La génération des consoles HD n’a pas été la plus prolifique en matière de RPG, aussi bien en quantité qu’en qualité. Si certaines exceptions telles que Lost Odyssey nous rappellent que le genre n’est pas mort, la plupart des productions nous incite à ouvrir les cartons et nous replonger dans les perles du passé. Pourtant, d’irréductibles studios persistent et désirent démontrer que tout n’est qu’une histoire de savoir-faire. Tetsuya Takahashi, monsieur Xenogears et Xenosaga, signe donc Xenoblade, qui apparaît sur la moins puissante des machines de salon du marché, la Wii. Apparemment heureux de sa collaboration avec Nintendo pour la série des Baten Kaïtos – et très certainement rattrapé par la réalité économique – Monolith Software propose son jeu sur une console où l’on ne l’attendait pas forcément. Qu’à cela ne tienne, faisons fi de nos appréhensions et plongeons-nous dans le monde de Shulk…
Ce monde a d’original qu’il est constitué de deux géants, Mékonis et Bionis, s’affrontant au milieu d’un océan infini. Ces deux géants, dont nous ignorons les origines, se sont livrés une âpre bataille avant de s’endormir sous le poids de leurs blessures. Au fil des années et siècles, la vie est apparue sur chacun d’eux : leurs corps sont devenus les mondes de nombreuses peuplades. Shulk est un Homz vivant sur Bionis, dans la colonie 9. Les Homz sont en guerre contre les Mékons, un peuple mécanique en provenance de Mékonis. Depuis l’intense affrontement de la Vallée de l’Epée, un an auparavant qui avait marqué la victoire des Homz, les conflits étaient relativement rares. Situation fortement aidée grâce à Monado, une épée magique, trouvée par les Homz, et qui constitue la seule arme capable de vaincre les Mékons. Notre jeune Shulk est d’ailleurs le savant en charge de percer ses mystères : l’arme ne se laisse pas dompter facilement et a handicapé son ancien porteur. Epaulé et élevé par Dickson, l’un des héros de la bataille de la Vallée de l’Epée, il se sent être sur la bonne voie pour découvrir les nombreux secrets de Monado… jusqu’au moment où les Mékons surgissent au-dessus de la Colonie 9. Par un concours de circonstance, Shulk découvre qu’il est capable de manier Monado. Mieux : il réussit à la dompter comme personne n’avait réussi à le faire auparavant. Pourtant, de nombreuses personnes périssent, et notamment une de ses proches, Fiora. N’écoutant que son désir de vengeance, Shulk part à la recherche du Facia Noir, un Mékon possédant un visage, qu’il juge responsable de cette catastrophe…
Takahashi pose avec Xenoblade des bases bien moins floues que ses précédentes productions. Les événements et le contexte sont clairs, et savamment densifiés grâce aux dialogues avec les personnages non joueurs. Pas question de nous perdre dans des pensées philosophiques complexes et allusions théologiques qui ne prendraient sens que pour les plus érudits d’entre nous. Pourtant, le scénario de Xenoblade ne se veut pas simple pour autant, révélant toujours plus de secrets au fil des heures pour déchainer les passions sur ses dernières heures. Pour ce volet – qui se veut parfaitement détaché de Xenogears/Xenosaga – l’homme a changé sa narration pour privilégier l’utilisation de la manette à la contemplation de scènes cinématiques, genre déjà amorcé avec Baten Kaïtos. Xenoblade insiste sur la participation du joueur : si la trame se doit d’utiliser quelques longues scènes, principalement dans le dernier quart, elle tente de ne jamais en abuser. Le moindre déplacement est laissé au joueur, coupant le dialogue et réintégrant une phase de gameplay. L’intégralité des cinématiques étant réalisée avec le moteur du jeu, aucune césure visuelle ne vient ternir les liaisons. Takahashi a donc replacé le joueur au cœur du jeu, en l’introduisant qui plus est dans un univers gigantesque.
L’élément le plus marquant de Xenoblade, lors de la prise en main, tient dans l’immensité des décors. La visite des lieux se situe à des antipodes des trajets sur Cocoon de Final Fantasy XIII, se rapprochant donc des passages sur Pulse, en bien plus grand. Nous voyons à perte de vue, la carte des niveaux nous rappelant que la moindre montagne aperçue peut être explorée. La végétation gigote au gré du vent, les nuages circulent et le cycle jour/nuit permet de découvrir les décors de Bionis sous deux angles bien différents. En effet, non seulement les ennemis changent, mais il arrive que la charte graphique du décor évolue considérablement, à l’instar des Marais du début du jeu, devenant absolument sublimes la nuit. Monolith s’est, de plus, assuré une grande diversité puisque pas un endroit ne semble avoir été bâclé. Tous sont de taille imposante et offrent de mémorables panoramas. Même la simple grotte. Le souci du détail va même à cacher des lieux parfaitement facultatifs, hébergeant souvent quelques monstres bien retords, dont le décès est souvent le sujet de quêtes annexes. Prudence sera mère de sûreté pour ceux qui voudraient explorer entièrement l’aire appelée « Jambe de Bionis » en début de partie tant celle-ci recèle d’imposants adversaires.
