[dropcaps style=’2′]Dans les mastodontes des exclusivités PS3, nul doute qu’on peut compter Heavy Rain dans le lot. Petite subtilité contrairement à d’autres licences telles qu’Uncharted (pour ne citer qu’elle), le titre des Français de Quantic Dream n’a rien d’un blockbuster tant la vision du jeu vidéo d’aventure déployée là est singulière. Quand bien même qu’il ne s’agisse pas d’un blockbuster, ça n’empêche en rien que son développement a fait énormément de bruit en terme de communication. C’est sûr que s’allier à Sony, ça change considérablement des moyens plus modestes d’Atari ou Eidos qui s’étaient chargés de ses deux grands frères, Fahrenheit et The Nomad Soul. Et puis, nul doute que la personnalité mordante de la figure à la tête du studio, David Cage, a fortement contribué à alimenter le moulin à ragots. Malgré tout, qu’on soit adorateur ou détracteur, ça ne change en rien que la sortie d’Heavy Rain était attendue au tournant. Et ce qui a suivi tient tout autant du déferlement tant les opinions à son égard sont contrastées. Voici l’une d’elles, aussi modeste soit-elle.[/dropcaps]
Entre Se7en et Saw
Ethan Mars était un homme comme les autres. Fort d’une vie paisible et heureuse, il jouissait jour après jour d’une vie de famille épanouie : une femme merveilleuse et aimante, deux enfants chéris sans compter son emploi d’architecte véritablement plaisant, que demander de plus ? Un tableau idyllique digne des plus beaux modèles américains utopiques. Jusqu’au jour où une simple sortie au centre commercial fit tout basculer. Le jeune Jason, fils aîné d’Ethan, disparut sous les roues d’une voiture, le père héroïque ne put que se jeter sur la route et se retrouva gravement blessé. La famille parfaite était en deuil. Nous retrouvons Ethan deux ans plus tard. Dépressif, subissant encore de lourdes conséquences de sa commotion cérébrale et six mois de coma. Il vit maintenant dans une triste maison banlieusarde grisâtre, seul, sa femme ayant fait ses valises et tente tant bien que mal de nouer des liens, vides de substance, avec son fils cadet encore en vie, Shaun.
Pendant ce temps, le tueur aux origamis fait rage en causant la mort de nombreux petits garçons retrouvés noyés cinq jours après leur enlèvement. Des morts qui s’entassent, aucune piste sur l’identité du coupable, la police rame sérieusement. Norman Jayden, agent du FBI, se voit mettre sur l’affaire en étant invité sur la scène du dernier larcin en date du tueur en série. En parallèle, un détective privé, Scott Shelby mène en free-lance son investigation sur cette affaire. Afin de faire progresser son enquête, il se rend au domicile de la mère d’une des précédentes victimes. Cette même nuit pluvieuse nous montre également le sommeil difficile hanté de cauchemars troublants d’une jeune femme nommé Madison Page.
Retour à Ethan. Lors d’une balade des plus moroses au parc avec Shaun, l’endeuillé, tentant tristement d’amuser sa progéniture survivante, finit vite par être touché d’une longue absence. Le trou noir, plus rien, de la fin d’après-midi à la nuit jusqu’à reprendre conscience en plein milieu d’une rue bien éloignée du parc initial. Aucun signe de Shaun aux environs. Ni dans cette rue sinistre, ni dans le parc, ni même chez lui. Le cadet a disparu, ni plus ni moins, avec comme seul reste, un origami que le père tenait au creux de sa main lorsqu’il avait repris conscience. Le tueur aux origamis a encore frappé. Que s’était-il passé ? Que se cache-t-il derrière ces absences ? Que de questions sans réponses laissées aux inspecteurs de police. Misérablement impuissant, Ethan s’en retourne à se morfondre chez lui, bien décidé à prendre le poids pesant de l’attente sur lui. Elle n’a pas été bien longue cette attente. A peine se maudit-il sur son sort qu’Ethan se retrouve confronté à un étrange colis. S’il voulait sauver son fils, il devait le mériter en passant avec brio les quatre épreuves permettant d’obtenir chacune une fraction de l’adresse de la fosse où Shaun attend sa mort au fur et à mesure que la pluie tombe.
Un bouleversement des codes vidéo-ludiques
Il ne faut pas être devin pour avoir la puce à l’oreille sur ce qu’est Heavy Rain lorsqu’on voit ces références empruntes au cinéma que David Cage n’a nullement cherché à dissimuler. Nous voilà donc face à un jeu spécial. Mais est-ce bien là un jeu ? C’est bien là tout le problème que pose la nouvelle production de Quantic Dream. A se faire aussi hybride entre jeu vidéo et cinéma, on en vient vite à être à court de vocabulaire pour réellement déterminer ce à quoi le soft appartient. Car oui, Heavy Rain a beau se présenter sous le support vidéo-ludique, il n’empêche qu’il ne cesse de s’asseoir le cul entre deux chaises. D’ailleurs, s’il y a bien un petit défaut qu’on peut lui relever, c’est bien ce manque d’aboutissement dont David Cage a fait preuve sur ce coup-là. Prendre le parti-pris radical de pousser les frontières entre jeu vidéo et cinéma encore plus loin est une chose mais n’aurait-il pas été plus décent de le faire sur des bases cinématographiques empruntes de plus de personnalité propre au lieu d’aller pomper ce qui existe déjà ?
