[dropcaps style=’2′]Il fut un temps nous semblant aujourd’hui lointain où les GTA de Rockstar étaient les maîtres incontestés de l’action/course en open-world. En même temps, avec son statut de pionnier qui a même donné son nom à l’étiquette GTA-like maintenant renommée de façon plus globale et générique, voilà qui n’est pas si étonnant. Et dans cette époque nous semblant lointaine, en plus d’être pionnier, le petit GTA était surtout seul. Pour ainsi dire car certaines têtes brûlées ont bien essayé de faire de l’ombre à l’ancêtre. Vainement car quoiqu’il pouvait y avoir, GTA restait sur toutes les lèvres. C’est d’ailleurs encore un peu le cas aujourd’hui même s’il faut reconnaître que le genre s’est bien plus démocratisé sur la génération PS360 que sur PS2/Xbox. Parmi ces ambitieux qui n’avaient pas froid aux yeux de défier l’instigateur, on pourra nommer la série des True Crime. Loin de réussir son pari, le premier opus arrivait quand même à séduire la niche. Le second par contre, la faute à divers soucis techniques, obscurcissait trop le tableau pour qu’on puisse le hisser au même niveau. Il n’y avait donc qu’à espérer un troisième épisode pour faire oublier les maladresses et pourquoi pas atteindre un échelon supérieur. Et c’est ce qui était prévu puisque True Crime 3 aurait dû voir le jour sur PS360. C’était sans compter sur un Activision étonnamment farouche qui a brusquement tout annulé du jour au lendemain, laissant le studio de développement United Front Games en berne avec un jeu pourtant bien avancé sur les bras. Frustrant comme situation. Depuis… Eh bien, pas grand-chose… D’un nom qu’on voyait fleurir dans les news et les salons-vitrine vidéo-ludiques comme l’E3 de façon plutôt régulière, on passait au mutisme faisant sombrer le titre dans l’oubli. Et un beau jour, voilà que Square Enix déboule et nous annonce la parution d’une nouveauté nommée Sleeping Dogs. Titre aussi mystérieux qu’il était mystérieusement fort avancé – il semblait fort étonnant vu la conjecture actuelle de garder un secret aussi longtemps – le voile eut tout de même tôt fait de tomber : il s’agissait là de ce fameux True Crime 3 qu’Activision avait jeté aux ordures sans vergogne. Et que pour marquer le coup de la reprise du projet par un nouvel éditeur, un nouveau nom a été adopté. Autant dire, United Front Games a eu chaud aux fesses sur ce coup. Notez qu’en bonus, j’ai ajouté quelques mots sur les deux DLCs que j’ai fait en complément qui n’ont aucun impact sur la critique qui concerne, elle, uniquement sur le jeu basique.[/dropcaps]
Le retour d’un Chinois en Chine
Après une enfance difficile dans les bas-quartiers de Hong-Kong où canailles, mafieuses ou non, et dépravation règnent en maître, Wei Shen se retrouvait à prendre la poudre d’escampette avec toute sa famille. Destination ? Les States où ils espéraient bien que ce bon vieux rêve américain fasse office de miracle pour que sa sœur aînée, sans surprise pervertie par la cruauté du contexte de son milieu natal à grand coup de prostitution aussi maquereautée que baignée dans la poudre blanche, reprenne à la fois pied et rênes de sa vie. Malheureusement, malgré toutes les plus bonnes intentions, Wei, alors âgé de dix ans, ne faisait qu’assister au bout de la descente au fond du gouffre et la jeune femme bientôt se voyait flirter dans les bras ardents du diable dans l’autre monde. Dix-huit ans plus tard, le jeune posa à nouveau pied dans les quartiers de son enfance, un badge de la police de San Francisco bien planqué dans sa besace. Son but ? S’infiltrer au sein des Sun On Yee, triade de Hong-Kong bien connue pour être fort éloigné du milieu des enfants de chœur. La police américaine était loin d’avoir choisi le mauvais bougre pour cette mission puisqu’il s’avéra vite que le gang soit peuplé de vieilles connaissances d’enfance de Shen. Et le résultat ne se fit pas attendre, une garde à vue visant à appuyer la crédibilité de la couverture plus tard, le jeune homme se retrouva vite aux bonnes grâces Jackie Ma, ancien camarade et ami d’enfance, qui l’introduit aussitôt au sein de la Triade. En tant que simple troufion devant faire ses preuves, c’est maintenant à nous de lui faire grimper les échelons et ainsi réussir la mission qui lui a été allouée. Le tout en ne perdant pas de vue que l’on reste avant tout un flic ayant bien des prérogatives. Et comme camp adverse faisons-nous en principe partie, prendre garde de ne pas se laisser prendre dans les plus obscures façades de la spirale.
