[dropcaps style=’2′]Vous avez été trahi. C’est ainsi que commence Persona 5 : les ¾ du jeu sont un flashback qui retrace le cheminement du héros, Joker de son nom de code, jusqu’à la situation desespérée sur laquelle s’ouvre le jeu d’Atlus. La tension est énorme dès les premières minutes et prophétise de la maestria avec laquelle sera contée ce cinquième opus.
Le héros de Persona 5 est à la base un jeune sans histoire, mais se retrouve mêlé à une rixe et fini victime d’une erreur judiciaire. En période de caution judiciaire au lycée Shujin, il ronge sa rancoeur jusqu’à se voir transporté une nuit dans la Velvet Room, lieu onirique où un drôle de personnage dénomé Igor lui confère des pouvoirs surnaturels. Joker peut désormais plonger dans l’inconscient des plus viles crapules et les forcer à avouer leurs crimes. Porté par la haine pour l’homme qui l’a fait faussement accuser, Joker fonde avec ses camarades Ryûji et Anne le kokoro no kaitôdan, groupe de “voleurs” qui dérobent le subconscient pour rétablir le droit et la justice.[/dropcaps]
Dans Persona 5, le temps est limité : il se déroule sur 8 mois dans le jeu, et chaque donjon devra être terminé en 2 ou 3 semaines, chaque passage dans lesdits donjons consommant un jour. Le subconscient des cibles prend la forme d’un donjon thématique (casino, musée, château…) et le but sera de mettre la main sur le trésor enfoui tout au bout pour que le criminel passe aux aveux. Il faudra donc avancer petit à petit, de jour en jour, en s’aidant des safe rooms qui sont autant de checkpoints vers lesquels ont peut se téléporter pour poursuivre l’exploration. Les SP (les skills points permettant d’utiliser la magie et les techniques) sont le facteur limitant : quand vous commençez à en manquer, vous ne pouvez plus attaquer efficacement, ni vous soigner. C’est donc là le moment rebrousser chemin et de retourner dans le monde réel pour mieux repartir le jour suivant. Les objets pour récupérer des SP pendant l’exploration sont extrêmement rares, et croyez moi, vous voudrez les conserver pour la fin du jeu.
Le level design de ces donjons est vraiment bon, surtout le musée où à un moment on va de tableau en tableau pour progresser, ou encore le casino qui utilise le thème du jeu d’argent à fond, avec brio. Autre que cela, vous aurez un jeu de différences, un énigme à base de binaire, des séries d’interrupteurs, un puzzle, des machines à sous… Autant de distractions qui garantissent une exploration renouvelée tout au long du jeu, de nombreuses heures de réflexion et donc un haut niveau d’intérêt en tous temps. Un petit mot sur la discrétion : Persona 5 vous demandera de prendre les ennemis par surprise, sans quoi le niveau d’alerte du donjon augmente, ce qui renforce les shadows (le nom des monstres dans Persona). Persona n’étant pas Metal Gear Solid, cet aspect est tout à fait mineur : les shadows ne voient pas très loin et les planques sont suffisamment nombreuses pour attaquer par surprise sans coup férir. Personnellement, à aucun moment le niveau d’alerte n’a été un problème.
Les combats se déroulent en tour par tour classique. Il sera question d’utiliser au mieux la panoplie des skills et magie dont vous disposez (et qui donc coûtent des SP). Les sorts de soutien sont par exemple prépondérant : augmenter sa force, sa défense et surtout son esquive doit faire partie de votre stratégie. Après, le système est régi par les nombreux éléments présents (une bonne douzaine, tout de même). Frapper sur la faiblesse d’un ennemi l’étourdit, mais permet également au personnage de rejouer immédiatement : c’est le one more. Enchaîner les one more permet de venir à bout des adversaires plus rapidement, et donc d’économiser vos précieux SP. Mieux, quand tous les ennemis sont stun, l’équipe entre en phase de négociation. Un shadow va vous poser une série de questions, toujours idiotes (genre “ma petite amie m’attend, je peux partir?”), et trouver une série de réponses qui lui fait plaisir le convainc d’abandonner le combat ou même de de vous rejoindre.
