[dropcaps style=’2′]Même si le jeu vidéo indépendant arrive aujourd’hui à mettre en lumière ce qu’il peut se faire chez nos voisins espagnols, on ne peut pas dire qu’on est vraiment beaucoup au courant de ce qu’il se passe là-bas sur le plan vidéo-ludique. Pourtant, un studio ibérique a quand même réussir à faire résonner son nom au grand public international : Pendulo Studios. Coup de force pour lui qui en plus se targue de le faire dans une époque, en 2003, où le monde indépendant n’existait pas spécialement. Et vraiment, ce studio confirme l’adage que les Espagnols ont le sang chaud : non content d’une paire, il n’hésite pas à rouler comme un paon en se permettant la reconnaissance dans le jeu d’aventure/point’n click, considéré par beaucoup comme – faussement car il n’a jamais réellement connu la mort – moribond. Même si Pendulo Studios avait déjà quelques petits bagages dans ses fonds de placard durant les années 90, le début des années 2000 a été le grand boom de reconnaissance avec la sortie d’un certain Runaway qui a mis un sacré coup de pied dans la fourmilière, bien aidé par la presse qui s’agenouillait respectueusement devant cette petite bande hispanique qu’ils reconnaissaient comme l’héritier de Lucas Arts au sommet de sa gloire. Et ça a marché, le succès était tellement au rendez-vous que le titre s’est décliné finalement sous la forme d’une trilogie. Retour sur ce petit phénomène, de sa base à son tout dernier descendant.[/dropcaps]
Road Trip
« Je m’appelle Brian Basco et je vais vous raconter le truc de dingue qui m’est arrivé ». Voilà comment s’ouvre ce tout premier opus de Runaway qui nous conte les péripéties de ce fameux Brian depuis sa rencontre « pare-choc contre pare-choc » avec la séduisante Gina Timmins. Alors que cette dernière s’enfuyait des hommes de main des mafiosos du clan Sandretti, elle finit heurtée par la voiture de notre narrateur alors en route vers sa nouvelle vie d’étudiant à l’autre bout des États-Unis. Fils modèle intello, il ne pouvait la laisser inconsciente sur la route et l’emmène à l’hôpital où il se retrouve pris de fil en aiguille en plein cœur d’une histoire pas nette, bourrée de situations rocambolesques, qui leur feront voir à tous les deux un sacré bout de pays.
Dès l’introduction, les choses démarrent plutôt bien : un narrateur plein d’entrain semblant intimement convaincu du caractère énormissime de son histoire racontée non sans une petite touche d’humour, une réalisation en cell-shadding fort jolie, un doublage de premier ordre – les deux héros se retrouvent affublés des voix françaises de Keanu Reeves et Cameron Diaz pour donner un ordre d’idée – et une interface aussi simple qu’efficace où tout se fait à coup de souris instinctivement et sans mauvaise surprise. C’est sûr qu’à partir de là, le parallèle avec l’âge d’or de Lucas Arts était plutôt facile à faire, le tout avec un coup de pinceau rajeunissant en terme de technique et de gameplay plus qu’agréable.
Mais ce parallèle se fait plutôt vite fait. Car s’il s’est avéré par la suite que les Espagnols de Pendulo Studios pouvaient se permettre de se hisser au même niveau, ce n’est clairement pas dans les fondations de la série qu’on le retrouvera. Car, certes, pour le commun des mortels, l’histoire de Brian est vraiment dingue. Mais clairement pas aussi dingue que celles de Guybrush (Monkey Island) ou encore de Manuel Calavera (Grim Fandago). En cela, les médias et le public se sont peut-être emballés un peu vite. Certes, on trouve bien des prémisses, un certain potentiel dans cette volonté de partir vers quelque chose d’aussi barré que leurs modèles – comment résister au charme de cette référence non dissimulée au film Priscilla, Folles du Désert avec cette rencontre avec trois drag-queens dans les terres arides d’Arizona – sans que les Espagnols n’arrivent à marquer le coche. Car finalement, on sent que Runaway – A Road Adventure a beau être volontaire, il n’en demeure pas moins timide. Le contexte et les rebondissements barrés sont là, mais la plume n’assume pas forcément et se montre fort maladroite pour retranscrire des dialogues qui tombent malheureusement souvent à plat et affadissent à eux seuls le déroulement des actions. Néanmoins, lorsqu’on le prend au sein-même de la trilogie, cette timidité regorge quand même d’un minimum de cohérence : elle est à l’image de ce héros, le stéréotype basique du fils à maman idéal un brin coincé. Malheureusement, l’argument ne suffit pas spécialement à convaincre. Ce premier Runaway a tout simplement été surestimé en terme de comparaisons. On appréciera ces bonnes volontés tout en restant perplexe du soufflet qui tombe à plat aussi vite qu’il avait pourtant bien commencé à monter. La facilité certaine en terme d’énigmes – où l’on ne retrouve pour ainsi dire nullement la griffe déjantée d’utilisation et associations abracadabrantesques de Lucas Arts – et la durée de vie plutôt courte finissent de convaincre que les balbutiements de la série n’étaient pas aussi glorieux que l’emballement général prêtait à lui donner mais s’inscrivent plutôt dans le moyen tout juste sympathique.
