Pas facile de donner naissance à un mythe… Ca fait partie des choses qui arrivent presque par accident : ça ne se décide pas mais du coup on vous attend au tournant pour la suite de votre carrière. Tri-Ace en a fait les frais avec le premier Valkyrie Profile, un jeu différent et atypique, une perle imparfaite sur laquelle souffle un vent de fraîcheur morbide et qui fait l’objet d’un véritable culte pour une partie non négligeable du public de passionnés de RPGs nippons. Le genre de jeux auquel on ne devrait pas donner de suite à la légère…
D’ailleurs, difficile d’envisager une suite directe quand on sait que Valkyrie Profile narrait les aventures de Lenneth, une Valkyrie au service d’Odin dont la mission était de rassembler les âmes des braves morts au combat (les einherjar) et de les entraîner en vue du Ragnarok, la grande bataille épique qui décidera du sort du monde à la fin des temps. En effet, que peut-on encore raconter après la fin du monde ? Les élus qui auront bouclé le jeu avec la fin A sauront qu’il y aurait sans doute eu de la matière avec une poignée d’antagonistes très dangereux en embuscade, mais tri-Ace a préféré opter pour la préquelle… ou presque.
Nous voilà donc quelques siècles avant le premier épisode. Une autre Valkyrie d’Odin du nom de Silmeria s’est rebellée contre son dieu tutélaire et ce dernier a décidé de la mettre en sommeil dans le corps de la jeune princesse du royaume de Dipan, Alicia. La chose ayant moyennement plu au roi Barbarossa, ce dernier a exilé sa fille dans un château isolé et s’est laissé convaincre par ses mages de financer des expérimentations magiques pour le moins douteuses qui visent un but inconnu mais certainement pas très clair. Les joueurs ayant fait le premier épisode sont déjà au courant de la légende qui veut que le royaume de Dipan ait été détruit en une seule nuit par les dieux pour les transgressions de son roi, ils attendent donc qu’on leur envoie du lourd.
Après tout, nous avons une princesse maudite qui entend la voix d’une Valkyrie dans sa tête et qui partage parfois le contrôle de son corps avec elle, un roi en plein trip misothéiste, des mages sans éthique qui bidouillent avec des connaissances censées rester hors de portée de l’humanité et des dieux hautains qui ont déjà montré qu’ils n’avaient aucun scrupule à utiliser les hommes comme de simples outils. Un sacré cocktail explosif en somme, surtout que tri-Ace lance le tout avec deux cinématiques d’introduction qui mettent tout de suite l’ambiance. Il ne faudra toutefois pas longtemps au studio pour faire retomber le tout façon encéphalogramme plat.
Il s’agit d’abord d’un problème de personnages. Le casting promet sur le papier, mais un gros problème nommé Alicia vient se greffer à l’équation. La pauvre princesse est en effet insupportable de mollesse, à tel point qu’on a envie de lui foutre des baffes à travers l’écran pour qu’elle se réveille un peu. Ce caractère amorphe permet à la Valkyrie Silmeria qui partage son corps de faire ressortir son caractère et la princesse finit par évoluer dans la deuxième moitié du jeu, mais le mal est déjà fait : on a alors à peu près autant d’intérêt pour le destin d’Alicia que cette dernière n’en avait pour le scénario au début du jeu.
Le reste des personnages composant l’équipe s’en sort mieux, mais ils restent peu développés. Alors qu’une dizaine de minutes suffisait à Valkyrie Profile pour présenter le vécu d’un einherjar pendant les derniers instants de sa vie et pour établir un lien empathique entre le joueur et le personnage, Silmeria n’arrive même pas à offrir un vécu digne d’intérêt à Rufus ou à Dylan au bout d’une trentaine d’heures de jeu. Des pistes sont lancées régulièrement mais jamais développées et on finit le jeu en ayant la désagréable impression qu’on ne ne connaît pas plus les personnages que quand ils ont intégré l’équipe pour la première fois. Un beau gâchis tant certaines histoires personnelles avortées étaient prometteuses.
Les PNJs s’en sortent heureusement un peu mieux malgré quelques erreurs de parcours. Les antagonistes en particulier ne sont pas beaucoup plus développés que les personnages de l’équipe, mais ils se débrouillent au moins pour assurer le spectacle. Au risque parfois d’en faire trop comme Odin qui semble très souvent croire qu’il joue dans un mauvais épisode de Saint Seiya. On ne peut pas en dire autant des einherjar que l’on peut recruter dans les donjons. En effet, lors de sa révolte contre Odin, Silmeria était encore à la tête d’un petit contingent de braves qui se sont vus enfermés dans le corps d’Alicia avec elle. Au détour d’un donjon, l’équipe peut tomber sur des armes abandonnées par ces guerriers et la Valkyrie déchue peut alors s’en servir pour les ressusciter et les intégrer à l’équipe.
