Deux heures. Un run et demi. Voilà ce qu’il m’aura fallu pour comprendre. Ce Tomb Raider aura beau faire l’unanimité, il m’a laissé perplexe la première fois que je le lançai. Deux heures d’early game pendant lesquelles je me demandais : « est-ce que ce jeu est sérieux ? ». Oui il l’était. Et très bon aussi. Mais il m’aura fallu du temps et beaucoup d’efforts sur moi-même pour comprendre les paradoxes de cet opus : un excellent triple A, probablement le meilleur dans son domaine. Mais porteur d’augures pour le moins inquiétants sur les mutations du jeu vidéo grand public. Bons ou mauvais ces augures ? Pour moi plutôt mauvais, et je m’en vais expliquer pourquoi. Plus d’un an qu’on nous avait bassiné avec la nouvelle orientation de ce reboot. Une Lara Croft « humaine », des problématiques plus contemporaines, une héroïne se battant pour sa survie dans un environnement hostile . Et des codes de la série remis aux goûts du jour. Putains de goûts du jour.
Reboot ou formatage complet ?
Soyons clairs : des codes de la série il ne reste qu’une évocation lointaine. Le cœur du jeu ? L’action, le grand spectacle, l’exagération, la surenchère et les gunfights. Dans ces domaines, ce Tomb Raider s’impose comme une nouvelle référence, tant il est crédible sur ces points. Pour le reste, la plateforme, l’exploration, l’humanité de son héroïne et l’ambiance de quêtes archéologiques, il ne s’agit que d’un agrégat léger et sans consistance d’éléments secondaires sous-exploités. Un alibi identitaire qui évoque vaguement les origines de la saga, tout en en reniant pas mal les qualités, à la faveur d’une orientation complètement action de l’ensemble.
Le jeu démarre immédiatement, et nous met dans le bain. Enfin, Lara avant tout : une exposition d’environ dix secondes (Lara est sur un bateau avec son équipe, à la recherche du tombeau d’une entité asiatique) et, sans plus attendre, voilà que commence le calvaire de la nouvelle adolescente Croft. Et elle va en baver. J’ai eu l’impression que les développeurs ont décidé de lui faire subir tout ce à quoi elle a échappé pendant toutes les années où elle était surhumaine. Cette cinématique d’introduction annonce la couleur. Elle va souffrir, et on va bien nous le montrer selon tous les codes à la mode : des derniers jeux vidéo tendance à grands spectacle aux montages de séries américaines qui ont cartonné ces dix dernières années, tout va y passer.
La structure du jeu se résume en des enchaînements de séquences de plateformes linéaires en guise de progression. Laquelle sera ponctuée de gunfights hyper nerveux et assez révolutionnaires pour le genre grâce à un système d’autocover vraiment excellent. Ces deux poumons du jeu sont raccordés par beaucoup de passages où le spectacle, le grand guignol et l’exagération de l’action seront sans cesse transcendés par des incohérences de l’ordre du « what the fuck ? » bien gras. Donnant un caractère presque drôle à l’humanité et la souffrance à vocation indéniablement réalistes de Lara cuvée 2013. Souvent balancées au moyen de QTE et de mouvements de caméra tous plus étourdissants les uns que les autres, ces passage sont beaucoup trop nombreux et systématiques en l’état pour être crédibles.
Ils le sont d’autant moins qu’il m’a été difficile de rester sérieux face au soin dont font preuve les développeurs à rendre réaliste Lara, ses souffrances et son petit corps qui a mal. Principe ô combien intéressant, mais sans cesse annihilé par des enchaînements abrupts entre ces cinématiques montrant une héroïne souffreteuse, et les séquences de jeu qui arrivent tout de suite derrière dans lesquelles cette dernière se remet immédiatemet à sauter, tirer, esquiver…Comme si de rien n’était. Et de se remettre à boîter dans la cinématique suivante pour nous rappeler qu’elle avait mal, en fait.
Vraiment un numéro étrange qu’on nous joue là. On est dans un jeu vidéo, mais quand même. A quoi cela sert-il de courir vers toujours plus de réalisme dans la représentation, avec des matières, des animations, des modèles toujours plus crédibles, si c’est pour en rejeter les conséquences intéressantes que pourraient avoir sur le gameplay un tel naturel susceptible de nous immerger comme seul le jeu vidéo sait le faire ? Tomb Raider est bien la preuve que le progrès infographique n’a qu’une seule vocation, ne semblant proposer qu’un unique et fatal intérêt aux yeux des développeurs et des joueurs : l’enjeu purement et simplement cosmétique du graphisme. Décevant, vraiment décevant. Surtout, la maturité revendiquée par un tel titre n’est finalement qu’un masque anecdotique derrière lequel n’ont de cesse de se réfugier les mêmes délires adolescents de joueurs. Car les cinématiques ont beau insister sur sa fragilité, une fois reprise en main, cette Lara est tout aussi surpuissante que la précédente. Elle finit même par apparaître encore moins humaine, car jamais auparavant elle n’avait eu à réaliser toutes ces acrobaties avec un flanc béant récemment percé par une tige métallique, où une cheville broyée par un piège à loup. Je crois même me rappeler qu’elle n’a pas toujours disposé d’un pouvoir d’auto-régénération. Voilà le plus grand paradoxe de ce jeu, mais ce n’est pas le seul.