Songe brinquebalant
Fort du succès décapant rencontré par le premier opus, Pendulo Studios ne pouvait s’arrêter en si bon chemin et enfonce le clou avec un Runaway 2 – The Dream of the Turtle qui se paie même le luxe d’être développé sur d’autres supports que le sempiternel PC en déboulant également sur Wii et DS. On retrouve donc Brian et Gina, quelques temps après les événements du premier opus, en train de se la couler douce sous les tropiques, année sabbatique uniquement composée de journées extrêmement productives basées sur le modèle « Sea, sex and sun ». Rien que cela. Histoire de casser un peu « la routine » – même si l’on avouera qu’on rêve pour ainsi dire tous de tomber dans ce genre de routine – Gina décide d’une petite excursion pour admirer les chutes de Tiki… Qui finit rapidement par tourner au drame lorsque le vieux pilote de l’avion qui les emmenait casse sa pipe en plein vol. Ni une, ni deux, Brian jette sa petite amie hors de l’avion avec le seul parachute dont est muni l’appareil. L’avion se crashe au milieu de la jungle et c’est là que l’on commence à guider notre jeune survivant aux prises d’une nouvelle galère sans nom encore plus incroyable que la précédente.
Il a fallu un peu plus de trois ans au studio ibérique afin de pondre son nouveau bébé. On peut dire qu’il a pris son temps mais l’on découvre avec joie que la griffe colorée est toujours de mise et encore plus jolie que sur le premier opus. L’interface, quant à elle, n’a pas changé d’un iota, ce qui n’est pas un mal tant elle se montrait efficace précédemment. Malheureusement, il semblerait que Pendulo Studios se soit un peu retrouvé dans l’urgence : ce second opus s’avère assez mal optimisé et non dénué de bugs gênants dont certains nous obligent carrément à recharger notre partie ou à mettre les mains dans le cambouis afin d’installer manuellement un patch correctif. Prémices d’un moment pénible ? Malheureusement oui, car il s’avère que le second volet s’avère être le plus décevant de la trilogie. On sent que Pendulo Studios est encore en train d’apprendre son sujet et est justement tombé dans les quelques pièges du point’n click qu’il vaut mieux éviter. Si le démarrage commence doucement et tranquillement – notons que les Espagnols ont pris bonne note du côté loufoque dans la résolution des énigmes qui manquaient cruellement sur le premier épisode et qui marque une arrivée fracassante dès le début – ce n’est plus aussi idyllique une fois sorti de la jungle. L’île de Tiki s’avère vaste, et les objectifs s’embringuent les uns dans les autres, s’entrecroisent et s’embrassent, tant et si bien qu’on a tôt fait de ne pas trop comprendre quoi faire avec cette boule de nœuds abstraite. De plus, The Dream of the Turtle s’avère bien plus blablateux que son aîné. Bien trop bavard d’ailleurs en plus du fait que les dialogues s’installent dans le déroulement avec un certain déséquilibre qui ne rend qu’une certaine sensation frustrante d’une avancée stagnante. Certes, les vieux briscards ne se retrouveront pas forcément dérangés de ce genre de mécaniques directement héritées des années 90. Sauf qu’en 2006, ces procédés antiques sont quelque peu hors de propos et il y a fort à parier que cela décourage une frange plus jeune du public et/ou les moins nostalgiques qui savent évoluer avec leur temps.
Il est bien dommage que The Dream of the Turtle se trouve affublé de telles petites maladresses pourtant essentielles car il s’en dégage un fait indéniable : si Pendulo Studios n’a pas forcément soigné toute la technique, il a su mettre à profit ce délai de trois ans sur une amélioration plus que notable de l’écriture. Car si A Road Adventure s’avérait fort timide, Runaway 2 se montre bien plus assumé. A ce niveau, la comparaison avec Lucas Arts est bien plus pertinente tant le jeu est bourré d’éléments barrés et grotesques à tel point qu’on en vient carrément à ne plus chercher à comprendre ce défilé d’excentricités de plus en plus timbrées qui finit vraiment à partir dans le grand n’importe quoi aussi jouissif que déstabilisant. Les Espagnols se lâchent complètement et même s’ils se sont montrés pour le coup trop généreux sur les textes au point d’avoir des moments de lassitude, il faut admettre que cela fait plaisir à lire/entendre – le doublage est encore une fois aux petits oignons soit dit en passant – d’autant plus qu’ils tapent souvent très justes dans l’utilisation de comique décalé. Alors même si The Dream of the Turtle énervera et frustrera à maintes reprises, on rigolera bien quand même. Et même si c’est l’épisode le moins bon de la trilogie, il se doit d’être fait, histoire de comprendre d’autant mieux son petit frère puisque que ce second épisode s’arrête quand même sur un cliffhanger plutôt abrupt.