Le gameplay sur lequel repose le jeu – si l’on peut réellement parler de gameplay – s’appuie essentiellement sur le principe des QTE. Envers et contre tous puisque ce n’est pas une grande nouveauté que les QTE sont largement contestées par beaucoup de joueurs par le côté passif qui en découle d’une part et d’autre part, le manque d’attention sur la cinématique que cela engendre souvent afin de mener l’action contextuelle à terme. Vous l’aurez compris, voilà un gameplay qui place le rôle du joueur en-dehors des sentiers battus. Il n’est ni vraiment acteur, ni vraiment spectateur. Son véritable rôle se situerait entre ces deux extrêmes sans qu’on puisse réellement déterminer dans quelle zone précise il peut bien se trouver. En cela, Heavy Rain, de par cette singularité par rapport à n’importe quel autre jeu lambda, se montre extrêmement déstabilisant au démarrage. Après tout, ce n’est ni vraiment un jeu, ni vraiment un film.
Que les dents qui grincent à l’évocation de QTE se calment de suite. Celles-ci sont vraiment bien amenées dans Heavy Rain par rapport à l’image. De même qu’on ne pourra pas reprocher aux développeurs de ne pas rendre honneur à la technologie de Sony puisqu’ils n’ont pas hésité à mettre à contribution la fonction Sixaxis du pad de la PS3 (et de belle manière, une fois encore). Certains reprocheront certainement leur omniprésence, à tel point que l’on peut autant s’en retrouver confronté à une pour une action importante que pour des actions bien plus banales et futiles. Malgré tout, cette omniprésence est un mal nécessaire : cela permet à la fois d’amener une tension permanente à notre aventure ainsi que rendre les personnages plus humains.
Une pauvreté de gameplay au profit de l’émotion
Parler des personnages est inévitable lorsqu’on traite d’Heavy Rain. Faute de véritable originalité dans le scénario – même s’il reste très intéressant à suivre avec plein de suspens, là n’est pas le problème – c’est vraiment auprès de toutes ces destinées que le titre de Quantic Dream prêche son plus gros atout : l’émotion. Les figures que l’on incarne ou côtoie sont très profondes malgré quelques zones d’ombres qui subsistent. Démarche totalement volontaire et assumée de la part du studio français puisque ces aspects incomplets étaient sensés servir de base à des DLCs, projet maintenant tombé à l’eau même si l’un d’eux a tout de même réussi à voir le jour (Le Taxidermiste). Dommage, dommage mais ne boudons pas notre plaisir pour autant car le jeu de base présente déjà un contenu plutôt conséquent en terme de personnalités et de leur background.
Une telle richesse permet par conséquent au joueur de s’impliquer de manière intense par rapport à eux. Surtout que techniquement parlant, les modélisations, notamment faciales, sont ce qu’il se fait de mieux avec L.A. Noire en la matière. Mêlez cela à ce qui a été dit plus haut en terme d’actions futiles tel que prendre une douche ou préparer une omelette, cela ne les rend que plus humains à nos yeux. Après tout, en quel honneur un personnage de jeu vidéo n’aurait-il pas le droit d’aller aux toilettes ? Cette part d’humanité et réalisme ne les rend que plus sympathiques aux yeux du joueur et celui-ci finit vraiment à s’attacher à eux. Il vit également une expérience émotionnelle intense en même temps que ces destinées. Mais ce qui rend Heavy Rain si particulier est que contrairement à beaucoup de jeux, on ne vit pas réellement les émotions dans la peau d’un personnage. Notre sensibilité réagit à ce qu’ils vivent. Ainsi, on ne pleurera pas la mort de son enfant avec Ethan Mars. Par contre, on compatira à son sort, on se sentira désolé à son égard à l’instar d’une personne un minimum proche allant souhaiter ses condoléances lors de l’enterrement.
Ce qui est d’autant plus étrange d’être laissé à l’extérieur de la peau des personnages, c’est que notre statut de joueur nous permet de contrôler leur destinée, notre contrôle est tel que nous avons même le pouvoir de la vie ou la mort quant à eux. En terme de narration, nous sommes à mi-chemin entre le façonneur et le spectateur. Façonneur car nous sommes quasiment en permanence confrontés à des choix sur les actions des personnages que l’on incarne. Spectateur car jamais véritablement nous n’avons l’impression de réellement maîtriser leur destinée. Qui peut savoir en effet quelle conséquence découlera de notre choix ? On peut bien entendu avoir des idées vagues en tête mais rien n’est réellement acquis et garanti.