Après l’introduction de rigueur où on se laisse porter de façon linéaire par les petits didacticiels de base, on se retrouve vite à fouler les rues de Hong-Kong. D’abord restreint au seul quartier de North Point, on a néanmoins tôt fait après quelques missions à avoir accès aux trois autres quartiers que le jeu nous laisse à disposition. Premier constat : United Front Games a bien vu son coup en choisissant ce contexte asiatique pour son nouveau bébé. Après tant de GTA-like se déroulant en Amérique, cette incursion en plein cœur de la culture chinoise fait en effet un bien fou, une vraie bouffée d’air frais. Avec un petit soubresaut tripotant la fibre nostalgique car la ville nous fera bien plus penser à un Shenmue qu’à un GTA dans l’esprit. Sans surprise plus beau que le premier – support plus récent aidant – Sleeping Dogs reste néanmoins bien en peine niveau technique en ce qui concerne l’open-world face au maître du genre. On sent les remous des coulisses sur la naissance du soft. En effet, bien qu’acceptable, le produit semble tout de même un peu daté par rapport à ce qui pouvait se faire en 2012 via les divers bugs graphiques, voire ralentissements ponctuels. Mais ce qui déroute le plus reste sans doute le côté inabouti dont se pourvoit cette vision de Hong-Kong. A n’en point douter, les idées étaient là et certains lieux grouillants à l’immersion saisissante – on pensera au marché nocturne, au marché au poisson, la grand-place du quartier des affaires ou bien Soho en l’occurrence – ainsi que la diversité plus ou moins exotique offerte – allant du plus traditionnel temple asiatique aux immeubles typiquement occidentaux dans l’esprit de Central – prouvent toutes les bonnes intentions des développeurs. Mais manque de budget certainement, difficile de tenir de tels critères sur chaque m² de la ville chinoise et les lieux restants nous sembleront plutôt vides tant en population, commerce ou même intérêt esthétique. De la même manière, si la carte des lieux semblent tenir beaucoup de promesses en terme d’immensité, il s’avère qu’on en fait le tour plus vite que l’on peut croire tout en conservant une fâcheuse impression de passer un temps fou sur l’autoroute – sans bouchon, c’est déjà ça – lorsqu’on veut changer de quartier par rapport à la durée d’une traversée de l’un d’eux dans sa longueur. Malgré ce sentiment un peu mitigé, on finira bon gré mal gré à retenir le bon côté des choses, ce qui explique pourquoi les promenades dans Hong-Kong sont très loin d’être désagréables… à supposer qu’on ait quelque chose à y faire. Et c’est en cela que Sleeping Dogs se détache un peu de la concurrence dans le style : le jeu peine à montrer de l’intérêt en mode que l’on pourrait appeler « bac à sable ». Contrairement à un GTA ou un Saints Row, il n’y a clairement aucun intérêt à errer au hasard dans les rues de Hong-Kong dans le seul but d’y faire n’importe quoi. Pour un jeu open-world, voilà qui fait assurément bizarre au démarrage mais le titre de Square Enix réussit quand même un joli tour de force le temps d’une pirouette : si l’envie de jouer les kékés peut donner envie sur le principe, on n’en ressent nullement le besoin manette en main. Sans forcément se retrouver spécialement frustré de la situation.
Tout ceci est très certainement dû au contexte. Contrairement à bien d’autres, on incarne un malfrat qui n’en est pas vraiment un. Ou peut-être est-ce le ton du soft en général, plus sérieux que la plupart de la concurrence s’amusant au contraire à créer un univers basé sur une vision excessive de la crapule au point de s’appuyer quasiment entièrement sur la dérision, d’où leur côté bac à sable jouissif. De son côté, Sleeping Dogs prend le parti inverse : c’est comme si on invitait le joueur à s’adonner à des actes droits, irréprochables, nets et sans bavure. Ce qui, mine de rien, le rend extrêmement cohérent au vue du contexte de culture asiatique connue pour son souci de discrétion, politesse et dignité. C’est d’ailleurs un point abordé par le scénario du jeu via les protagonistes les plus vieux, ces grands leaders de Triade qui se mettent un point d’honneur à conserver les traditions historiques et familiales de leur clan, voire des codes comportementaux que l’on se doit d’avoir si l’on veut officier au sein de la mafia chinoise en général. C’est d’ailleurs peut-être ce qui peut perdre le jeu en terme d’opinion dans nos latitudes. Si l’on n’est pas prêt à s’adapter aux différences culturelles, autant dire que le pari est perdu d’avance et qu’on n’arrivera pas à apprécier ce moment vidéo-ludique à sa juste valeur. Il faut donc partir avec un certain désir d’exotisme et de dépaysement dans l’appréhension du soft car l’asiatique est omniprésent. Via Hong-Kong elle-même, via