constituer son propre écran. A la vue du making-of, on se rend compte que, rien que cette scène, a été mûrement réfléchie et créée. Rien n’a été laissé au hasard. Il ressort des interviews des acteurs (Clovis Cornillac / Vimala Pons) et du producteur (Cédric Jimenez) que Eden Log est exactement comme le voulait Franck Vestiel. Comme dit plus haut, il avait son idée et le film est identique à l’idée qu’il en avait.
Pourtant, Eden Log est loin de figurer parmi la liste des plus gros budgets du cinéma. Quand un Asterix & Obelix aux Jeux Olympiques se permet de claquer des millions et des millions d’euro pour se permettre un déluge d’effets spéciaux et de stars à n’en savoir quoi faire, Eden Log est bien plus intimiste. Étant donné qu’il s’agit d’un premier film, il est évident que les sponsors ne pouvaient fournir un budget illimité. C’est pourquoi il a fallu faire avec les moyens du bord. Eh bien, il faut admettre qu’en visionnant le film, cela ne se ressent presque pas. Mis à part une ou deux scènes où il est évident que les effets spéciaux ne sont pas ce qu’il se fait de mieux en la matière, le reste est fabuleux, et ce grâce à un jeu de lumière bien particulier. L’équipe, à défaut de pouvoir s’offrir un film tourné en studio avec des déluges d’images de synthèse, s’est offert des lieux naturels, permettant une cohérence parfaite avec l’univers dépeint. Et grâce à ce fameux jeu d’ombre et de lumière, il en ressort une atmosphère oppressante, glauque et mystérieuse du meilleur effet. Le noir restera la teinte dominante du film, à tel point qu’il est parfois difficile de cerner ce qui se déroule sous nos yeux, rien que pour nous mettre dans la peau de Tolbiac dont les yeux se sont peut-être adaptés à l’obscurité, mais qui n’en restent pas moins humains.
Ce côté humain est d’ailleurs mis sur le devant de la scène par Franck Vestiel. Eden Log n’est pas qu’un film de science-fiction avec des secrets et des monstres. Non. Eden Log est bien plus que cela tant il existe un paquet de lectures. Clovis Cornillac, absolument excellent ici, aborde en interview le rapprochement avec les jeux vidéo. Eden Log contient certains codes propres à ce domaine, comme il en contient également bien d’autres. Chacun y verra ce qui le touche le plus, lors du premier visionnage et des suivants. L’histoire d’Eden Log ne se laisse pas apprivoiser au premier coup. Les grandes lignes sont aisées à comprendre mais les sous-entendus et les détails, beaucoup moins. Même si le réalisateur a tenu à ce que son film soit compréhensible par tous, il n’en donne pas pour autant si facilement les clés. La première impression que donne Eden Log n’est pas particulièrement bonne, perdant le spectateur dans ses décors sombres, son héros muet et ses lumières épileptiques (contradictoires ?). Et puis, les niveaux s’enchaînent, les premiers dialogues arrivent, le mystère s’éclaircit peu à peu, juste ce qu’il faut pour nous amener à imaginer toutes sortes de choses tout en désirant ardemment la vérité.
1h35 est nécessaire au film pour nous amener à son dénouement qui laisse suggérer beaucoup de choses. Il faut dire que le scénario se veut à la fois contemporain et avant-gardiste critiquant vertement la société actuelle et celle en devenir. Mais il n’y a pas de message type, il y en a plusieurs. Et, pour un spectateur, il faut avouer que c’est agréable de pouvoir disposer de sa propre interprétation de l’histoire, de ne pas être dans un carcan d’idées préconçues. Eden Log n’est certainement pas le film le plus agréable à regarder, mais il n’en reste pas moins passionnant. A tel point que l’on en oublie quelques errements et maladresses de jeunesse. Un long-métrage fascinant qui ne laisse augurer que du bon pour ce tout nouveau réalisateur français.