Dix ans de gestation. Inception aura été un bon gros bébé que son paternel, Christopher Nolan, est heureux de présenter au monde. Réalisateur montant en puissance après Memento, Le Prestige, The Dark Knight, il tend à présenter aux spectateurs son univers si sombre et mélancolique. Presque magique par instant. Inception ne fera pas exception. Nolan l’a rêvé, il nous propose de rêver avec lui.
Dom Cobb fournit du rêve. Pas du rêve aux personnes à l’existence difficile. Du rêve dans lequel il vous accompagne pour vous extirper des informations. Contraint de vendre ses services aux plus offrants, il a mit au point toute une batterie de technique pour casser une à une les défenses de ses victimes. De victime, l’entrepreneur Saito devient son nouveau patron. Le deal : réussir une inception en échange de sa réhabilitation aux Etats-Unis, pays dans lequel Cobb est recherché. L’inception va plus loin que la simple entrée dans le rêve : elle consiste à soumettre une idée persistante dans le subconscient de la victime. Le message subliminal du futur en quelque sorte. La vision de retrouver ses enfants convainc instantanément Cobb. L’inception doit se pratiquer sur un jeune héritier, devant abandonner tout l’empire de son défunt père. Jamais pratiquée, elle constitue une chimère que Cobb prétend pouvoir rendre réelle, aux travers de rêves.
Déboule alors la première surprise du film, à savoir son casting. Joseph Gordon-Levitt, Tom Hardy, Dileep Rao, Ken Watanabe et la ravissante Ellen Page forment une troupe détonante. Complémentaires, équipiers sans se lier, tous remarquables dans leurs domaines, ils secondent un Leonardo Di Caprio décidément en très, très grand forme. Mensonges d’Etat et Shutter Island ne nous avaient pas trompés. L’acteur revient en force sous le feu des projecteurs en éclaboussant les caméras de tout son talent. Les rôles de petit minet fantasme des adolescentes appartiennent bel et bien au passé. Place à l’homme mûr, torturé, au passé tout aussi trouble que son futur. Peut-être simple coïncidence, mais l’acteur enchaîne deux films au (anti-)héros finalement assez proches. Tous deux ont perdu leur femme, dans des conditions bien mystérieuses. De pas en pas, de dialogues en moments-clés, les langues se délient dévoilant l’affreuse vérité.
Une vérité qui n’est pas nécessairement bonne à dire. Inception joue sur l’ambigüité de la réalité. Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce qui fait qu’un instant l’est davantage qu’un autre ? Comment la reconnaître ? Et surtout, comment ne pas la perdre de vue ? La notion de rêve est ici sublimée par un Christopher Nolan visiblement passionné par le sujet. Le concept d’invasion du rêve d’autrui, bien que relativement peu expliqué, fascine le spectateur. La puissance de la créativité – comme la jeune Ariane, architecte et conceptrice de labyrinthes comme son nom la prédispose – s’impose d’elle-même. La physique s’inverse, la logique des événements est perturbée, les réactions sont partagées. Où se trouve donc la limite ?
Le concept nous est présenté de manière peu explicite, nous perdant dès le démarrage du film, nous laissant nous débattre dans un imbroglio de scènes apparemment sans lien, pour peu à peu nous remonter à la surface, dévoilant par la même occasion ses ficelles. Même pour le spectateur, l’intrusion des rêves n’est pas simple à appréhender. Nolan annonce une explication rationnelle – elle nous apparaît ainsi lors du visionnage en tout cas, malgré son aberration dans la réalité – pour tout événement survenant dans les diverses strates de rêves. A l’image de Cube, la complexification des scènes et des ficelles va crescendo pour atteindre son paroxysme au cours des dernières minutes du film. Encore une fois, une fin ouverte a été choisie.
Non par flemmardise, non par respect des codes, mais pour soumettre au spectateur les mêmes dilemmes que les protagonistes. A force de descendre dans les niveaux de logique, il finit par se perdre dans les limbes de la réflexion. L’image des limbes n’est d’ailleurs pas anodine si l’on se réfère à sa définition biblique. Une bien belle métaphore, ou référence diront certains. Nul doute que les discussions enflammées de fans vont éclore de par le net. Ils auront bien raison de tenter de trouver une solution au problème. Il n’empêche qu’une fois les lumières rallumées, il n’est pas simple d’expliquer l’intégralité des faits qui viennent de se dérouler sous nos yeux. Des faits troublants, des faits impressionnants. A superproduction, super budget. Inception est colossal. Les effets spéciaux subjuguent, à tel point qu’ils donnent vie aux rêves. Avalanche, explosions, désintégrations, particules d’eau en suspens, affrontements en apesanteur avec décor rotatif. Nolan se donne les moyens de présenter ce qui constitue très certainement l’une des plus grandes œuvres cinématographiques depuis longtemps.
Le réalisateur ne s’embarrasse pas de superflu. Les deux heures et demie de film se veulent bien remplies. D’autant qu’au cours du générique, tandis que d’illustres inconnus ornent les crédits (Hans Zimmer à la bande son, notamment), les insignifiantes scènes trouvent importance à nos yeux. Toutes apportent un regard différent sur l’histoire, nous amenant à suspecter le moindre indice de nous révéler une nouvelle vérité. Nolan nous balade dans son univers, il se joue de nous, en nous faisant souffrir, mentalement. A toujours vouloir deviner, parcourir et élucider, nous entrons totalement dans son rêve. La question qui demeure alors tient dans l’éventuelle possibilité de sortie. Une fois achevé, Inception nous laisse un souvenir, à l’inverse de ceux des songes, impérissable, nous faisant retourner son scénario dans tous les sens pour en sortir la moindre goutte de vérité. Encore une fois : fascinant.