Si les compagnons de Joker ont leur Persona attitré (esprits qui les habitent et qui leur permettent d’utiliser la magie), lui-même en possède plusieurs. Il peut acceuillir les shadows qui vous ont rejoint à l’issue d’une négociation en tant que persona. On peut en outre fusionner ces personas dans la Velvet Room pour produire des personas plus puissants, ce afin que Joker reste au top. Chaque Persona a en effet des forces et des faiblesses, ce qui veut dire que vos personnages également peuvent être victimes du one more par un adversaire. Le choix des personas pour Joker est donc un enjeu tactique en soi : il doit pouvoir prendre l’avantage sur chaque élément, avoir les résistances nécessaires pour endurer les combats les plus chauds, et également avoir la meilleure panoplie de sorts possible. C’est très important, car le moindre KO de Joker signifie game over. On peut encore renforcer un persona existant, ce qui vous permet de conserver ceux qui vous plaisent le plus (j’ai par exemple fait tout le jeu avec Genbu, qui venait du tout premier donjon), mais aussi en autres fusionner par internet pour obtenir des personas qu’on aurait loupé. Il y a des dizaines et des dizaines de personas dans le jeu, leur gestion, qui apporte énormément en termes de stratégie, s’avérant être un véritable jeu dans le jeu. C’est presque comme si Persona 5 contenait un jeu pokémon tout entier.
Du côté des activités annexes, Persona 5 est là encore, disons-le, richissime. Base-ball, pêche à la ligne, décoration d’intérieur, retro-gaming, petits boulots, musculation et même une série de mots croisés extrêmement complète (en japonais par contre, c’est loin d’être simple). La liste est non-exhaustive, mais tous ces loisirs auront pour but de faire progresser les qualités humaines de Joker : adresse, gentillesse, intelligence, charisme, audace. Ces statistiques vont vous aider à approfondir vos relations avec les autres personnages, jouables ou non. En effet, en plus de vos camarades, vous ferez connaissance avec de nombreux PNJ qui ont tous un background et une histoire fouillés. Élégamment représentés par des arcanes de tarot, ces partenaires vous octroieront un gain d’expérience pour les personas, ainsi que des skills passifs puissants qui vont considérablement vous aider dans votre aventure : tir préventif, aide à la négociation, couverture, guérison d’état anormaux, permettre à un allié de jouer un tour supplémentaire… Ces coopérations sont d’une importance capitale, au point que le jeu aurait été je pense trois fois plus dur sans Hifumi ou Kawakami.
Persona 5 vous enverra également régulièrement sur les bancs du lycée, toujours dans la peau de Joker qui a visiblement assez de malchance pour se faire interroger par le prof absolument tous les matins! Profs qui sont eux-mêmes des personnages remarquables, dignes de la BD Les Profs tant ils sont exubérants dans leur design et hilarants dans leur comportement et leur répartie. C’est là que Persona 5 se révèle être une véritable mine de culture générale, car les questions auxquelles vous êtes confrontées sont à la fois loufoques mais aussi terriblement fascinantes. Quelle est la quantité d’or extraite depuis la découverte du métal? De quel point de l’archipel peut-on voir le soleil le premier? Quelle est la densité des étoiles dans l’univers? Toutes les questions sont des question-piège et vous n’avez pas fini de vous étonner des vérités surprenantes qu’elles amènent! Géographie, histoire, biologie, technologie, étymologie… tout est là et le jeu testera votre mémoire en vous lançant dans des devoirs surveillés qui revisitent le sujets sous un autre angle. Un véritable jeu dans le jeu, encore un.
Contrairement à d’autres JRPG nettement moins bien finis, Persona 5 soigne ses personnages et leur équilibre dans la narration. La formation de l’équipe est très progressive, avec un nouveau personnage tous les 10-15h de jeu environ. Les 8 personnages jouables sont donc bien introduits, avec à chaque fois un chapitre qui leur consacré. On apprend a bien les connaître, si bien que l’on n’en rejette aucun. Les membres du kaitôdan montrent une cohésion impeccable, suscitant la sympathie du joueur comme peu de JRPG savent le faire. Tout est évidemment illustré par de très nombreuses scènes de dialogues et quelques cinématiques animées qui créent des relations fortes entre les personnages, d’où une émotion grandissante tout au long du jeu puis une fin qui allie beauté et élégance.
Les PNJ auront également une très longue histoire parallèle pour chacun d’entre eux, avec à chaque fois la même envie d’en savoir plus et la même tension dans le dénouement. La seule déception du point de vue des personnages est que Futaba soit cantonnée au traditionnel rôle de “navigation”. Ce rôle purement artificiel est je pense à supprimer puisque cela ne conduit qu’à la sous-utilisation d’un excellent personnage. Du reste, son commentaire est nettement moins bon que celui de Morgana.
