Devil Survivor 2 se présente sur de nombreux plans comme un gros rab de Devil Survivor premier du nom généreusement servi aux gastronomes qui n’en auraient pas eu assez avec le premier service. Mais après tout, pourquoi changer les bases d’une formule qui marche alors que vous pouvez vous contenter d’en gommer les rares défauts et d’améliorer quelques détails par-ci par-là ? La démarche est d’autant plus pertinente qu’Atlus profite du fait qu’une grande partie du travail ait déjà été accompli en amont sur le premier épisode pour s’essayer à un scénario d’un style inédit pour eux : l’invasion pseudo-extra-terrestre.
Mais ce n’est pour autant qu’on bouscule les fondamentaux narratifs de la licence hydre d’Atlus : ainsi, tout commencera par une légende urbaine qui se répand dans le milieu lycéen japonais. Il semblerait qu’un mystérieux site du nom de Nicaea annonce à l’avance à ceux qui s’y inscrivent la mort imminente de leurs amis, vidéo bien gore à l’appui. Et histoire d’encore mieux cadrer avec l’air du temps, les pseudo-DS du premier épisode sont remplacées par une app Nicaea accessible depuis les smartphones des protagonistes. Il n’y a pas à dire, c’est beau le progrès. C’est donc sur ce fond de rumeurs plutôt morbides que l’avatar du héros (ce sera une fois de plus au joueur de lui trouver un nom) et son meilleur ami Daishi Shijima se retrouvent dans une station de métro à compter fleurette à leur charmante camarade Io Nitta.
S’ensuivent une vidéo d’avertissement lugubre de Nicaea, un tremblement de terre qui provoque un accident de métro et une intervention inopinée de démons qui sauvent le trio de jeunes lycéens de leur mort annoncée pour mieux chercher à les tuer par la suite. Après un court combat d’apprentissage histoire de montrer aux démons qui est le chef, notre protagoniste muet, Daishi et Io deviennent officiellement invocateurs. Ils vont rapidement éveiller les soupçons de Makoto Sako, une jeune femme qui semble travailler pour une organisation gouvernementale secrète du nom de JP’s. Cette organisation s’avère impliquée dans la lutte contre les démons depuis un bon moment et nos trois lycéens en deviennent rapidement des membres à part entière. Les choses se compliquent quand en plus des démons, apparaissent les Septentrions, de mystérieuses créatures extra-terrestres aux formes géométriques qui semblent avoir pour idée fixe de détruire les colossales antennes radio situées juste au-dessus des différentes filiales japonaises de JP’s.
Même si le titre du soft reste le même, Devil Survivor 2 s’axe beaucoup moins que son prédécesseur sur la notion de survie. En effet, tous les besoins basiques de nos héros étant pris en charge par JP’s, ils n’ont plus besoin de s’inquiéter de trouver nourriture ou logis. On ne peut malheureusement pas en dire autant du reste de la population qui souffre sévèrement des conséquences de cette nouvelle crise. Le thème de la survie prend donc un tour plus politique dans ce deuxième épisode, les trois personnages principaux étant pris en porte-à-faux entre une population excédée peu à peu menée à la révolte par des agitateurs charismatiques et une organisation secrète intransigeante trop focalisée sur une lutte d’importance capitale pour partager ses précieuses ressources en vivres et en médicaments. Comme dans le premier épisode, on sent déjà poindre les prémisses d’un choix de philosophie qui aura un impact considérable sur le déroulement de la fin du jeu. On regrettera toutefois que les meneurs des deux factions les plus évidentes s’avèrent malheureusement aussi insupportables l’un que l’autre : entre un Che Guevara du pauvre sans aucune conscience des réalités et pétri d’un idéalisme béat et un fasciste qui traite l’ensemble de la population et de ses subordonnés comme des déchets qui sont à peine dignes de l’admirer, le joueur risque de se réfugier rapidement vers les autres possibilités plus mesurées qui s’offrent à lui. Malheureusement, de ce point de vue-là, même si on reste très loin de la catastrophe absolue, Devil Survivor 2 manque quelque peu de la subtilité de son aîné.
La narration du jeu reprend quant à elle la formule du premier épisode : on retrouve ainsi l’écran principal en forme de plan de Tokyo et une liste de lieux à visiter pour assister à des événements importants de la trame en échange d’une précieuse demi-heure dans le planning très serré des protagonistes. Etant donné les ressources considérables de JP’s et l’ampleur des opérations de l’organisation, nos héros finiront en plus par voir du pays en accomplissant également des missions à Nagoya et à Osaka, diversifiant ainsi les lieux visités. Et ces virées seront aussi l’occasion de croiser de nouvelles têtes. La galerie de personnage de Devil Survivor 2 s’avère ainsi encore plus riche que celle de son prédécesseur et le jeu implémente également un système inspiré des Social Links de Persona 3 et Persona 4 : en consacrant un temps précieux à faire la connaissance de tel ou tel personnage, le protagoniste verra son degré d’affinité avec lui augmenter, ce qui se traduira par un meilleur travail d’équipe et la possibilité de fusionner de nouveaux démons spéciaux. Bien sûr, réussir à faire la connaissance de tous les personnages demandant une gestion de l’emploi du temps digne de celle d’un assistant parlementaire. De manière plus probable, il faudra mettre à profit le système de New Game Plus pour apprendre à découvrir de nouveaux personnages.
