Chacun s’accorde à dire que le jeu de rôle japonais est en perte de vitesse. Depuis l’avènement de la HD, les grands pontes ne réussissent plus à tenir les joueurs en haleine des heures durant. Un développeur milite pourtant en faveur de ce genre, et ce depuis des années. Assez peu reconnu et très peu attendu, From Software a bluffé tout le monde au travers de son Demon’s Souls. Etrangement, celui-ci ne fait pas réellement dans le grand public et l’accessibilité à tout prix. Au contraire. Demon’s Souls fait plutôt partie de ces jeux qui ne vous aiment pas, de ces jeux où le moindre élément du décor peut vous faire la peau, de ces jeux qu’il est pour ainsi dire impossible de lâcher une fois l’écran Start franchi.
Le monde vit naître un puissant démon, l’Ancien, un être sorti de nulle part n’amenant avec lui que mort et désolation, au travers d’un brouillard sépulcral annonciateur de bien des maux. Les humains réussirent à l’enfermer dans un lieu intemporel, nommé le Nexus, dont la clé fut scindée en six archipierres. Chacune fut remise à un gouverneur d’une des six grandes régions du monde. Tandis que le monde retrouvait une sérénité bien méritée, le royaume de Boletaria fut envahi par un épais brouillard… Nul homme s’y aventurant ne réussit à en revenir.
Nul ne savait ce qui était advenu de ces Terres jusqu’au jour où Vallarfax, l’un des puissants guerriers aux ordres du roi Allant, réussit à s’en extirper pour révéler l’horrible vérité : son souverain avait réussi à invoquer l’Ancien. Des aventuriers de toutes parts tentèrent aussitôt de combattre les démons apparus à Boletaria, mais le brouillard continuait et continue de progresser. Pourtant un être a décidé de s’opposer à l’Ancien et arrive en terre maudite… A l’inverse des superproductions récentes, Demon’s Souls ne mise pas réellement sur son scénario. Il est pourtant loin d’être inintéressant et narré au travers de rares scènes cinématiques et surtout dialogues presque tous facultatifs avec les PNJ du jeu. Il serait donc erroné de croire que le background de Demon’s Souls est inexistant, bien au contraire, et les nombreuses discussions – parfois assez longues – révèlent d’insoupçonnés détails, appuyés par les somptueux temps de chargement révélant des personnages-clés de l’intrigue. Les non-dits seront, quant à eux, racontés par les décors ou les objets.
Ce parti pris de ne pas placer l’histoire au cœur du jeu se comprend rapidement, une fois la création de héros passée. Bien qu’aidée par un puissant créateur de personnage, elle est incapable de vous fournir un héros digne de ce nom, ou héroïne selon vos goûts. La classe est, elle, importante car déterminant votre façon de jouer au cours des premières heures de jeu. Soldat, Sorcier, Chevalier, Voleur, … tous les clichés de l’heroïc-fantasy sont là. Rien ne laisse présager l’étonnante introduction. Vous incarnez votre avatar au sein d’une intense brume. Une voix issue d’une intense lumière blanche vous indique qu’elle sera votre guide au cours de votre périple. Vous prenez les commandes dans un lieu exigu, grisâtre, que la vie semble avoir déserté. Les premiers pas sont lourd : votre démarche est réaliste, les temps de réaction crédibles et l’ambiance légèrement oppressante. Des messages parsèment le sol dans le but de vous enseigner les commandes de base. C’est alors que vous êtes surpris de la position des boutons principaux : sur les tranches. Les boutons à icône servent pour les mouvements spéciaux du style roulade, utilisation d’un objet ou actionner un levier. R1 pour la main droite, L1 pour la gauche. Les boutons de dessous permettent des actions spéciales, respectivement coup puissant et contre. La croix directionnelle permet de basculer entre les raccourcis d’inventaire tandis que vous bougez à l’aide des sticks analogiques. Pas question ici de se croire dans un Beat’em up bien nerveux ou un Action-RPG où vous sautez dans tous les sens. Demon’s Souls se veut être, grossissons le trait, une simulation de RPG. Le détail qui vous le martèle : la taille des armes. Il s’agit d’un élément crucial du gameplay puisqu’elles s’arrêteront au moindre contact avec un élément du décor, et notamment les murs.