Mais le vrai génie de Persona 5 est qu’il arrive à manier l’humour et le suspense avec la même maestria. Atlus nous a concocté un petit bijou d’humour, avec des tas de scènes hilarantes, des effets de surprises délirants dont le must du must reste le chapitre de Futaba. Il faut retenir également les négociations avec les shadows, car les réponses de Joker sont d’une impertinence qui a trait au génie. Le doublage, bien que loin d’être total, est exquis. Les doubleurs et doubleuses insufflent une personnalité sans pareille aux personnages : Morgana a un ton d’une exubérance ahurissante, Futaba parle très rapidement et trahit ses années de vie otaku penchée sur son ordi, Joker enfin parle peu mais ses petites tirades en combat marquent la virilité du leader. Atlus a fait un très bon choix en mettant tout en oeuvre pour arracher les doublages originaux.
Mais Persona 5 est aussi le maître du suspense avec une tension grandissante dans son intrigue. Les exploits du kaitôdan se déroulent sur fond de cas de démences et de morts suspectes qui inquiètent la population japonaise. On sent très tôt qu’un complot se trame dans les plus hautes sphères du pouvoir et les héros auront face à eux des adversaires de plus en plus inquiétants. Le jeu a également un très fort côté Death Note avec le détective Akechi Gôrô, rival perspicace qui semble avoir un temps d’avance sur la police. Le développements vis-à-vis de ce personnages sont presque aussi passionnants que le manga de Takeshi Obata. Le jeu se permet même de placer des fausses fins ici et là pour augmenter encore plus la pression sur le joueur alors partagé en adrénaline et appréhension.
Persona 5, c’est des confrontations aussi épiques que difficiles, des séries de boss qui conduisent à l’extase, des défis suprise aussi inattendus qu’exaltant, et enfin un boss de fin d’une magnitude et d’une complexité qu’on avait pas vu depuis longtemps. Voilà, ça décoiffe, ça déboite, il n’y a pas de mots pour décrire le carrefour d’émotions au sortir d’un jeu au challenge aussi bien huilé.
Le scénario de Persona 5 a également une portée morale, dans le sens où il illustre une fracture générationnelle : celle des Trente Glorieuses et de la Génération Perdue, où une génération adulte largement enrichie, obnubilée par le pouvoir et l’argent, méprise ses jeunes et refuse de passer la main. Le kaitôdan représente cette volonté de la jeunesse de casser les codes et refonder une société plus juste et moins fataliste. Il y a en effet la critique en fond d’une société désabusée, une population qui refuse de s’engager et qui se réfugie dans le confort de laisser les élites décider pour elle. La problématique de fond tient à la capacité de l’homme à prendre son destin en main, et Persona 5 a pour cela de brillantes allégories.
Du côté art et technique, le bilan est tout aussi bon mais contrasté. Disons-le tout net, Persona 5 sur PS4 semble drôlement proche de Persona 5 sur PS3, la modélisation des personnages étant par exemple fort décevante. De près, les modèles 3D des personnages principaux sont très en-dessous de ceux de Tales of Berseria par exemple. C’est mieux pour certains donjons dont certains ont du style, notamment le casino et ses multitudes de cartes à jouer qui pleuvent littéralement. Les animations en revanche ont beaucoup plus de gueule, tout spécialement les coups critiques et autres petites mimiques.
Par contre, et là cela ne souffrira aucune objection, on a avec Persona 5 la plus grande démonstration de style depuis bien des années : les menus d’avant-garde respirent la classe, les personas sont vraiment cool également, le character design met dans le mille presque à chaque fois… La musique est partionnée entre des thèmes d’ambiance dans le réel un peu inertes (la musique de la chambre de Joker est pénible, franchement) et des thèmes qui swing beaucoup plus dans les donjons et deviennent vraiment épiques dans les grands combats. Les morceaux Big Boss et Will Power sont à conserver chaudement. Au final, Persona 5 n’a qu’un seul vrai défaut : il est liberticide. Pas de PS4share, pas un seul screenshot ne doit sortir de votre aventure, Atlus récuse le principe fondateur de la PS4 et la liberté du joueur de partager sa passion. Si le kaitôdan existait vraiment, sûrement iraient-ils rendre une petite visite à l’éditeur totalitaire. La petite griffure sur une toile de maître, en somme…