Voici donc le premier jeu que j’allais terminer sur ma Playstation Vita fraîchement » auto-régalée à moi-même » en ce Noël 2013. Assez étranger à la marque Sony en terme de Hardware (oui oui il y en a en France, des gens comme ça), je craquai pour cette machine et sa ludothèque largement moins famélique qu’une bonne majorité d’internautes et autres professionnels de l’information vidéoludique ne pouvaient laisser entendre, il y avait encore quelques semaines de ça.
Je n’ai jamais touché à Little Big Planet, l’opus précédent de Media Molecule, et c’est vraiment sans à priori que je lançai Tearaway en guise de baptême offert à cette superbe console portable. Il va sans dire que je n’ai vraiment pas été déçu du voyage.
Bienvenue chez « Vou » !
L’ambiance ne se fait pas attendre et l’esprit de l’aventure nous est lancé à la tronche comme la détonation d’un cornet de confettis. La fête à laquelle le joueur est invité se jouera toujours sur deux plans simultanés : la réalité (en l’occurrence il s’agissait de mon salon , la plupart du temps…) et l’univers du jeu. La passerelle entre ces deux mondes : la Playstation Vita et ses fonctionnalités. L’histoire commence quand le joueur, un « Vou » (sorte de Dieu dans le référent de l’univers de Tearaway) désigne un Iota (ou sa version féminine, Atoi) comme messager. Le but du périple de ce personnage : délivrer une missive au Vou, représenté par un soleil lointain entourant la tête, bien réelle, de la personne qui tient la console entre ses mains. Celle-ci va incarner cette version poétique du postman tout en l’aidant grâce à des intéractions au sein même du monde de Tearaway.
Et quel périple ! Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas été aussi captivé par une aventure de ce type. Bien que le jeu regarde clairement du côté de l’aventure plates-formes, il est difficile de le cantonner à un genre basique tant le gameplay ne cesse de se renouveler au fil des chapitres. De la dynamique des niveaux, au level design pur, l’étonnement succède inlassablement à l’émerveillement quant à l’ingéniosité du flot d’idées qui ne tarit pas jusqu’à la dernière seconde. Qu’il s’agisse des objectifs comme des quêtes secondaires, l’ensemble reste toujours charmant, enchanteur et magnifiquement entraînant. Je n’ai vraiment pas envie d’en dire plus étant donné que ce renouvellement permanent donne une identité propre à chaque chapitre, comme un liant très solide entre l’ambiance, le gameplay, la narration et l’histoire elle-même.
Ce monde est à « Vou » !
Tearaway nous transporte dans un monde de papier…et de représentation 3D mâtinée de réalité augmentée. Ce qui serait presque une antithèse dans l’idée, la matérialité du papier et la virtualité de l’image de synthèse, est livrée avec une alchimie d’une délicatesse inouïe. Certes, le choix d’une couleur musicale celtique ( cornemuses, violons, flutiaux irlandais, tambourins ternaires ) pourrait faire penser à de la petite facilité passe-partout. Mais certains passages comme l’ascension d’une colline via un niveau au level design tourbillonnant comme la gigue qui accompagne notre petite enveloppe sur patte, achève de parfaire la recette. Ne parlons même pas des harmonies colorées, de la patte artistique ou du sound design toujours impeccables des niveaux (mention spéciale au chapitre « Site du crash », vraiment fantastique).
L’autre grande idée est la personnalisation de l’aventure qui semble être une marque de fabrique du studio. Comme pour parfaire la cohérence du tout, Tearaway proposera parfois au joueur de « dessiner » puis d’incorporer à l’univers du jeu des éléments qui feront, par la suite, partie intégrante du graphisme, de l’ambiance et donc du « corps » de l’histoire. Je ne vous cache pas que l’effet est extrêmement saisissant, parfois même émouvant. Comme seul et unique exemple, je parlerai d’un certain roi écureuil qui a perdu sa couronne, suppliant le « Vou » de lui en dessiner une nouvelle. Une fois l’objet dessiné et découpé par les soins du joueur, c’est avec fierté que le roi rongeur s’empressera de s’afficher en se pavanant à diverses occasions, la coiffure « collector » modèle unique vissée sur la tête. Je vous assure qu’un tel impact sur sa propre partie fait cent fois plus d’effet que le sacro-saint « choix » habituel dans les dialogues de jeux vidéos modernes. Et encore, je n’ai cité que l’exemple le plus anecdotique, car Tearaway vous proposera d’impacter de manière assez extraordinaire l’ambiance de votre aventure, parfois jusqu’à créer une émotion vraiment transcendante ! Le seul petit bémol étant que l’interface de dessin/découpage a un petit quelque chose de « pas très pratique » dans certains cas, mais rien de bien méchant comparé à ce que cela permet.