Ce qui amène très vite à penser qu’une lance est l’arme idéale des tunnels tandis que les épées et hachoirs se font un plaisir d’occire vos ennemis en terrain découvert. Mais ce ne sera, bien évidemment, pas si simple. Demon’s Souls demande de prêter attention au moindre détail de configuration, que ce soit aussi bien la taille de l’arme que les attributs de votre bouclier ou l’ordre dans lequel vos objets sont placés dans vos raccourcis. La moindre erreur peut vous coûter la vie. Vous l’apprenez très vite au contact des premiers ennemis mais également à celui du premier boss qui vous expédie ad patres en une poignée de secondes. L’occasion pour vous de découvrir le Nexus et la voix qui vous a guidé au début : la jeune fille en noir. Le Nexus est le point central du jeu, le hub comme on dit, l’endroit où vous recouvrez vos points de vie, où vous pouvez parler aux PNJ et où vous fréquenterez marchands et autres forgerons. Vous y arrivez d’ailleurs sous forme d’âme : vous êtes mort. Vous continuerez l’aventure ainsi, en ne disposant que de la moitié de votre vie. Si l’envie vous en dit, grâce à certains objets – les pierres d’yeux éphémères – et en tuant les boss des différents niveaux, vous pouvez regagner votre corps, ce qui a ses bienfaits comme ses désavantages, ce sur quoi nous reviendrons plus loin. Demon’s Souls ne propose donc pas un monde ouvert mais plutôt cinq mondes à explorer, tous convergeant aux Nexus. Au départ, seul l’archipierre du Château de Boletaria est disponible, un niveau en complément du court didacticiel pour vous mettre dans le bain, et comprendre que la mort n’est pas une fin dans le titre de From Software. A chaque décès, vous recommencez au début du niveau, en ayant perdu toutes les âmes amassées sur les cadavres de vos victimes – âmes servant de monnaie aussi bien pour acheter des objets, que des sorts ou de l’expérience. Toutefois, les âmes ne sont pas définitivement perdues puisqu’elles sont toujours présentes sur votre emprunte spectrale située à l’emplacement de votre mort. Le plus difficile devient alors de retourner sur les lieux sans mourir, sous peine de voir le précédent emplacement remplacé par le nouveau point de décès, les âmes de la première emprunte étant cette fois perdues à jamais.
Demon’s Souls mise en effet sur une progression par l’échec. A l’ancienne diront certains. En tout cas, la philosophie du jeu est bien loin de la mentalité actuelle visant à valoriser le joueur du début à la fin de l’aventure. From Software ne pardonne rien au joueur, et ce dès les premières minutes au point que les moins persévérants éteindront certainement très vite la console. Cependant, c’est suffisamment rare pour être signalé, Demon’s Souls est peu injuste. En cas de mort prématurée, la faute incombe pour ainsi dire tout le temps au joueur. Une garde trop lâche, une roulade ratée ou une mauvaise stratégie d’approche. Un mauvais choix d’équipement peut-être, ou tout simplement une perte de concentration. Toute pause est proscrite : l’action continuant même si vous naviguez dans les menus. Et comme dit précédemment, tous les éléments ont conspiré pour vous faire la peau (même le système de lock…). Embuscade, pièges, trous, dragons et ce jusqu’au plus insignifiant rat sont là pour vous renvoyer au Nexus. L’art d’avancer à tâtons, la boule au ventre, les oreilles grandes ouvertes et les yeux hagards, doit être appris très vite pour espérer franchir ne serait-ce que la première partie du premier niveau. Le monde de Demon’s Souls s’ouvre alors, vous autorisant à la visite de n’importe quel autre contrée, à vos risques et périls. Chacune est divisée en trois parties, se terminant toutes inéluctablement par un boss. Ceux-ci ont pour fâcheuse manie de pouvoir vous tuer en un ou deux coups et à résister à la plupart de vos assauts si tant est que vous n’ayez pas découvert leur point faible. Une fois la technique acquise, au gré des multiples décès ayant entrainé une refonte complète du niveau avec l’intégralité des ennemis réapparus pour l’occasion, seules quelques minutes suffisent à en venir à bout.
