Flash Gordon est un monument du septième art. Certes, on ne parle pas ici d’une démonstration de savoir-faire et de virtuosité architecturale qui marque le paysage cinématographique de son élégante et auguste silhouette. Flash Gordon tient davantage du colossal ouvrage d’art contemporain qui divise le voisinage, ses couleurs criardes et ses contours biscornus étant considérés par les uns comme une lèpre urbaine, par les autres comme une impressionnante démonstration d’audace et de fraîcheur. Mais trêve de métaphores fleuries, en quoi Flash Gordon est-il un film culte pour nombre d’amateurs de kitscheries en tous genres ?
Ming, tyran intergalactique de son état, s’ennuie. Qu’à cela ne tienne, il décide de déclencher tornades, inondations et autres catastrophes naturelles sur Terre pour se changer les idées. Un générique chanté par Queen plus tard, le spectateur découvre le fameux Flash Gordon, joueur de football américain à la blondeur impressionnante et pseudo-héros du film par la même occasion. Ce dernier partage un avion avec une jeune journaliste du nom de Dale Arden et commence à doucement compter fleurette. Mais un petit problème survient : en plein vol, les pilotes disparaissent suite à l’attaque d’une tête de Ming holographique. On ne voit pas bien d’où elle sort, on ne comprend pas bien la logique, mais une chose est sûre : il va falloir éviter de se poser trop de questions existentielles si on veut profiter du voyage.
Pour tout dire, on soupçonnerait presque qu’il ne s’agisse là que d’un prétexte un brin facile pour justifier un atterrissage en catastrophe à proximité du laboratoire du professeur Hans Zarkov, un savant légèrement siphonné aux tendances paranoïaques qui travaille pour la NASA. Ce dernier est le seul être humain à se douter que la vague de cataclysmes qui s’abat sur la planète constitue en fait les prémisses d’une attaque qui se conclura par une collision particulièrement dévastatrice entre la Terre et la Lune. Zarkov était justement en train de menacer son assistant avec une arme à feu pour qu’il l’accompagne dans une fusée spatiale bricolée maison avant d’être grossièrement interrompu par le crash. Vous aurez déjà compris que pendant que l’assistant se fait la malle, le professeur Zarkov appâte Flash et Dale dans la fusée (en leur faisant miroiter la présence d’un téléphone à bord… si, si). Puis c’est le départ sur fond de bagarre de bar et le voyage sur fond de décors peinturlurés en couleurs vives façon trip sous acide. S’ensuit la découverte de l’empire galactique de Mongo tenu par Ming d’une main de fer dans un gant d’acier et la rencontre d’une large galerie d’autochtones hauts en couleur, prélude nécessaire avant d’initier la grande révolte contre le dictateur galactique.
Bref, en même pas une demi-heure de film, Flash Gordon nous a déjà enfoui sous une masse quasi-inextricable de personnages loufoques, d’incohérences et de facilités scénaristiques presque honteuses. D’où vient cette tendance de Zarkov à menacer les gens d’un revolver pour qu’ils viennent maintenir une pédale dans sa fusée alors qu’une simple cale ferait l’affaire ? Comment un des savants les plus brillants de l’univers peut-il penser mettre fin à l’attaque d’un ennemi à la supériorité technologique écrasante avec un footballeur américain et une journaliste ? Pourquoi le système solaire compte-t-il tant de planètes surnuméraires ? Les réponses à ces questions ne viendront jamais mais là n’est pas le cœur du film. Flash Gordon se passe volontiers de cohérence et de vraisemblance et se concentre à plein sur l’atmosphère.
A la fois complètement kitsch, outrageusement colorée et délicieusement cheap, l’ambiance qui règne sur le film marque à coup sûr le spectateur. Les années 1970s ne sont pas loin et cela se sent en regardant la surabondance de dorures, de paillettes et de teintes vives que ce soit dans les costumes, les décors ou les effets spéciaux. Même si le tout n’est pas forcément du meilleur goût, une atmosphère de dépaysement complet s’instille à mesure que Flash découvre Mongo, qu’il s’agisse du luxe (en toc, soit) du palais impérial, des profondeurs inquiétantes des jungles d’Arbora ou du palais des hommes-oiseaux d’un raffinement en décalage complet avec le style plus que frustre de ses habitants. A sa manière, Flash Gordon est une invitation au voyage, tendance charter bas de gamme. Ainsi, le film use et abuse de décors peints et de maquettes quand il s’agit d’évoquer les décors fantasmagoriques que traversent vaisseaux et autres navettes aux lignes improbables. Et si cette méthode fait sauter à nos yeux par trop habitués à la netteté plastique des images de synthèse les innombrables petits défauts qui nous font nous écrier « ah, le beau décor en carton-pâte ! », il faut admettre que le tout fait vivre à sa manière un univers à la fois onirique et diablement dépaysant.