Du TPS/aventure de qualité
Car l’autre côté surprenant du jeu tient dans le fait qu’il s’agit probablement là du meilleur shooter/aventure occidental en vue à la troisième personne que j’ai terminé. Les combats dégagent une sorte de souplesse, de fluidité (l’auto-cover , encore une fois, est génial) qui dépassent la concurrence. Les déplacements des ennemis laissent beaucoup moins de fenêtres « connes » pour le headshot que dans des jeux comme Gears of War ou autres Uncharted. L’Intelligence Artificielle n’est pas miraculeuse et nous accorde quand même un peu de facilité, mais c’est significativement moins flagrant que d’habitude.
Cela accentue le fait que Lara n’est qu’à ses débuts de gunfighteuse, car la visée de base sait plutôt bien gérer une sorte de précision encore perfectible de la belle. Le spawning des ennemis est vraiment bien branlé en terme de rythme et de prise en compte de l’espace, tout comme le dosage même de la dimension TPS du jeu. Ces phases sont en bonne quantité, sans être démesurément nombreuses, et distillées de manière intelligente. Ce qui donne l’impression que dans ce jeu on tue utile. Ce reboot est une excellente surprise à ce niveau, et s’est même carrément montré addictif. En fait, tant que le jeu n’essaye pas d’être une sorte de Tomb Raider évolué, et qu’il assume complètement son parti pris action et shooter, alors il atteint des sommets en procurant du plaisir en barre. Rien que pour ça, il est indispensable pour les amateurs.
L’aventure se déroule dans des ambiances qui vont du générique beau au carrément magnifique. J’ai été troublé car je trouvais que le début du jeu était plus que moyen niveau qualité et design graphique, pour arriver quelques heures plus tard à des ambiances sublimes avec un moteur qui s’affirme complètement. La direction artistique, elle, accomplit quelque chose d’étrange mais de réussi : on nage en plein déjà vu en ce qui concerne les lieux, mais le scénario et l’unité de temps de l’aventure nous font percevoir ces stéréotypes ambiantaux, agencés un peu n’importe comment, d’une manière décalée et extrêmement agréable. Il m’aura quand même fallu deux bonnes heures pour me sentir à l’aise dans un univers qui ne montre pas de suite ce qu’il a dans le ventre pour nous prendre aux tripes.
Il y parvient malgré tout, même si la dimension shooter de ce Tomb Raider est livrée avec la linéarité inhérente au genre. Car il ne faut pas se leurrer, l’aspect exploration est ici assez bidon. En fait, ce monde ouvert ne semble l’être uniquement parce que la structure de l’île est basée sur le même modèle qu’un Prince of Persia version 2008 : des zones reliées par des parcours de plateformes exploitables dans les deux sens. Bien sûr, plus tard on pourra se téléporter pour explorer les zones. Mais rien de vraiment justifié ici. Là où déambuler et s’imprégner de son environnement était nécessaire dans les anciens Tomb Raider (on cherchait comment avancer), explorer cette île se résume à de la pure cueillette secondaire : on va chercher des mini-tombeaux et des items à droite à gauche pour faire monter le pourcentage de progression de sa sauvegarde. Rien de plus.
L’hybridation « conne » qui dérange
Si je considère que Tomb Raider est un « killer » dans son genre, il n’empêche qu’il m’est impossible de ne pas râler contre deux ou trois choses. Comme par exemple l’effet « compilations » de features issues de jeux qui ont cartonné ces derniers temps et qui a tendance à nuire ostensiblement à son identité. Et je n’exagère pas en disant cela. Uncharted : Drake’s Fortune, Darksiders, Enslaved, Alone in The Dark 2008, Alan Wake, Dark Souls, Red Dead Redemption, Assassin’s Creed, Batman Arkham Asylum, Prince of Persia 2008 et même … Colin McRae Dirt (je vous laisse le soin d’identifier l’élément de ce dernier repris vraiment tel quel). Dans 15 ans, ce Tomb Raider sera le cour d’Histoire du jeu vidéo le plus exhaustif du Monde concernant ce qui a fonctionné sur cette génération, tant ils n’ont oublié personne.