Le coup du destin
Trois ans plus tard après The Dream of the Turtle, Runaway rempile pour la troisième et – vraisemblablement – dernière fois avec A Twist of Fate. Alors qu’on s’attendait voir les événements repris directement là où son grand frère avait laissé les choses en plan, il n’en est pourtant rien. Brian Basco est mort, voilà la première chose que l’on nous annonce. Là encore, Pendulo Studios aime jouer la carte de la déstabilisation du joueur qui se retrouve confronté à une situation à ne rien y comprendre. Comment le malheureux en serait-il arrivé là ? A peine le temps de gamberger qu’on retrouve une Gina, tirée à quatre épingles, en tenue de deuil assister aux obsèques de son compagnon. Mise en situation entrecoupée d’images de procès montrant le défunt condamné pour avoir assassiné le colonel Kordsmeier, militaire véreux qui faisait office de grand méchant dans le précédent volet. Condamnation qui l’a conduit en hôpital psychiatrique pour cause d’amnésie en ce qui concerne le meurtre où il finira par mourir accidentellement. Retour sur une Gina éplorée recevant un mystérieux appel lui affirmant que son cher et tendre n’est en réalité pas mort. A partir de là, on se doute bien que le jeu tournera autour du présent mais surtout du passé plus ou moins lointain, celui des événements réels survenus à Tiki Island et ce qui a bien pu se passer à l’asile quelques jours auparavant.
A n’en point douter, juste à voir la façon plus sophistiquée dont est amené l’intrigue, on sent les Espagnols encore plus à l’aise dans leurs bottes en terme de narration et d’écriture. Et cela se sent car il passe encore à un niveau supérieur : ce troisième épisode s’impose comme une réelle maturité où les gros délires fumeux sont mieux maîtrisés et canalisés par rapport à son grand frère qui avait tendance à frôler la fumisterie. Et le résultat est là puisque l’histoire s’avère claire, cohérente mais surtout extrêmement drôle malgré quelques incursions dramatiques. De plus, ce dernier volet est plus concis dans son discours. Moins de blablas qui vont droit à l’essentiel avec justesse et humour. On adhère !
[quote style=’1′]« […] Intolérable ! Ce jeu est encore pire que le précédent ! On passe son temps à courir après de minuscules pixels et il est bourré de bugs inadmissibles ! L’histoire est totalement décousue ! Les énigmes sont absurdes ! Les dialogues sont soporifiques ! […] »[/quote]
Voilà ce qu’on peut entendre en partie à la fin des crédits de ce troisième Runaway – calmez-vous, cela n’a rien à voir avec l’histoire, no spoil donc – avec une suite de discours encore plus exagérée. Certes, Pendulo Studios nous joue la carte de l’ironie à fond mais même s’il extrapole les faits, cela prouve au moins qu’il a pris bonne note des retours qu’a pu avoir son prédécesseur. Une bonne chose au demeurant car cela lui a permis de mettre de l’eau dans son moulin. L’interface a été repensée et modernisée. Et il faut reconnaître que c’est franchement bien foutu dans le sens où A Twist of Fate conviendra à tout le monde : du patient au moins patient. Les objectifs sont clairs et s’enchaînent les uns après les autres au lieu de s’entremêler, sans compter que le jeu laisse la possibilité (sans l’imposer aucunement) de mettre en surbrillance tous les éléments interactifs de l’écran. A noter également un système d’aide bien foutu pour les moins vifs d’esprits, même si l’on pourra facilement s’en passer tant les énigmes qui gardent leur aspect farfelu paraissent bien plus claires qu’auparavant. Le tout sans perdre en ergonomie. De la même manière que l’interface, l’esthétique suit son temps en étant plus fine, plus foisonnante, plus artistique. En cela, A Twist of Fate s’avère être, en plus du meilleur épisode de la trilogie, une franche réussite. Un aboutissement pour le studio espagnol qui semble en avoir fini avec l’apprentissage au profit d’une mise en application aussi maîtrisée et mature que sincère et passionnée.
[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#00a0db;color:#FFFFFF; »]La trilogie Runaway s’avère plutôt inégale, entre moyen, décevant et véritable coup de maître. Néanmoins, la suivre dans son intégralité est intéressant dans le sens où l’on se rend pleinement compte du parcours de ses géniteurs de Pendulo Studios. Et à quel point, ils ont réussi à s’approprier leur propos à force de travail et de passion tout en apprenant de leurs erreurs. Une belle marge d’évolution en tout cas.[/section]
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