Mais où est donc Mac Guffin ?
Parce qu’une perle de la classe de Tearaway ne finit jamais de surprendre le joueur conquis, le thème de fond du scénario touche un genre d’écriture qui fait toujours – presque – mouche chez moi. Celui de l’histoire de « la genèse d’une histoire », justement. Une énième facette du Mac Guffin, « ce qui motive le développement du scénario » ( concept plus ou moins théorisé par Alfred Hitchcock ). L’agencement d’une épopée, le prétexte de départ, la nécessité d’inventer des embûches pour susciter l’intérêt, l’implantation de personnages comme autant de balises au rôle distincts,etc… De la fameuse pièce « Mais où est donc Mac Guffin » à « Lady in the Water », voilà un thème qui me prend toujours aux tripes lorsqu’il est bien traité. Tearaway dose parfaitement cette problématique et lorsqu’au détour d’une cinématique, le narrateur principal nous lâche un : « ne faudrait-il pas ajouter quelques dangers pour faire de ce périple une bonne histoire ? »; c’est avec un plaisir inouï que je m’accroche à mon canapé, tant ce thème m’enchante à chaque fois.
Et cette magie de l’univers qui balance en permanence entre un univers fictif bien planté et les arcanes de la création de l’histoire elle-même, Tearaway l’aborde comme une évidence en tirant parti des fonctionnalités de la PS Vita-objet. Quel autre classique de modèle narratif pouvait mieux coller à une forme artistique se basant sur l’ambigüité de la frontière du virtuel et du réel, la portable de Sony en pierre angulaire de cette merveilleuse voûte? Ou comment des développeurs arrivent à tirer parti de cette fameuse « suspension consentie de l’incrédulité » (autre concept cher aux créateurs d’histoire) pour en faire un jeu dans le jeu et proposer en permanence plusieurs degrés de lecture. Une oscillation incessante entre un univers enfantin auquel je « souhaite » croire et cette réalité qui fut celle des « raconteurs » ayant eu à inventer un enjeu, le but d’une quête, des embûches, une finalité,etc… Trop bon. Le résultat est bluffant et ne cesse de relancer l’intérêt du tout jusqu’à un final éclatant de simplicité et de justesse. Quelques frissons, deux larmounettes et une certitude à l’amorce du générique : « mais bien sûr, c’est cela qu’il fallait faire ».
On aura donc bien compris, à quel point ce jeu m’aura charmé. C’est toujours un plaisir, pour ma part, de tomber sur un expérience de ce type. Astucieux, cohérent, jusqu’au boutiste, sincère et artistiquement audacieux, Tearaway constitue bel et bien un jeu vidéo de haute volée. Le succès de l’exercice est d’autant plus brillant que les créateurs de chez Media Molecule ont su se délester de l’inertie habituelle des jeux qui comptent tirer parti des fonctionnalités physiques d’une console telle que la Vita (Escape Plan en tête). Léger comme son monde de papier le suggère à chaque seconde, accueillant comme cette fusion du réel et de l’irréel résonne en appelant au voyage. Voici une épopée à la poésie certaine qui vous prendra aux tripes tout au long d’un histoire qui sera créée avec votre complicité, vécue selon vos interventions artistiques à l’intérieur de l’univers de Tearaway. Puis qui vous enchantera définitivement, lorsque le voyage vous sera conté une dernière fois, la vision d’ensemble révélée. Ma-gique !