La progression dans l’histoire ne requiert pas la réalisation forcée de quêtes, pourtant celles-ci, au nombre de quatre cents, fusent de la bouche des autochtones rencontrés. A l’arrivée dans une nouvelle ville, la plupart des PNJ nous sollicitent pour de petits boulots. Cela va de la collecte d’objets à l’annihilation de monstres en passant par le dialogue avec des personnes bien identifiés. L’intérêt des quêtes annexes est de rapporter de l’argent en masse, en plus d’aider à la montée en expérience de manière indolore. Si l’aventure prend une bonne cinquantaine d’heures de jeu pour se conclure, achever les à-côtés amène facilement le compteur à doubler voire tripler… Parmi les à-côtés, nous trouvons du crafting, une collecte d’objets rares pour monter une encyclopédie, la reconstruction d’une cité et la création de liens sociaux. L’intégralité des PNJ nommés apparaissent au sein d’un grand sociogramme qu’il vous est demandé de compléter en leur parlant. Ces liens existent également dans votre équipe : il est en effet important de faire évoluer les relations entres les membres de l’équipe puisqu’elles déterminent le partage de compétences et leur efficacité en combat. Les faire évoluer implique de faire combattre lesdits personnages ensemble, de réaliser des quêtes, de leur offrir des cadeaux et d’organiser de courts rendez-vous à certains lieux clés du jeu.
Xenoblade nous permet une importante personnalisation de nos protagonistes. Chacun peut être équipé sur différentes parties de son corps (tête, buste, cuisses, tibias, bras, arme). Fait notable : chaque changement d’équipement est visible sur le personnage au cours des phases de jeu, et des cinématiques. Autant dire qu’il est parfois difficile d’obtenir une harmonie visuelle… Des gemmes peuvent également être équipées, à l’image des materias de Final Fantasy VII. Récupérables sur le terrain et transformables, elles offrent des bonifications de statistiques (PV + 100, Force + 30, etc…) non négligeables. En parallèle, chaque membre de l’équipe dispose d’arts, comprendre techniques de combat, disposant de leur propre niveau d’expérience et qui doivent être équipées (8 slots maximum, sauf pour Shulk et sa Monado). Monolith Software a également intégré un système de compétences, par arbre. Un arbre simplifié puisqu’il ne dispose que de trois branches, ne se recoupant pas, elles-mêmes découpées en cinq compétences. Celles-ci s’obtiennent à force de participation aux combats. Une fois une branche terminée, c’est au joueur de basculer le personnage sur une autre branche. Et comme si ce n’était pas suffisant, chaque protagoniste est capable d’apprendre cinq compétences de chacun de ses coéquipiers, apprentissage rendu possible grâce auxdites relations. Plus deux personnages s’entendent bien, plus ils peuvent partager de compétences, augmentant toujours plus leurs caractéristiques. Elément primordial avec certains combattants capables de faire apprendre EXP + 30% à leurs petits camarades pour rentabiliser encore davantage les combats.
L’exhaustivité du système de personnalisation se retrouve également dans celui des affrontements. De prime abord, ce dernier fait immanquablement penser à celui mis en place par Matsuno dans Final Fantasy XII. Les ennemis sont visibles sur le terrain. En fonction de leur niveau, ils peuvent se ruer sur nous ou au contraire demander à ce que nous les provoquions. Une fois l’engagement effectué, la barre des arts apparaît à l’écran, quelque soit le personnage principal choisi. Les arts sont organisés par couleur, chaque couleur amenant un type de blessure ; certains pouvant hébéter, d’autres déséquilibrer ou encore chuter. Certains enchainements peuvent donc être dévastateurs, tel qu’un déstabiliser -> Chuter -> Hébéter ; entre en compte alors la complémentarité des personnages puisque si la jauge de formation est pleine – elle se remplit à chaque coup porté – un enchainement de coups groupés devient possible. Si l’entente est au beau fixe, un rapide Quick Time Event peut même s’enclencher pour continuer l’enchainement. Ce type de petit QTE intervient aussi pour encourager un partenaire ou l’épauler. Ces petits gestes permettent d’améliorer encore et toujours les relations. L’intérêt de ce système est de rendre les combats extrêmement addictifs, sans temps mort. Pas d’écran objet, et encore moins de menu. L’interface a été simplifiée afin de dynamiser au maximum les confrontations. Pari réussi : impossible de souffler en cours de combat. A chaque utilisation d’un art, il ne peut être réutilisé qu’après un certain temps de chargement, temps durant lequel nous sommes invités à utiliser d’autres arts, nous amenant à enchainer de manière plutôt fluide les arts. Pendant ce temps, les deux autres protagonistes, intégralement dirigés par l’intelligence artificielle – aucune directive ou gambit n’est personnalisable et seuls de menus ordres peuvent être pratiqués dans le feu de l’action – se débrouillent de manière remarquable. Toujours prompt à régénérer le groupe au besoin ou choisir le bon art pour profiter de la faiblesse du monstre (et réaliser un enchainement), ils ne nous posent que rarement de soucis et nous sortent plus d’une fois du pétrin. Xenoblade se permet donc un système de combat extrêmement bien pensé, couplé à une I.A. non paramétrable mais très efficace.