Franchement, en général je n’attache pas vraiment d’importance au plagiat ou au recyclage d’un jeu à l’autre, ayant comme principale exigence la qualité de l’ensemble. Mais, hélas, Tomb Raider est tellement extrême dans le panel de mécaniques qu’il reprend sans toujours une véritable justification, qu’il s’est produit un double effet pour ma part. Premièrement, pour un jeu misant autant sur son immersion et son identité, ça la fout un peu mal de proposer une possibilité à l’animation aussi dégueulasse que la grimpe avec le piolet sur des surfaces spéciales (Darksiders) . Et que dire de la chasse censée donner une dimension « survie » et auto-défense à l’aventure ? Tuer une bête et la dépecer pour en revendre la fourrure ou survivre grâce à la nourriture récoltée est logique dans Red Dead Redemption ou Assassins Creed 3. Mais découper un animal mort pour n’y extraire que de l’expérience, je m’excuse mais c’est vraiment débile et injustifié. Surtout quand on compose un personnage sensible au meurtre au début de l’aventure… On se demande vraiment si les développeurs ont bien compris certaines des features qu’ils reprennent vraiment de manière copier-coller, et leur raison d’exister dans les jeux desquels elles sont issues. J’ai ressenti vraiment un goût de «mettons la possibilité de tuer des animaux et de les dépecer , parce que dans Red Dead Redemption c’est cool» même si aucune véritable utilité n’a été trouvé à la chose dans ce Tomb Raider.
D’autre part, reprendre de manière aussi gratuite et complètement identique dans l’exécution des éléments de gameplay comme l’esquive d’Alan Wake relève vraiment, pour moi, d’un irrespect envers des jeux dont la jouabilité et sa mise au point (mouvement de la caméra, feeling de l’action) participent vraiment à une ambiance voulue par ses développeurs. Avec ce Tomb Raider, Crystal Dynamics nous dit clairement qu’une « feature », qu’un élément de gameplay créé par un jeu précis au sein de son metagame et de son identité, peuvent être extraits tels quels et venir grossir la checklist de n’importe quel autre jeu, peu importe l’univers, l’ambiance ou le feeling général. Du coup, se dégage un manque d’identité et une logique de repompe gratuite presque malsaine dans ce Tomb Raider. Globalement, rien n’est gênant quand on avance dans ce jeu, mais j’ai souvent été dérangé dans mon immersion par une foule de mécanismes sous-exploitées (des mobs à esquiver façon Alan Wake, il y en a moins de quinze à tout casser), uniquement là pour faire le nombre et s’octroyant le droit de nier totalement l’origine des jeux originaux, tant Tomb Raider ne fait absolument aucun effort pour trouver une exploitation décente et justifiée par son univers ainsi que son gameplay à lui.
Et c’est bien là la nature de mon coup de gueule ainsi que ma conclusion. Oui, ce Tomb Raider propose un visage agréable, ludique, prenant et offrant des sensations de haute volée pour sa partie action-shooter. Oui, sa direction artistique finit par être extrêmement convaincante et son équilibre général en arrive à proposer une progression d’une fluidité assez incroyable, faisant de ce reboot le meilleur TPS-Aventure occidental du Monde à mes yeux.
Mais de l’autre côté du miroir se trouve malgré tout un produit, un calibrage de compétition vraiment mécanique, une apologie du blockbuster résolument checklisté à l’extrême, une synthèse glaciale de ce qui « cartonne ». Un condensé de paradoxes oscillant entre l’immersion réaliste et le too much grand public qui brise une à une les velléités de maturité et « d’humain » trop intermittentes de la composition de la nouvelle Lara Croft. Une preuve que le jeu AAA, les suites de blockbusters et autres reboots en tout genre résident de plus en plus en une question de cahier des charges accompli. Un report de jeux en jeux de gameplays « hors sol » complètement transunivers. Pour une vision du jeu vidéo qui dissocie beaucoup trop la démarche créatrice de la « qualité » objective sans véritable identité, fruit d’un amoncellement de paramètres à la mode qui ont fait leurs preuves. Alors une fois n’est pas coutume je ravale mes exigence personnelles, j’ingurgite volontiers la soupe «objectivement bonne» qu’on m’a servi, mais je ne m’en ressert pas car ce n’est pas ma came. Je vais simplement sortir de table et commencer à pleurer en pensant à de futurs reboots de mes séries adorées largement susceptibles de subir le même traitement. Dont l’une appartient à Crystal Dynamics d’ailleurs. Monde de merde.