Ces personnages se voient associés à une petite biographie qui creuse le background de l’univers, chacun d’entre eux venant d’une période historique bien antérieure aux jeux. Mais c’est malheureusement le seul intérêt de ces personnages. Ils n’ont pas de personnalité et même pas d’identité propre : chacun d’entre eux n’est à l’écran qu’une version à peine modifiée d’un modèle générique correspondant à une classe de personnage (archer, sorcier, guerrier, etc…). Et il n’est même pas possible de tous les recruter, chaque arme permettant de ressusciter un seul einherjar choisi aléatoirement parmi deux ou trois. On se demande bien quel est l’intérêt de limiter ainsi le choix du joueur alors qu’il ne recrute déjà que des doublons dans son équipe.
L’attachement aux personnages n’est pas aidé par leur modélisation façon poupée de cire. En effet, exit les magnifiques artworks des Yoshinari qui occupaient la moitié de l’écran lors des phases de dialogue du premier opus, le jeu passe ainsi totalement à la 3D, malheureusement pas aidé par une mise en scène totalement ratée. Les doublages rattrapent un peu le désastre, même si la synchronisation labiale semble être en option. La narration accuse également de lourds problèmes de rythme. Le jeu est structuré en six chapitres et si les deux premiers sont prenants, le troisième est une catastrophe. A moins bien sûr que vous aimiez enchainer une série interminable de donjons avec un « Désolé Alicia, mais l’artefact magique est dans un autre château » en guise de seul fil directeur. Le jeu se reprend dans les chapitres suivants au niveau du rythme, beaucoup moins du point de vue du fond…
En effet, passé un quatrième chapitre qui est sans doute le meilleur du jeu, le jeu entame une deuxième partie qui part totalement en sucette. Recyclant à l’envi les cordages narratifs bancals qui avaient déjà valu à Star Ocean 3 ses lettres d’infamie scénaristique, tri-Ace s’acharne à démonter le background du premier épisode en abusant de plot holes, de twists scénaristiques pas crédibles une seule seconde et de moments d’une finesse rare. Au cours d’un crescendo grotesque qui brouille définitivement les pistes entre préquelle et suite directe et qui culmine sur un finale porté à bout de bras par un seul antagoniste réduit à cabotiner et à en faire des tonnes, on fait perdre toute cohérence à des personnages clés de la saga, on utilise des justifications scénaristiques dont même Ed Wood aurait eu honte, on emprunte à des styles aussi hétéroclites que les magical girls ou le sentai…
Bref, il souffle sur la fin de l’histoire de Silmeria une atmosphère de cataclysme (involontaire) que même son vénérable ancêtre n’arrivait pas à égaler quand il évoquait la fin crépusculaire d’un monde condamné. Du grand art (ou pas) qu’il convient de prendre avec distance et second degré, auquel cas le jeu se finit en nanar divertissant.
Si la modélisation des personnage est dérangeante, le niveau technique du reste du soft est quant à lui de très haute volée. Tri-Ace a en effet décidé de garder la vue de profil qui fait la spécificité de la série en modélisant les décors en 3D. Non seulement les arrière-plans fourmillent de détails et de vie, mais l’ajout d’une dimension et de divers effets de lumière et de particules offre bien plus d’outils pour jouer avec la perspective et les ambiances. C’est bien simple, la nouvelle robe de la série réussit la prouesse d’évoquer avec autant d’acuité (si ce n’est plus) la beauté morbide de Midgard que la magnifique 2D du premier épisode. Certes, le tout scintille parfois beaucoup à l’écran, mais le résultat final s’avère extrêmement convainquant. Dans le même registre, la carte du monde est elle aussi très réussie et permet au joueur de prendre littéralement un peu de hauteur. La planante piste Divine View qui accompagne la map invite même ce dernier à se figurer l’espace d’un instant à la place d’un dieu.
D’ailleurs en parlant de musiques, Motoi Sakuraba a réussi avec l’OST de Silmeria à faire une chose à laquelle il nous a peu habitué ces dernières années : il s’est renouvelé. Le rock progressif se fait un peu plus discret (tout en restant de très bonne facture) et laisse la place à des compositions plus aériennes qui mettent beaucoup à profit les instruments à corde. Il en ressort que Silmeria est imprégné d’une atmosphère peut-être un peu moins punchy et plus émotionnelle que celle de son aîné. Une très bonne BO qui n’est malheureusement pas vraiment exploitée au mieux par la narration du jeu.
Du point de vue du gameplay, Silmeria capitalise sur les bases du premier Valkyrie Profile en instaurant de nouveaux éléments, plus ou moins bien implémentés. Comme évoqué précédemment, la vue de profil est toujours de rigueur et les donjons mêlent donc toujours plates-formes 2D à l’ancienne et casse-têtes. Les pouvoirs de cristallisation de Lenneth laissent toutefois la place à des « photons » qui paralysent les ennemis après un premier tir et qui permettent à Alicia d’échanger sa place avec eux après un deuxième. Ces nouvelles capacités donnent naissance à des puzzles pour le moins tordus que devront braver les joueurs qui désirent récupérer tout ce que les donjons ont à offrir.