Demon’s Souls est un jeu qui ne s’apprivoise pas aisément. Pour arriver à vos fins, il vous sera nécessaire d’en comprendre toutes les subtilités. Le système de combat est en effet le point central du jeu. Tant que vos réflexes ne seront pas suffisamment aiguisés, vos ennemis ne feront qu’une bouchée de vous, et ce quelque soit le nombre d’herbes de soin dont vous disposez – les objets utilisés avant une mort ne réapparaissent pas, eux. La parade et les différents coups possibles sont à assimiler très vite. Au fil de l’avancée, la connaissance de la portée de chaque arme, de la résistance de votre bouclier, de la vitesse de récupération de votre endurance seront de nouvelles alliées dans la quête de Demon’s Souls. Mais ce ne sont pas les seuls sujets que vous devrez maîtriser. From Software a par exemple intégré un astucieux système de montée en expérience, basé sur un nombre d’âmes à donner à la jeune fille en noir afin de choisir une statistique à augmenter. Très diverses, elles ne vous permettront pas de porter les mêmes armes et armures, ni même d’utiliser la magie et/ou le corps à corps. Il faut donc bien réfléchir à chaque point donné pour ne pas se priver de capacités vitales à votre style de jeu. Il faut bien comprendre que si la classe de personnage choisie en début d’aventure est importante lors des premières heures de jeu, très vite, le choix vous est laissé quant à l’orientation de votre héros. Il est ainsi tout à fait possible de débuter avec un Soldat et finir l’aventure avec un puissant magicien. Demon’s Souls ne vous prend jamais par la main et ne vous impose que très peu de choses. A l’instar de la progression dans les niveaux, la montée en expérience est à votre convenance. Tout comme celle des armes d’ailleurs.
Un système de craft répond également présent, permettant d’améliorer de manière sensible chaque partie de votre équipement. Pour cela, trois choses : un forgeron, des âmes et des pierres. Si Boldwin le forgeron du Nexus vous aidera pour le début de l’aventure, la rencontre avec Ed dans le niveau deux vous changera la vie, tout comme votre vision des rencontres : des PNJ peuvent être rencontrés dans les niveaux, et certains sauvés pour réapparaître dans le Nexus. Les pierres peuvent être, quant à elles, récupérées dans les décors ou sur le corps de vos ennemis – si tant est que votre statistique Chance soit suffisamment élevée. Non contente de représenter de nombreux trophées à débloquer, elles vous permettent de grandement améliorer vos armes, voire d’en créer de nouvelles, certaines uniques, à condition de trouver les bonnes combinaisons. De ce point de vue là, Demon’s Souls n’a rien à envier à certains Dungeon Crawlers que le loot a rendu célèbre. Il faudra donc expérimenter, dès que l’occasion se présente, pour espérer améliorer ses armes et armures, tout en fouillant de manière poussée les environnements pour dénicher, pourquoi pas, les petits lézards dont la mort amène monts et merveilles. A côté de cela, des clercs et des magiciens vous donnent l’opportunité d’apprendre et mémoriser des miracles pour les premiers et des sorts pour les seconds. Ceux-ci, déclenchés à l’aide de talismans et de baguettes, permettent soit des actions sur le statut du héros fort utiles (ah Garde…) soit d’importants dommages sur vos adversaires (Boule de feu…). L’occasion de voir de très jolis effets de lumière…
Afin de mettre tout cela en place, From Software a su insister sur l’aspect visuel pour instaurer une ambiance hors du commun à Demon’s Souls. Que ce soit la muraille du château de Boletaria, les marais du Val Fangueux, les mines du tunnel de Rochecroc, la prison de la Tour de Latria ou le Sanctuaire des Tempêtes, tous les environnements traversés ont leur propre cachet visuel qui les rend uniques. Pas un niveau ne ressemble au précédent et l’ensemble offre un réel dépaysement. Demon’s Souls ne dispose peut-être pas du moteur le plus impressionnant sur Playstation 3, mais force est de reconnaître qu’il affiche tout de même une fort belle plastique. Les défauts techniques – scintillement, léger aliasing et textures pas toujours très fines – sont amplement compensés par un remarquable travail artistique. Chaque niveau marque, par son esthétisme. Demon’s Souls emprunte énormément aux survival horror pour l’ambiance oppressante et pour les jeux de lumière : nombreux sont les endroits sombres où vous naviguerez à la lumière qui émane de vous, scrutant la moindre aspérité à la recherche de perfides pièges. Ceci épaulé par l’absence de musique, seuls des bruitages vous accompagnent dans vos pérégrinations. Les compositions n’interviennent que lors des affrontements contre les gardiens de niveau. Ceux-là même qui peuvent être vaincus à plusieurs.