Efficace est le mot qui semble le mieux convenir à Xenoblade. Tout ce que le jeu propose est fait pour gonfler le plaisir de jeu. A l’inverse de nombreux titres actuels facilitant l’aventure au détriment de la difficulté, Xenoblade mise tout sur la notion de service, améliorant ainsi le confort du joueur sans toucher à la difficulté. La possibilité de sauvegarder n’importe où couplée à une réapparition à l’entrée de la zone de jeu sans perte d’objet ou d’expérience font que l’audace et l’exploration naïve ne sont pas pénalisées. Bien au contraire, la mort n’effraie pas, au point qu’il est passionnant d’explorer le monde de Xenoblade. Monde si vaste qu’il est possible de le visiter en passant de stèle en stèle, gigantesque réseau de téléportation, annihilant tout ennui de se rendre d’un point A à un point B. Encore une raison de continuer sans relâche la visite des lieux, sans avoir, qui plus est, un œil sur ses caractéristiques puisque les points de vie remontent tous seuls entre deux combats : les objets de soin n’existent pas. Les quêtes et les éléments importants du scénario sont marqués sur la carte, voire symbolisés par une flèche en haut de l’écran indiquant la route à suivre. Xenoblade incite à la promenade, nous autorisant à délaisser la trame principale à n’importe quel instant, sans contrainte. Takahashi a donc réellement revu son modèle narratif en laissant le joueur choisir de sa manière à avancer dans le jeu. Découvrir un scénario prenant et/ou visiter des lieux magnifiques recélant moult secrets.
Car si Xenoblade tourne sur Wii, il n’en oublie pas pour autant d’être superbe. Profitant de tout le savoir-faire de l’équipe et d’un moteur optimisé pour la console de Nintendo, il assomme littéralement tous ses concurrents. Que ce soit Tales of Symphonia 2, Arc Rise Fantasia ou le plus récent The Last Story, il se permet le luxe d’être plus beau et plus vaste. Les marais avec leur décor nocturne de toute beauté, les prairies de la jambe de Bionis à l’herbe vrombissant au gré du vent, l’abri des popons aux somptueuses couleurs ou le panorama du haut de la capitale des Hayenthes, tout est fait pour nous faire rêver et contempler le paysage pendant de longues minutes. Pour nous accompagner dans nos pérégrinations, Monolith Software a fait appel à plusieurs compositeurs. La plus prestigieuse est bien évidemment Yoko Shimomura, déjà responsable de perles telles que les bandes son de Legend of Mana, Kingdom Hearts ou encore Parasite Eve. Elle nous régale une fois de plus avec notamment un thème d’ouverture tout bonnement exceptionnel. Avec elle, se trouve aussi Manami Kiyota (pour certaines phases d’exploration), Yasunori Mitsuda (chargé du thème de fin), mais surtout le groupe ACE +. Parfaitement inconnu à la plupart d’entre nous avant l’annonce de sa participation sur Xenoblade, ce groupe assez peu connu en occident a pourtant œuvré avec les plus grands, Nobuo Uematsu ou Yasunori Mistsuda sur son album Xenogears Creid. Pour Xenoblade, ACE + s’est occupé de la majorité des musiques, comprenant certaines phases d’exploration, les musiques durant les cinématiques et toutes celles des combats ; autant dire celles qui vous resteront le plus longtemps en tête.
Au final, il est difficile de trouver des points faibles à cette production Monolith Software. Xenoblade cumule de manière à la fois humble et insolente toutes les qualités que nous puissions attendre d’un RPG japonais. Beau, long, passionnant, complet et disposant d’une bande son à toute épreuve, il se permet le luxe de figurer sur le podium des meilleurs jeux de sa génération, un jeu comme les développeurs nippons n’en font plus, serions-nous même tentés de dire. Ajoutons à cela une assez bonne traduction française couplée à au choix entre les voix américaines et japonaises, et nous obtenons, certes, une excellente localisation mais aussi et surtout le meilleur titre Wii.