Après 10 ans de programmation chez Vicious Cycle Software, Luke Horodowicz a décidé de partir baluchon à l’épaule dans le but de développer son propre petit bébé. Lancé au départ dans la création d’un Action-RPG rempli de zombies qui lui prendra presque un an de son précieux temps, il eut un élan de lucidité fort avisé. Constatant que le marché du jeu vidéo, aussi bien au niveau des grosses productions que chez les indépendants, était saturé de titres faisant la part belle aux morts-vivants, il changea de cap. De par ce fait, il décida de développer un jeu dont il aurait lui-même envie de jouer, ce qui me semble être relativement primordial si l’on souhaite accoucher d’un bon titre. C’est ainsi qu’est né 3 ans plus tard Banished, un city-builder qui n’en est pas vraiment un.
Le temps des cerises gelées
Si a la vue des premières images, vous rêviez de fonder un fief médiéval fort de plusieurs centaines d’habitants dès le départ, je me dois de vous arrêter tout de suite. Dans Banished, on commence avec peu, aussi bien en terme de population qu’en terme de ressources. Après avoir choisi le nom de notre futur bourg, le type de terrain (vallées ou montagnes), l’aridité du climat, la difficulté des conditions de départ et la présence ou non de catastrophes naturelles particulièrement impitoyables, nous voilà partis avec ni plus ni moins qu’une vingtaine de colons et de maigres vivres ne suffisant pas à survivre ne serait-ce qu’une petite année. Le joueur ne sachant pas à quoi s’attendre en lançant le jeu peut être aisément dérouté : il n’y a pas d’objectifs à atteindre ni d’éléments à débloquer (tous les bâtiments sont accessibles dès le départ). Un petit tour par le didacticiel s’imposera alors comme une obligation. Rapide et relativement clair, il fait son travail et enseigne les principes de base du jeu et on comprend alors que le but premier de Banished n’est pas de bâtir un empire mais bel et bien de tenter de maintenir notre faible population en vie. Notre stock de patates ne suffisant pas à subsister sur le long terme, il va falloir trouver très vite d’autres sources de nourriture et donc créer des champs, pêcher, chasser et surtout avoir un stock conséquent de bois de chauffage histoire que la partie ne se termine pas en game over au bout de 5 minutes dès le premier hiver venu.
De base, chaque habitant est un ouvrier chargé des plus basses besognes, à savoir la récolte du bois et de la pierre, matériaux nécessaires pour à peu près tous les bâtiments du jeu. Une fois un nouvel édifice érigé au service de la communauté, il convient d’y assigner le nombre d’ouvriers suffisant à son bon fonctionnement via la fenêtre des métiers. Malheureusement microscopique et sujette à des fautes de clics intempestives, elle demeure néanmoins simple d’utilisation et très facile à comprendre. En plus du récapitulatif de votre village et du menu de construction se trouve l’Event Log que l’on aimera parfois et détestera souvent. Relatant tous les événements relatifs à la vie de vos chers protégés, c’est à travers lui que vous constaterez les naissances, les décès, mais aussi les plus alarmantes mises en garde sur une ressource qui viendrait à s’amenuiser. Et croyez-moi, il est majoritairement porteur de mauvaises nouvelles.
Into the wild
Il est aussi question de chance dans Banished. Les cartes étant générées aléatoirement, on peut tout aussi bien hériter d’une région riche en ressources et entourées de rivières remplies de poissons comme du dernier désert boueux connus. J’en ai moi-même fait les frais et mes premières parties ont du être recommencées très vite, quand tout le monde crève la dalle dès le premier hiver et que la maladie décime votre population, inutile d’insister. Après ces ratés, j’ai fini par acquérir les automatismes qui sauvent. Dégager rapidement un accès au cours d’eau pour sauter sur la seule source de nourriture continue (un champ a évidemment besoin d’un temps de croissance et est infertile sous la neige); mettre en place des forestiers afin de replanter petit à petit les arbres coupés; embaucher des druides chargées de ramasser toute plante médicinale à portée de main et ainsi de suite. Je m’enhardi, me voilà à la tête d’un petit bourg qui tournerait presque tout seul. Fier de mes 40 habitants tous bien portants, je suis bien loin de m’imaginer tout ce que le destin, décidément bien funeste, me réserve.
Aux alentours de la huitième année commencent les premiers décès naturels, un année dans le jeu correspondant environ à 10 ans pour les habitants. Mes vieillards sont robustes et restent à leur poste jusqu’à la mort. Il y a peu de chances qu’ils manifestent pour une retraite à 60 ans. Mais cela ne change rien au problème se posant inévitablement au joueur non préparé, à savoir la pyramide des âges, surtout si comme moi, vous restreignez le nombre d’habitations afin d’éviter le surplus de foyers et par conséquent de naissances. Ils sont bien mignons ces petits chérubins inaptes au travail mais ils coûtent chers en nourriture. Hélas, mon pragmatisme a causé la perte de mes ouailles, tombées l’une après l’autre sans grand monde pour les remplacer. La messe est dite : Banished vous reverra vos erreurs en pleine poire au centuple.
Au pied du mur
Fort heureusement, la logique des mécaniques nous pousse à assumer la conséquence de nos bévues, même si on aurait préféré être prévenu à l’avance. Dans Banished, rien n’est gratuit et vous ne pouvez vous en vouloir qu’à vous-même si malheur vous advient. A l’exception des désastres, réellement ravageurs, tels que les incendies ou autres tornades que votre degré de masochisme vous incitera ou non à désactiver. Ce perpétuel apprentissage donne tout son sel à la progression, et l’on se surprend à recommencer encore et encore, repoussant à chaque nouveau run l’arrivée du game over. On teste de nouvelles choses, construit de nouveaux bâtiments, une école pour nos enfants (ce qui améliore l’efficacité des habitants mais retarde l’arrivée des jeunes au travail), une taverne pour réchauffer leur cœurs ou une église pour les aveugler.
-Et ainsi continue inlassablement la vie de nos protégés, jusqu’au prochain obstacle.-
A la fois impitoyable et addictif, Banished s’affranchit des règles inhérentes à tout city builder et redonne un nouveau souffle au genre. Il ne siéra pas à au plus grand nombre de par son exigence de tous les instants mais n’en demeure pas insurmontable pour autant. Servi par un gameplay pointu et extrêmement fin, qui plus est développé par une seule et même personne, les plus patients d’entre les joueurs y prendront indéniablement du plaisir. Une franche réussite.