les clins d’œil divers faisant référence à divers points culturels et artistiques, via son esprit et ses objectifs et via sa narration, son rythme global. United Front Games, au lieu de suivre la porte ouverte de beaucoup d’autres jeux d’action en open-world, mise beaucoup sur l’immersion. A bien des égards, elle est plutôt bien faite. Et cela peut très bien se ressentir sur des aspects anodins tels que grimper en voiture et prêter un peu attention à la radio. La plupart des morceaux choisis pour les différentes stations sont d’origine asiatiques. C’est sûr, en bons occidentaux, on se trouve complètement dans l’ignorance des trois-quarts choisis et on pensera bien à un certain Rockstar qui a le chic de mettre le doigt sur des playlists aux styles aussi variés que leurs noms sont connus et aguicheurs. Force est de reconnaître qu’au final, en plus d’arriver à ne pas tomber au fond d’un gouffre financier en payant une pléthore de droits à la SACEM, ce choix d’avantager les artistes asiatiques en lieu et place des grosses pointures internationales – il y en a quand même quelques unes devant représenter à vue de pif le petit quart restant – sied plutôt bien au jeu. Après tout, lorsque nous, on grimpe en voiture et parcourons la bande la bande FM, quel est le pourcentage représenté par la musique française durant tout ce petit « zapping » ? Très certainement au moins la moitié. Surtout qu’au final, il s’avère que les choix musicaux faits pour Sleeping Dogs sont loin d’être dégueulasses niveau qualité et variété de styles. Seule ombre trouvera-t-on au tableau à propos de l’immersion : le doublage. Si l’introduction se présentait bien avec des Chinois parlant chinois et des Américains parlant anglais, la suite est plus dommageable en poursuivant les dialogues uniquement dans la langue de Shakespeare. Alors qu’en parallèle, les autochtones dans l’environnement lors de nos ballades dans les rues – et même les animateurs des stations de radio se voulant nationales d’ailleurs – utilisent le mandarin. C’est à en perdre son latin et force est de constater que cela nuit pas mal à la crédibilité de l’ensemble.
Hong-Kong fou fou
Non content de se démarquer par son ton général, Sleeping Dogs y arrive également par son gameplay. Pas qu’il soit foncièrement différent des autres GTA-like puisqu’on retrouve toutes les phases qu’on est en droit d’attendre dans le style : les fusillades, les combats à mains nues (et autres armes blanches) ainsi que les phases en véhicule. Point de grosse nouveautés sur ce plan-là. Malgré tout, le bébé d’United Front Games tire son épingle du jeu en mettant un point d’honneur l’aspect qui est certainement le plus risible chez la concurrence : le corps à corps. Et c’est à partir de cet élément que le jeu peut se permettre de briller tant ces phases s’avèrent agréables à jouer et jouissives. Prenant la série des Batman Arkham en modèle sur la prise en main, on retient une nuance de rythme et de mise en scène des affrontements qui évite le simple copier-coller. Encore une fois, on pensera à un Shenmue dans l’esprit, une prise en main optimale et un soupçon de modernité en plus, finish moves et autres interactions possibles avec l’environnement à l’appui. Dotés d’un rythme plutôt lent, les combats semblent au démarrage bien faciles d’accès. Trop simplistes même. Et pourtant, on finit par se rendre compte qu’ils sont plus exigeants qu’ils en ont l’air, la moindre erreur de garde, contre-attaque ou timing dans le combo pouvant s’avérer fatale à terme, quand la difficulté et nombre d’ennemis augmentent. Là encore, le rythme et la mise en scène restent très cohérents avec le contexte, clin d’œil évident au cinéma d’arts martiaux asiatique. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ce sont des phases omniprésentes dans le jeu puisqu’on se retrouve bien plus confrontés à faire parler nos poings, voire un couteau ou un démonte-pneu pour les plus téméraires, qu’à jouer de la gâchette.
Une très bonne chose d’ailleurs puisqu’il faut admettre que les fusillades sont le plus gros point d’ombre du jeu. Inintéressantes au possible, les fusillades représentent une sorte de promenade de santé au pays de la banalité. On tire, on se couvre… A la limite, on passe d’un point à un autre dans un effet bullet-time éhontément plagié d’un Max Payne sans aucun désir d’accoler un semblant de variante. Bref, des phases impersonnelles qu’on suivra sans broncher dans une continuité d’habitude, une routine pas forcément désagréable en soi mais sur laquelle on ne retirera pas vraiment de plaisir, attendant (im)patiemment qu’elle se termine et qu’on passe à autre chose… Ce qu’on aura vite fait de faire car il s’agit là vraiment des phases les plus minoritaires de Sleeping Dogs.