De plus, les donjons abritent maintenant un réseaux de piédestaux sur lesquels peuvent se fixer des orbes porteurs d’effets secondaires. On peut donc maintenant s’amuser à jongler avec ces artefacts, en les gardant sur soi pour que le groupe profite de leurs effets positifs ou en les fixant à un support pour que les monstres de la zone d’effet subissent leurs effets néfastes, tout en gérant au plus près le nombre d’orbes que le groupe peut déplacer en même temps… ou on peut laisser totalement de côté cet aspect du jeu qui n’est indispensable à prendre en compte que dans le cas de quelques rares énigmes.
Les joutes s’amorcent de la même manière que dans le premier épisode, en touchant un des ennemis errants dans les donjons. Entre alors en jeu la principale nouveauté ludique du jeu : les personnages de l’équipe vont devoir se frayer un chemin jusqu’à un ennemi sur une map en 3D de taille réduite pour lui faire sa fête. Il faut alors éviter de rentrer dans les zones d’effets des attaques ennemies et aborder sa cible selon un angle d’attaque où il est vulnérable. Les options proposées au joueur sont nombreuses : séparer son groupe en deux pour encercler l’ennemi, utiliser un dash qui prend l’ennemi par surprise mais qui coûte des APs, s’approcher en marchant pour reconstituer ces APs (ce qui permet cependant aux ennemis de s’approcher en même temps), etc…
Cette partie très réussie du gameplay est malheureusement gâchée par la régression totale que constituent les assauts directs. Une fois à portée d’arme d’un ennemi, la scène repasse en effet en vue de profil pour des joutes qui ressemblent fort à celles du premier épisode : chacun des quatre personnages du groupe attaque en effet d’une simple pression sur le bouton qui lui correspond. Chaque attaque coûte maintenant un certain nombre d’APs, il convient donc de les économiser durant la phase d’approche. Malheureusement, le passage à la 3D s’est fait aux dépens de la précision des joutes, les modèles des personnages et des monstres s’enchevêtrant allègrement là où les collision des sprites de l’épisode précédent était gérées au millimètre. Le tout est de plus surchargé d’une accumulation d’effets de luminosité qui nuisent grandement à la lisibilité de l’action. De plus, la quasi-disparition des parades et des esquives rendent les magiciens totalement obsolètes : leur puissance d’attaque a été grandement réduite et leurs sorts ne sont plus nécessaires pour briser les gardes. En cas de résistance, il suffit maintenant de bourriner avec quatre guerriers pour que ça passe. Le résultat final n’est pour autant pas déplaisant, loin s’en faut – du moins quand la gestion de la difficulté « à la tri-Ace » ne se fait pas trop présente. Mais au final le système se révèle plus bourrin, moins technique et bien moins équilibré que l’alchimie parfaite dont faisait preuve Valkyrie Profile, donnant une désagréable impression de bâclé quand la suite est comparée de trop près à son aîné.
Bien sûr, les Soul Crush répondent encore à l’appel quand les attaques s’enchainent assez bien pour remplir la jauge de furie. De plus, il est toujours possible de customiser les attaques qui composent le combo principal des guerriers en fonction des caractéristiques de l’arme équipée. On regrettera par contre que le côté copié/collé des einherjar se poursuive jusqu’en combat, tous les membres de chaque classe se partageant les mêmes attaques et le même Soul Crush. Il n’y a pas de petites économies. Les skills s’apprennent désormais par le biais d’associations de runes de couleur portées par les pièces d’équipement. A la différence de celles de Valkyrie Profile, seule une poignée ne s’avère pas dispensable, ce qui n’encourage pas vraiment le joueur à errer des heures dans les donjons pour dépiauter les ennemis sous tous les angles et farmer les précieux équipements (les magasins des villes s’avérant assez chiches en la matière). A moins bien sûr de vouloir boucler le Seraphic Gate, le donjon bonus devenu au fil du temps une des traditions de la série. Ce dernier offrira au joueur accroc plus que son content de boss puissants, de personnages bonus et de scènes parodiques avec des chiens. Elle est pas belle la vie ?
Valkyrie Profile 2 : Silmeria n’est objectivement pas un mauvais jeu, mais il est celui qui a transformé un mythe du RPG en simple franchise. Plus grave, il a profondément transformé l’identité profonde du premier épisode qui flirtait avec la tragédie théâtrale intimiste pour en faire une sorte de pseudo blockbuster hollywoodien raté qui part sérieusement en vrille… et tout ça simplement parce que c’était plus dans l’air du temps et que le budget suivait. C’est d’autant plus dommage que le jeu offrait les bases d’une grande histoire, une très bonne OST, des décors qui tirent profit d’une robe graphique magnifique et de très bonnes idées de gameplay, maladroitement mises en pratique. Silmeria n’est donc pas un mauvais jeu, mais en est-ce pour autant un bon ? Chacun jugera.