Car Demon’s Souls a beau offrir une aventure solo costaude, elle autorise l’intrusion de joueurs étrangers, si tant est que vous y jouiez la console connectée au Playstation Network. En effet, une fois connecté, vous êtes en mesure de voir la progression des autres joueurs de Demon’s Souls au travers de leurs fantômes, sans possibilité d’interaction. Le seul moyen consiste à laisser des messages à même le sol pour avertir les autres joueurs d’un danger, pour les induire en erreur ou requérir de l’aide. C’est alors que rentrent en jeu deux pierres très spécifiques, la bleue et la noire. La première vous permet d’intervenir dans la partie d’un joueur – vivant et non jouant sous forme d’âme – demandant à être épauler. La noire vous permet d’envahir la partie d’un autre, dans le but cette fois de le tuer. Dans les deux cas, l’intérêt se tient dans l’obtention d’âmes supplémentaires. Ces actions peuvent amener un changement de tendance au monde du joueur hôte. La tendance consiste à faire basculer un niveau plus ou moins dans la lumière, les extrêmes étant « Totalement noir » et « Totalement blanc ». Selon l’extrême dans lequel vous vous trouvez, les lieux changent, la puissance des ennemis également, tout comme le nombre d’âmes qu’ils rapportent. Ce n’est pas important pour changer la fin du jeu mais cela l’est pour ceux qui désireraient connaître tous les événements, boss et lieux que recèle le jeu. Demon’s Souls est gratifiant à plus d’un titre. Chaque effort ou recherche amène forcément une récompense ; à tel point que vous serez heureux comme jamais lorsque vous trouverez un puissant bouclier après avoir farfouillé pendant des heures ou occis un boss. L’application exacte de l’expression Travailler plus pour gagner plus. Et c’est sans compter sur le New Game + accessible sitôt la fin du jeu atteinte qui engage à continuer de chercher mais avec le niveau et tous les objets de l’ancienne partie.
Demon’s Souls est un jeu qui demande à être apprivoisé après moult heures de labeur. Et même après, il continue de résister aux meilleurs d’entre nous. Sans jamais être insurmontable, sa difficulté et surtout son exigence vous rappelleront souvent à quel point il est dangereux de faire des erreurs. Malgré cela, l’envie d’en découvrir toujours davantage et de se confronter aux impressionnants boss font qu’il est difficile de lâcher la manette. From Software a décidé de réhabiliter la progression par l’échec, obligeant même le plus aguerri des aventuriers à mettre son égo de côté pour espérer découvrir tous les trésors que cache Demon’s Souls. Une perle du RPG japonais, peut-être pas parfaite techniquement, mais tellement solide esthétiquement et dans son gameplay, et à l’univers si fascinant qu’elle nous rappelle qu’il reste encore de prodigieux talents au pays du soleil levant.