Plutôt que nous présenter l’histoire d’une petite fille à laquelle nous pourrions nous attacher en la voyant grandir, et être pris d’empathie pour tout ce qui lui arrive, David Cage a préféré fragmenter son récit et le désordonner. Les chapitres du jeu présentent un pan de la vie de Jodie à des âges différents, dans le but de présenter un élément indispensable à la compréhension du chapitre d’encore après. Il est ainsi possible de passer de son âge adulte, à ses sept ans, pour revenir à son adolescence, pour repartir des années plus tôt et enfin être projeté dix années en avant. L’utilisation du flashback à outrance est une idée, mais une mauvaise idée dans le cas de Beyond. Nous perdons toute empathie pour l’héroïne, au point de ne plus la considérer que comme un simple personnage à qui moult opérations arrivent. L’avancée chronologique de Heavy Rain a cédé sa place à un enchaînement décousu. N’est pas cinéaste qui veut. Sur le papier, cela peut encore passer pour quelque chose d’anodin, certains diront même que cette gymnastique peut même amener un semblant de mystère sur les transitions manquantes, toutefois, manette en main, il s’agit là du plus gros loupé de B2S, au point de le transformer d’œuvre prometteuse à profond gâchis. Les idées sont là, les choix sont importants, l’histoire – malgré ses allures de série B – est intéressante, mais le découpage est démotivant au possible. A tel point que la Jodie sans abri, aperçue dans les trailers et qui a toutes les raisons de nous émouvoir, énerve. Dommage, car le choix laissé au joueur est considérable, certains personnages mourant, d’autres se voient clairement modifiés, physiquement ou mentalement, selon nos réponses et nos actes. Des chapitres peuvent être écourtés de moitié selon certaines décisions, le tout avec une fluidité déconcertante. Une fluidité que nous retrouvons malheureusement nulle autre part, bon point, mais également une fluidité qui comporte des choix se faisant automatiquement après deux ou trois secondes – ne laissant alors pas le ou les joueurs réfléchir. Nous voilà alors frustrés de ne pas aller dans la direction prise une seconde trop tard au sein d’un pauvre dialogue entre deux personnages assis sur un canapé sans contrainte de temps.
Des frustrations, Beyond en est gavé. A tout cela, nous pouvons ajouter une linéarité dans les environnements à en énerver un casanier, où la moindre discussion peut durer bien longtemps. Beyond se repose sur sa narration et donc ses dialogues. Des dialogues souvent trop longs laissant l’un des deux joueurs inactifs. Le joueur solo est fréquemment sollicité, ne serait-ce que pour des choix ou un QTE permettant de retourner l’héroïne dans le lit – rien de sale – ; en multijoueur, Lolita, contrôlant Aiden, s’est vue très souvent passive et son implication dans l’histoire proche du néant, d’autant qu’il est même possible, dans certains chapitres de ne quasiment jamais faire intervenir l’être de lumière. Choix de conception faisant passer le mode coopération comme une feature mise au dernier moment, ou en tout cas sans aucun réel développement. L’expérience à deux est, ici, intéressante pour échanger des points de vue et amener des visions différentes de certains événements, pas pour vivre l’aventure. Jodie restant la maîtresse des réponses aux questions, le personnage d’Aiden doit se contenter, très souvent, de subir les choix. Peut-être que certains y trouveront des raisons scénaristiques, et il y en a, mais depuis quand le joueur doit-il subir son jeu ? Les très longs de chargement entre chaque chapitre – malgré l’installation obligatoire – finissent d’achever le second joueur qui n’a alors plus qu’une hâte, c’est de passer à un réel titre participatif. Le premier, quant à lui, tente de suivre son récit, avec de moins en moins de conviction, râlant après la maniabilité de temps en temps – le jeu aimant nous repositionner (mal) sur le droit chemin sans que nous lui demandions – les problèmes techniques à foison dans les grands espaces – ils sont rares mais générateurs de saccades – et tout simplement le récit mal amené, mal maîtrisé et au final ennuyeux au possible.
Nous en venons au problème majeur de Beyond Two Souls : l’implication du joueur dans sa narration. Le joueur fait bel et bien les choix, mais il se sent très vite exclu de cette histoire capable d’avancer sans lui. Beyond Two Souls a franchi la barrière qu’Heavy Rain avait réussi à maintenir. Quand bien même ce dernier fasse montre d’épaisses ficelles décelées dès le second run, Beyond nous les affiche dès les premières minutes de jeu. Quel graphisme, quelle réalisme dans l’animation, quel potentiel… mais aussi et surtout quel ennui et quel gâchis. A partir du moment où les joueurs commencent à ressentir l’envie de voir au plus vite l’épilogue, pour changer de jeu, il faut se dire que l’objectif, quelqu’il soit, est manqué. Beyond Two Souls était un essai, David Cage l’a annoncé lui-même. Il est raté.