Si ce deuxième épisode se montre plus généreux en contenu, il y a toutefois une contre-partie. En effet, la trame du jeu est bien moins modulable que celle de son aîné. Le joueur se voit parfois proposer des choix cornéliens quand une vidéo du site Nicaea l’avertit de la mort prochaine d’un de ses compagnons, mais il suffit la plupart du temps de se consacrer en priorité au sauvetage et d’arriver dans les temps pour prévenir le drame. L’histoire est d’une certaine manière plus linéaire et plus dirigiste et les choix du joueur ont globalement peu d’impact sur ce qui se passe avant la partie finale du jeu. De la même manière, l’augmentation du nombre de décors a forcé les concepteurs à sabrer l’accès aux zones non essentielles à l’histoire, limitant de fait la liberté d’action du joueur. Ainsi, Devil Survivor 2 est plus grandiose et plus épique que son prédécesseur, et également plus classique, perdant au passage une certaine proximité avec les personnages née d’un cadre plus modeste et de considérations plus terre-à-terre. Il garantit toutefois une trame prenante pleine de morceaux de bravoure.
Pour ce qui est du gameplay, Devil Survivor 2 ne fait que reprendre et améliorer les mécaniques de son grand frère, mélangeant allègrement le T-RPG et les systèmes devenus classiques de la saga Shin Megami Tensei, raffinés à l’extrême. Inutile donc de revenir sur ce qui a déjà été dit dans la critique du premier épisode, l’ensemble restant parfaitement valable en dehors de quelques détails. Ainsi, les compétences raciales des démons peuvent maintenant être améliorées passé un certain niveau. La liste des compétences que les invocateurs peuvent voler et utiliser a aussi été ré-équilibrée pour rendre les attaquants physiques viables et plus efficaces en fin de jeu. Et le Compendium fait enfin sa ré-apparition, permettant d’expérimenter à l’envi avec le système de fusions et de compléter une collection de démons qui compte sans doute parmi les plus pléthoriques des différents Shin Megami Tensei.
Mais l’évolution la plus notable du gameplay est sans doute la refonte du New Game Plus. Si Devil Survivor était déjà très axé sur cet aspect, sa suite bénéficie pleinement des apports de la version Overclocked. Ainsi, il ne suffit plus de finir le jeu pour débloquer d’un coup tous les les bonus : le New Game Plus est ici à la carte. Accomplir certaines objectifs en cours de jeu débloque de simili-succès dont la valeur en points varie en fonction de la difficulté de la tâche. Ainsi, si parvenir à lier pleinement connaissance avec un des personnages principaux est relativement aisé et ne rapportera que peu de points, totalement compléter le Compendium ou finir le jeu sans faire un seul des combats annexes qui permettent de récupérer de l’expérience bonus s’avère autrement plus délicat, avec à la clé une récompense en points bien plus conséquente. Et ces points amassés une fois le boss final vaincu peuvent ensuite être dépensés au début d’une nouvelle partie pour conserver ses démons de haut niveau ou débloquer de nouveaux boss optionnels. Le système a donc le double avantage de renouveler l’expérience de jeu et d’encourager le joueur à mener sa nouvelle partie d’une autre manière pour débloquer d’autres succès. Le système est tout bête mais encourage à reprendre le jeu pour en découvrir toutes les subtilités.
D’un point de vue technique, pas non plus de gros changement par rapport au premier épisode: la charte graphique du jeu recycle même une bonne partie des sprites et des décors de Devil Survivor. Tout cela reste donc toujours aussi vivant et coloré à l’écran, un très bon point. Le chara-design de Suzuhito Yasuda revient également en force : ceux qui ont détesté et conspué son travail ne changeront sans doute pas d’avis mais son esthétique manga branchouille fait maintenant partie intégrante de la patte artistique des Devil Survivor. Seul changement notable : la musique a été cette fois composée par Kenji Ito ! Voir le créateur des légendaires pistes de Seiken Densetsu s’atteler à la composition d’un Shin Megami Tensei a quelque chose de très étrange, sa musique étant aux antipodes de celles qui accompagnent traditionnellement la saga phare des RPGs horrifiques. Malheureusement, le style rock apparemment obligatoire dans la série d’Atlus a une nette tendance à occulter une bonne partie de ce qui fait l’identité de la musique d’Ito. Pas toute son identité, heureusement. Il n’en compose pas moins à son habitude une excellente bande-son, riche de pistes qui donnent la pêche.
Devil Survivor 2, c’est donc un autre Devil Survivor premier du nom, à la fois plus carré au niveau du gameplay et désireux d’utiliser une formule maintenant bien rodée pour explorer d’autres thèmes en conservant une structure familière pour le joueur. Atlus n’en est pas à son coup d’essai en la matière, de la duologie Persona 2 au couple Persona 3 / Persona 4 en passant par les Devil Summoner mettant en scène Raidou Kuzunoha et les Digital Devil Saga. Et si d’autres compagnies que nous ne nommerons pas ici se complaisent dans un recyclage stérile et redondant, Devil Survivor 2 est le fruit d’une longue expérience en matière d’optimisation du travail déjà accompli précédemment. C’est une démarche qui a aussi ses travers : une suite aussi inspirée par son aîné ne pourra que difficilement l’égaler en matière de fraîcheur et d’originalité. Mais une chose est sûre, utilisée avec parcimonie, la méthode est idéale pour accoucher d’excellents jeux. Devil Survivor 2 en est une preuve supplémentaire.