[dropcaps style=’2′]Très jeune, j’avais peur de la nuit. A cause de cela, je refusais l’idée d’aller au cinéma (à cette époque, la “mode” des séances de jour n’existait pas). Parallèlement, je dévorais chaque mercredi une revue sobrement appelée “Dinosaures”, qui fit de la dinomania l’énorme passion de mon enfance. Ces deux phénomènes se télescopèrent soudain avec l’apparition de Jurassic Park dans les salles obscures. Je regarde alors avec émerveillement ce film qui, ironiquement, est plutôt violent. En ce sens, Jurassic Park fut non pas un simple film, mais une étape dans ma vie et un marqueur considérable de mon enfance. Rien d’étonnant alors à ce que je sorte exceptionnellement de chez moi en ce samedi 13 juin pour aller à la séance de 13h30 de Jurassic World (pas parce que j’ai peur de la nuit, mais parce qu’il y a moins de monde).
Jurassic World sort 15 ans après Jurassic Park III. Quinze ans. C’est ce que l’on appelle un revival, et l’attente est en conséquence extrêmement grande. Comment revenir après 15 ans alors que beaucoup considèrent la dinomania comme has been depuis longtemps? Jurassic World apporte de bonnes réponses à cette difficile question. Evidemment, il y aura des tas de spoilers dans ce qui va suivre, donc allez au cinéma et revenez.[/dropcaps]
Dans Jurassic Park, il y a Parc. C’est tout bête, mais ça fait plus de 20 ans que Jurassic Park ne parle plus de parc… jusqu’à aujourd’hui. Jurassic World perd le Park dans le titre mais le retrouve dans le film. Mieux encore, et comme le dit très bien la promotion du film, le parc est ouvert, et ça change tout . Alors que dans le Jurassic Park de 1994 on suivait une dizaine d’experts venant tester le principe du parc, cette fois ce sont 20.000 touristes parfaitement innocents qui se retrouvent au milieu des sauriens déchaînés! De quoi alourdir grandement le suspense et les enjeux, et déclencher des scènes de folie comme l’attaque féroce des ptérosaures venant déchiqueter les pauvres estivants. Délicieux.
L’occasion de rappeler que Jurassic World s’affranchit toujours autant de la vérité scientifique. Rassurons les enfants : un ptéranodon est piscivore et n’attaquerait jamais personne à part peut-être un poissonnier trop cher. Ce dernier film va encore encore plus loin en créant son propre dinosaure original, l’Indominus Rex. Parallélisme amusant : quand le parc crée génétiquement un nouveau monstre pour faire grimper le nombre de visiteurs, c’est aussi le film qui introduit un nouveau design pour attirer plus de spectateurs. Croisement entre de nombreuses espèces, l’Indominus Rex représente la recherche du dinosaure ultime, un peu comme Metal Gear Solid s’acharne à créer le soldat parfait. Plus grand et plus rapide qu’un tyrannosaure, capable d’évoluer sur 2 pattes comme sur 4 (chose rare), de masquer sa signature thermique comme un joueur de Modern Warfare 2, de se camoufler dans la végétation, c’est une superstar servie par une mise en scène très excitante. Le film de Colin Trevorrow affirme donc son indépendance vis-à-vis de la réalité naturelle. Liberté nécessaire, car lorsque l’on va au cinéma voir Jurassic World, on va bien voir un film et non un documentaire. Bon point donc, même si le film va parfois trop loin dans l’improbable. On peut en effet difficilement imaginer un tyrannosaure se coordonner avec un vélociraptor, car le premier chasse toujours en solo et est loin d’avoir le développement intellectuel du deuxième (rapport de la taille du cerveau au corps notamment). Petit carton jaune ici.
Autre (petite) déception, le mésosaure est un peu sous-utilisé. Seule grosse nouveauté canal historique de cet épisode, j’aurais vu un plus grand rôle pour cette créature marine d’une classe folle, même s’il est l’auteur remarqué (et remarquable) du KO final. C’est clair que c’était pas facile vu qu’il ne peut évoluer que dans l’eau, mais étant donné qu’il apparaît dans la communication officielle du studio, j’avais espéré davantage d’inventivité pour lui.
Jurassic World marque aussi le retour du conspirationisime, avec en toile de fond l’inquiétant conglomérat InGen, sorte d’Umbrella corporation intouchable et impitoyable qui se sert du parc pour semble-t-il de plus larges desseins. Cela, au même titre que les impératifs économiques, vient étoffer l’univers de la série qui ne cessait de se vider, faute à des synopsis de plus en plus simplistes. S’il y a une chose que je reproche vraiment au film, c’est de n’avoir pas choisi quand il le devait, où plutôt d’avoir choisi les deux à la fois. Pour moi, soit les vélociraptors devaient se retourner contre leurs «maîtres» et causer une évacuation en catastrophe, soit ils auraient du continuer jusqu’au bon la chasse épique contre l’Indominus Rex. Le film a voulu jouer sur les deux tableaux à la fois, ce qui le conduit à avoir deux moitiés de quelque chose. Dommage…
Jurassic World ne s’est pas contenté de refaire le film d’il y a 20 ans, et j’ai énormément apprécié cela. Parce que quand on cherche a retrouver la passé, en général on y arrive pas. Certes, l’ADN de la série est bien là, et Jurassic World se rapproche beaucoup plus de Jurassic Park que ses suites directes. Si de nombreux clins d’œils viennent titiller la fibre nostalgique sans en faire trop, Colin Trevorrow donne un nouveau potentiel aux dinosaures dans les médias. Je veux bien sûr parler de l’usage militaire des créatures, comme on a eu un aperçu tonitruant avec l’inoubliable scène de chasse dans laquelle les vélociraptors foncent dans la jungle comme des lévriers. Court, mais intense. Cette scène rapproche encore l’homme et le dinosaure et, ce faisant, honore le deuxième. Le parc étant clairement condamné, le Dr. Wu en fuite ne tardera sans doute pas à mettre son savoir aux services d’autres intérêts. Le chemin pour un Jurassic d’un nouveau genre est tout tracé.
Aucun doute dans mon esprit après un rapide revisionnage de Jurassic Park III : Jurassic World est un retour réussi. Il revient avec la manière, l’inventivité et la richesse qu’il fallait pour faire renaître le phénomène. Succès sans équivoque au box-office en réalisant l’un des plus gros lancements de l’histoire, il pointe un bel avenir pour la licence Jurassic, mais également pour la dinomania toute entière, qui semble-t-il était loin d’être has been.