Pilier central de la magie Nintendo durant les années 80, l’équipe de Gunpei Yokoi, puis connue sous le nom Research & Development 1, fût responsable d’innombrables créations aussi novatrices que cultes qui allèrent tant dans la conception de supports (Game & Watch, Game Boy, Virtual Boy…) que dans la création de jeux en eux-mêmes, notamment avec la série des Metroid et les épisodes portatifs proposant Mario ou Wario comme protagonistes. Ce qui va nous intéresser aujourd’hui se trouve être une cartouche développée par l’équipe pour la vénérable Game Boy (avec un petit coup de main d’Intelligent Systems), qui n’aura jamais eu l’occasion de sortir en dehors du Japon, mais dont le genre et les certaines similarités avec The Legend of Zelda : Link’s Awakening nous portent à penser que c’est plutôt dommage. En effet, Kaeru no Tame ni Kane wa Naru, ou “Pour la grenouille sonne le glas” (que l’on me corrige si cela est faux), a bien des atouts, si ce n’est de proposer avant tout une bien charmante aventure.
Imaginée par Yoshio Sakamoto, notre histoire, en somme toute classique, débute par un duel entre notre héros, le prince du royaume Sablé, et son rival mais néanmoins ami Richard, le prince du royaume Crème. Leur affrontement – qui donnait pour perdant notre protagoniste – va tourner court quand ils vont apprendre que leur voisin, le royaume insulaire de Mille-Feuilles, a été envahi par le vil roi Delarin, et que la princesse Tiramisu est depuis portée disparue. N’écoutant que son courage et par pure fierté personnelle, Richard s’empresse de constituer une armée pour rejoindre l’île et retrouver la damoiselle le premier, en s’appliquant bien à laisser en plan notre héros sur ponton du port local. Notre prince n’incarne pas vraiment le stéréotype qu’on colle souvent à son statut : candide, gauche, pas vraiment orgueilleux, il possède malgré tout un sens sans pareil pour la justice et restera bien décidé à tenter de devancer son rival. Il est surtout blindé aux as et n’hésitera pas à s’en afficher de manière ostentatoire, quitte à se faire régulièrement voler ou arnaquer. Pire encore, au cours de sa quête, alors qu’il est à la recherche de Richard et son armée, il sera mené en bateau par une vicieuse sorcière avant d’être transformé en grenouille ! Fort heureusement, tout est réversible moyennant l’utilisation d’objets, et ce changement de forme ne sera pas finalement si pénalisant pour notre prince. Kaeru no Tame ni Kane wa Naru propose donc un univers original et haut en couleurs malgré le fait qu’il tourne sur Game Boy. On notera cette attention toute particulière à placarder des noms de gâteaux et autres mets sucrés aux personnages et lieux que l’on aura l’occasion de visiter, ce qui donne à l’ensemble un côté mignon tout plein. L’histoire, plutôt textuelle, sera dans sa globalité sans prise de tête mais tout à fait agréable à suivre, avec quelques tumultes prévisibles mais suffisants pour vouloir connaître la suite.
Une bien sympathique quête qui sera accompagnée par un gameplay plutôt singulier et rare pour ce support à cette époque. Il s’agit d’un curieux mélange entre un RPG et un plateformer, avec pour chacun des styles quelques particularités intéressantes. Pour le premier style, réservé pour l’extérieur et les combats, on reste dans de classiques phases d’exploration avec un petit monde à découvrir, des villages, des échoppes, et tout un tas de personnages à qui parler, même si ces derniers, visiblement briefés pour tous dire la même chose, ne marqueront pas les esprits par leurs dialogues profonds. Concernant les combats… Disons que ceux-ci surprennent par leur passivité. Automatiques et seulement affichés à l’écran par un nuage de coups comme dans les dessins animés, ils ne nous donnerons la chance d’intervenir que pour prendre la fuite ou utiliser un objet. Le reste du temps, c’est les statistiques du héros et de l’ennemi affronté qui primeront. Nul doute que si l’on se prend une rouste, c’est que l’on est pas au bon endroit ou pas sous la bonne forme. Dans ce sens, être changé en grenouille apportera un avantage contre tous les insectes car ils seront tout bonnement gobés. Par contre, contre les serpents, naturels ennemis des batraciens, cela sera tout le contraire. Enfin, ne cherchez pas de points d’expérience : les montées des niveaux d’attaque, défense et rapidité ne se feront que par l’obtention de runes cachées dans des coffres ou donnés en récompense d’une victoire sur un boss. Certains verrons cette simplicité comme un mauvais point, mais voyons cela comme une sorte d’initiation au genre pour les débutants, comme le fera SquareSoft avec son non moins fameux Mystic Quest Legend… En moins dirigiste. Concernant la partie plateforme où la perspective basculera vers un plan plus aplati, on retrouvera également le concept d’avantages à être sous forme humaine, grenouille ou autre (spoiler !), en prenant comme exemple qu’en tant qu’animal amphibie, on pourra nager et sauter très haut, mais on demeura une quiche en combats, encore présents dans cet angle. De ce côté là, la poignée de donjons sont très bien pensés et invitent à la réflexion pour accéder à des endroits inaccessibles et résoudre quelques simples énigmes. Jeu Nintendo oblige, les contrôles répondent particulièrement bien, ce qui est pas mal vu que la moindre rencontre avec un piège en forme de pics nous enverront directement à l’hôpital. Après, la difficulté générale du jeu s’avère relativement simple, et un échec ne se finira pas sur un Game Over, une perte monétaire ou un vidage de l’inventaire.
Il a été abordé un peu plus haut que Kaeru no Tame ni Kane wa Naru partageait quelques similarités avec le premier épisode portatif des aventures de Link, et c’est peut-être le moment d’en parler, même si les images parlent déjà d’elles mêmes : les deux titres partagent en effet le même moteur graphique – découpage par écrans et effets de transitions compris – ainsi que cette dualité des perspectives, même si la vue au dessus composera 90% de Link’s Awakewing, contre un bon 50-50 pour la quête du prince grenouille. La gestion de l’inventaire, le HUD en bas de l’écran, ainsi que ce bon goût pour les « cinématiques » seront également des éléments semblables qui titilleront les plus attentifs. Après, il est facile de voir le gap entre les deux jeux (sortis à quelques mois d’intervalle), tant le Zelda est plus animé, plus long et quand même plus dynamique, mais nul doute que R&D1 aura apporté un joli coup de main à l’équipe d’EAD. Une aide visiblement bien remerciée, puisque Richard, le rival de notre héros, fait un joli cameo en tant qu’habitant de l’ile de Cocolint, grenouilles et musique à l’appui. Tiens d’ailleurs, puisque l’on parle de bon son, il est à noter que pour le jeu du présent article, c’est comme à l’accoutumée Kazumi Totaka qui s’en est occupé, pour une bande-son qui suit le thème : colorée et sucrée, même si elle tant un peu trop vers les aigus.