Ce monde est peuplé par une galerie de personnages hauts en couleur qui fait beaucoup pour ajouter une bonne dose de saveur à l’univers déjà gouleyant de Flash Gordon. Hauts dignitaires du régime aux uniformes fascisants, séduisante princesse gâtée en crise d’adolescence tardive, peuples vassaux en lutte pour conquérir leur liberté et renverser le tyran… La gamme est vaste et elle est servie par des interprètes dont la présence à l’écran et les talents d’acteurs sont inégaux. Ce sont malheureusement les têtes d’affiche principales qui en pâtissent le plus. Ainsi, Flash Gordon lui-même (Sam J. Jones) est d’une insipidité qui surprend dans un film de toutes les outrances. Dale Arden (Melody Anderson) s’en tire à peine mieux, même si le côté cruche de service et demoiselle en détresse du personnage laisse parfois la place à des moments action-girl qui font plaisir à voir. Hans Zarkov (Topol) nous propose quant à lui l’inverse : jubilatoire en savant fou totalement à l’ouest au début du film, il se fait malheureusement plus sage et moins présent à mesure que les minutes s’égrainent.
En somme, il faut aller sur Mongo pour trouver les têtes d’affiche vraiment mémorables du film. C’est le cas de la princesse Aura (Ornella Muti) qui assure donc un rôle assez classique de fille-de-l’empereur-maléfique-qui-tombe-amoureuse-du-héros-et-qui-finit-par-trahir-son-papa avec pas mal de présence et en rajoutant une bonne dose de soufre par la libido extravagante qui lui est prêtée. Les vassaux de Ming savent aussi tirer leur épingle du jeu. Ainsi, le très psychorigide prince Barin (Timothy Dalton en mode pré-James Bond) est le leader d’une planète de pseudo-elfes des bois qui ne tardera pas à prendre autant en grippe Flash que son autre grand rival le prince Vultan, chef des hommes-oiseaux. Ce dernier est joué par un Brian Blessed qui en fait des tonnes pour le plaisir de tous et qui cabotine dans son rôle de barbare à la stature colossal et au front désespérément bas auquel on aurait collé deux grandes ailes de carnaval dans le dos.
Mais c’est vraiment Max von Sydow qui brille tout au long du film en dictateur spatial, outrancier et baroque au possible. D’ailleurs « brille » est souvent à prendre au sens propre du terme, tant les costumes de Ming croulent sous le scintillement des paillettes et les couleurs agressives. Si Mongo est une destination si dépaysante, son tyran n’y est pas pour rien, régnant avec une cruauté capricieuse et décomplexée, échafaudant des plans à la démesure presque caricaturale et imposant un mariage au but clairement libidineux aux pauvres humaines de passage. A défaut d’être un personnage travaillé, Ming est un archétype jubilatoire du « méchant très méchant parce qu’il est méchant » : loin d’être original mais irrésistiblement divertissant.
Flash Gordon ne se préoccupe pas vraiment de mettre à profit sa très riche galerie de personnages dans un scénario travaillé. La trame est on ne peut plus classique, parcours éculé de l’archétype héroïque qui lutte contre la tyrannie et organise la rébellion hasta la victoria siempre. Mais le tout est émaillé de scènes qui oscille entre l’improbable et le grotesque, marque assurée de la « patte » Flash Gordon. On pense ainsi à ce match de football américain improvisé par Flash en pleine salle d’audience du dictateur galactique qui met à profit un œuf de Fabergé géant, quelques gardes impériaux en petite forme et une Dale Arden jusque là très sage qui se prend soudain pour une pom-pom-girl. En résulte une scène curieuse qui évoque parfois une bagarre de village directement issue d’une adaptation d’Astérix à l’écran.
La scène du mariage tranche également fortement avec le ton vaguement sérieux que le film essaye sans grande conviction d’instaurer, des vœux loufoques échangés à la bannière qui annonce clairement la couleur au public : « toute créature se réjouira sous peine de mort ». Quand la moitié des acteurs cabotine déjà allègrement et qu’on leur demande en plus de faire n’importe quoi, le résultat final est des plus étranges, surtout avec un lancinant refrain chanté par Queen en fond sonore… Un main theme qui fait décidément du métrage l’ambassadeur de toute une époque et d’une certaine vision de la science-fiction.
Flash Gordon n’est donc pas un film pour tous les publics. Il aborde le space-opera d’une manière diamétralement opposée au sérieux et à la rigueur presque psychorigide mis en avant par les cadors du genre, Star Wars en tête. Pour être apprécié, il demande donc au spectateur une bonne dose de second degré et un goût pour la dérision et la quasi-parodie. Il faut au moins ça pour apprécier un film aux accents tout à la fois camp, pulp et kitsch qui flirte allègrement avec le nanar et la série Z. Avec du recul, on peut ironiser et se moquer doucement de ce film à la fois étrange et ridicule, mais à l’heure de l’écrasante omniprésence des blockbusters hollywoodiens hyper-formatés, on ne voit plus de gros producteurs mettre sur pied des budgets colossaux pour ce genre de projets. L’ère Dino de Laurentiis est bien passée et avec elle s’est peut-être éteinte une petite part de la fraîcheur de l’industrie cinématographique. A sa manière, Flash Gordon est autant le testament d’une époque révolue qu’un film de science-fiction en roue libre…