Le Game Over, c’est surfait
La façon dont fonctionne la narration et la manière dont le joueur est impliqué dans la construction de cette dernière en fait une spécificité singulière d’Heavy Rain. Quoique l’on choisisse ou même, quelle que soit l’erreur que l’on peut faire dans les QTE, l’histoire continue. Jamais le Game Over ne viendra interrompre notre avancée jusqu’au dénouement. Fin variant évidemment selon les bifurcations scénaristiques prises au cours de notre partie. C’est grâce à cela qu’un nouveau panel d’émotions s’ouvre à nous. Cette fois-ci, il n’est plus question de réactions indirectes vis à vis de ce que vit un personnage : il s’agit réellement d’implication personnelle. Que ferions-nous vraiment si nous étions dans sa situation ? Que se serait-il passé si nous avions décidé autrement ? Autant il est possible d’être satisfait de nos décisions, autant il est possible de se sentir coupable, notamment face aux erreurs que l’on peut commettre (QTE ratées, mauvais choix).
Qu’on se le dise, même si d’autres jeux se targuent de pouvoir contrôler l’histoire, comme l’exemple tout récent de Final Fantasy XIII-2, de la façonner à notre gré, Heavy Rain est le soft qui pousse cette démarche le plus loin. Et cette radicalisation nous montre toute l’étendue de la frontière du support vidéo-ludique. On peut toujours promettre d’avoir le contrôle mais ce fait n’est en réalité qu’une illusion. Et l’objet de cette critique nous le montre très bien : on peut avoir l’impression au début de jouer le rôle de marionnettiste, cette divinité qui a les pleins pouvoirs. Il n’empêche que l’on se rend très vite compte que l’on est dans l’erreur en pensant cela. On nous a bien donné quelques ficelles à tirer mais le dernier mot est toujours laissé au jeu en lui-même (en d’autres termes, au studio de développement). Même si parvenir un jour à ce statut divin peut relever du fantasme, il est tout de même rassurant d’être relégué à un statut inférieur : les joueurs ne sont que des humains après tout.
Le digne héritier de son aîné
Lorsqu’on y regarde de plus près, on se dit qu’Heavy Rain n’est que le prolongement du concept institué dans Fahrenheit sorti en 2005 sur PS2, Xbox et PC. En terme de qualité, nul doute que le nom de l’aîné ne se retrouve pas sali à cause d’un petit frère fini à l’urine. D’ailleurs, grand frère Fahrenheit s’en est récolté des louanges quasi-unanimes, tant au niveau des médias que des joueurs. Voilà qui rend assez étonnant le constat de l’accueil plutôt mitigé qu’a reçu Heavy Rain. Même si médiatiquement, la plupart des avis s’inscrivaient dans le positivisme, on ne peut pas en dire autant du côté du public. Si certains chantonnent des louanges, on ne peut pas passer à côté des voix qui crient à l’escroquerie. Mais que s’est-il passé pour que ces deux jeux pas si différents dans l’esprit soient traités de manière si différentes ? L’avènement d’une nouvelle génération de consoles avec la nouvelle génération de joueurs qui va avec sans aucun doute. Les choses ont évolué, les attentes quant aux jeu vidéo ont changé. Enfin, les attentes prédominantes surtout. Et sans surprise, le marché vidéo-ludique a tendance à se focaliser sur ces attentes prédominantes et à normaliser les productions. Point de pet à côté, sinon c’est la guillotine. En cela, la sortie d’Heavy Rain a foutu un bon coup de pied dans la fourmilière avec sa singularité et son apparence de jeu (faussement) passive. Certes, David Cage est ce qu’il est. Son discours également. Mais faut-il condamner un jeu uniquement à cause des paroles de son géniteur ? D’ailleurs, faut-il croire sur parole ce beau discours ? Assurément, non.
Car on pourra reprocher à Heavy Rain ce que l’on veut. De son principe-même à ces petits défauts tant décriés par certains tels que certains détails techniques pas forcément réussis ou quelques (rares) éléments de QTE pas forcément à propos qui, pourtant, n’handicapent en rien le plaisir du jeu. Heavy Rain n’est pas un jeu. Heavy Rain n’est pas un film. Heavy Rain ne se doit même pas de représenter le futur du jeu vidéo. Heavy Rain, c’est une œuvre vidéo-ludique qui expérimente en poussant les frontières balisées du jeu vidéo. Il n’a aucun mérite à se couvrir d’un statut avant-gardiste du jeu vidéo, par contre, il a bien le mérite d’exister.
[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#00a0db;color:#FFFFFF; »]Qu’on se le dise, jamais les jeux de Quantic Dream ne peuvent s’improviser comme prophètes. Le studio français n’ouvrira peut-être pas la Mer Rouge car, faute d’être des exemples, ils sont d’excellents défricheurs. Heavy Rain ne démérite en rien de leurs travaux précédents et sa présence est même tout ce qu’il y a de plus salvateur. Riche de sa bâtardise entre jeu vidéo, film et d’expérience vidéo-ludique particulièrement intense et haletante d’un point de vue émotionnel, il permet de combler cette case de plus en plus vide à l’heure où la tendance est au marché banalisé qu’est l’expérimentation. Et dieu sait que cette case est indispensable pour que le jeu vidéo puisse évoluer même si l’empreinte laissée ne sera certainement – et on le souhaite – qu’indirecte.[/section]