[dropcaps style= »2″]Pour sa troisième création, thatgamecompany, toujours en collaboration avec Sony Santa Monica Studio, la nébuleuse créative et expérimentale du constructeur, continue de nous proposer sa propre vision du jeu-vidéo, après l’accueil unanime de Flower. Une vision qui va plus loin que le simple divertissement, la vitrine technologique ou les possibilités d’un gameplay aux prétentions et nouveautés plus ou moins discutables.
Après les confins des cieux, les profondeurs des mers et de vertes plaines, nous voilà donc dans le désert, un univers tout aussi sobre et quasiment vierge, où la nature semble avoir repris ses droits, en témoigne les ruines d’une ancienne civilisation qui habillent ça et là cette mer de sable. De ce côté là, le studio s’est approprié ce milieu hostile pour le rendre magnifique grâce à une direction artistique d’une beauté et d’une finesse maitrisée. Couleurs justement sélectionnées, design des personnages bien profilés, effets visuels détaillés, architectures étonnantes… Tout est juste beau. On remarquera également le soin apporté au sable lui même, dont les propriétés semblent changer selon les environnements visités, passant d’un état solide et volatile à une constitution plus liquide et brillante. On a souvent l’impression de marcher sur l’eau plutôt que sur du fin minéral, et parfois on s’amusera à en bousculer la régularité en sautillant dessus. L’univers de Journey s’avère donc, malgré son apparence très dépouillée, finement détaillé et particulièrement magique.[/dropcaps]
A l’instar de Flower, et quitte à en faire fuir certains, le nouveau titre de thatgamecompany propose un gameplay finalement assez simple, mais ô combien efficace. Notre avatar n’est guère agile au début de son aventure, mais il se retrouvera rapidement affublé d’une écharpe qui lui donnera différents pouvoirs comme celui de virevolter durant quelques secondes dans les airs, ou encore d’activer d’anciens mécanismes en « ravivant » de vieux morceaux de tissu mangés par le sable et le temps. On pourra également, avoir avoir plus ou moins maintenu le bouton O, lancer une petite ou grande impulsion magique qui fera réagir tout objet activable aux alentours, en plus d’avoir une utilité bien plus subtile. A noter qu’il n’y a encore une fois aucune interface à l’écran pour offrir une quelconque information. Ainsi il faudra résoudre un certain nombre d’énigmes et grimper un peu partout pour progresser, avec pour objectif final cette grande montagne qui nous attire tant. Journey est donc un jeu d’aventure dans sa plus simple forme. Une mise en avant de la découverte de ses ruines et de sa faune, de l’exploration et surtout une absence quasi absolue de toute violence. Même si on note la présence d’ennemis (en aucun cas meurtriers), notre avatar ne possède aucune arme, ni d’ailleurs de bras à proprement parler. Un parti pris propice à la contemplation et à la zen attitude plutôt qu’à action frénétique et les explosions.
L’histoire qui se cache finement derrière tout cela bien va également dans ce sens. Il n’y a pour ainsi dire qu’une brève introduction et absolument aucun dialogue pour nous expliquer se qu’il s’est passé dans ce monde déchu envahi par le sable. Cependant, à chaque fin de chapitre, un être aux apparences similaires à la votre vous présentera une petite fresque animée qui vous en dira un peu plus, sans pour autant vous dévoiler le pourquoi de votre présence ici. Cela sera à vous, avec votre imagination, au grès de vos discutions avec d’autres joueurs, de vous forger une idée. Il est très rare aujourd’hui qu’un jeu laisse planer un si grand mystère autour de lui, au risque de s’attirer une certaine incompréhension. Et finalement, ce n’est pas si mal, cela crée le débat. C’est en partie ce qui lui donne cette force et en fait un titre unique qui laisse place à une véritable expérience visuelle et sonore.
Une expérience qui se partage dans le silence, sans avis parasites ou toute forme de nuisance extérieure qui pourrait influencer votre vision et votre implication. Vous, le jeu… Et un autre joueur. Parti pris imposé et indispensable, Journey tourne autour d’une structure hybride entre du solo et du multijoueur, à la manière de Demon’s Souls et de sa suite. Une personne rejoindra votre partie (ou le contraire, difficile à dire), sans aucune intervention de votre part. Sa présence est toujours indiquée par un halo de lumière au bord de l’écran si elle n’est pas visible de vos yeux. Cette personne, vous ne la connaissez évidemment pas, et vous ne pourrez ni obtenir son pseudo, ni discuter avec elle via un micro ou des messages. Et pourtant. Difficile de croire qu’il est possible de communiquer en lançant de petites ou grosses impulsions via le même bouton O que tout à l’heure. Et pourtant. C’est purement instinctif. On se dit « Bonjour !», « Attention! », « Regardes! », « Je suis là! » de la même manière, partout dans le monde. On exprime un contentement ou une alerte de la même façon. C’est peut être une constatation personnelle, mais après plusieurs parties avec des personnes différentes, cette manière de communiquer se réitère. Absolument bluffant. Après, chacun fait sa petite partie de son côté (sans aucune coupure si quelqu’un quitte la partie) mais il est fort à parier que si vous voulez partager votre aventure avec cet(te) inconnu(e) et que réciproquement, c’est la même idée, vous allez bien vous entendre. S’en suit, en conséquence, une bonne partie de coopération, avec un soupçon de compétition par moments, mais aussi beaucoup de « coups de mains », d’indications de choses cachées que vous ou lui n’aurait pas vu (de ce côté là, le jeu offre une replay-value vraiment bonne), et au final, pour les dernières minutes de jeu, une relation quasi-fusionnelle et indispensable. Ce « partage » de l’aventure constitue un concept original et très grisant, et évidement un des points forts de Journey. Autant le dire clairement, l’ultime partie du jeu est juste superbe, bouleversante, pleine d’émotions. A vous en faire lâcher quelques larmes. Authentique.
Journey c’est aussi ses musiques. Absolument indissociables et indispensables à l’expérience, elles savent s’inviter dans l’action et l’accompagner à merveille pour tranquillement s’estomper au juste moment. Elles s’avèrent aussi poignantes, et encore une fois, magnifiques. Cette mélodie au violon, thème principal du jeu, est juste à vous en donner des frissons. Encore et encore à chaque écoute. Chapeau bas pour son compositeur, Austin Wintory, dont nous espérons que cette expérience avec thatgamecompany sera la première d’une longue série de collaborations avec le monde du jeu-vidéo. Bref, nous tenons ici une des meilleures bande-son de l’année, assurément.
[section id= »conclusion » style= »border:1px solid white;padding:10px;overflow:auto;background-color:#00a0db;color:#FFFFFF; »]Si la prétention première de thatgamecompany est de nous offrir autre chose qu’un simple jeu-vidéo, on peut dire que Journey en constitue l’aboutissement. Un voyage certes court, mais poignant, magique, et qui nous offre une expérience encore inédite jusqu’alors, grâce à l’association de superbes visuels, une partie musicale frissonnante de beauté et surtout un multijoueur extrêmement grisant et bluffant d’originalité et d’efficacité. Et il y a tellement d’autres choses à dire, tellement de choses qui nous viennent et qui nous reviennent à l’esprit. Difficile d’expliquer comment un titre aux apparences aussi humbles peut provoquer (une fois de plus) autant d’émoi à travers le monde. Mais le fait est bien là. Journey est un superbe jeu, et il ne sera visiblement pas le seul de cette cuvée 2012. Trop de superlatifs? Pas objectif? Comment l’être. Qu’importe.[/section]
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