D

L'horreur vite pliée

Genre
Aventure
Développpeur
WARP
Éditeur
Acclaim Entertainment
Année de sortie
1995

Voilà un nom bien étrange pour un jeu. Mais il a cependant le mérite d’éveiller la curiosité pour celui qui tombe nez à nez avec la tranche ou la face avant du boîtier. « Dramatique », « Démoniaque », « Destin »… Tels sont les quelques mots parmi d’autres écrits en rouge sang à côté du synopsis, qui nous mettent sur la piste de la signification du titre tout en nous confirmant que nous ne verrons pas de couleurs chatoyantes ni un héros ultra kawaii. D Libération.

D est le premier titre du studio japonais WARP à connaître une carrière internationale, le développeur ne s’étant occupé jusqu’alors de jeux exclusifs à la 3DO nippone. A la tête de cette société : Kenji Eno, président, game-designer et compositeur autoproclamés. Il se fit rapidement remarqué dans l’industrie vidéoludique pour son tempérament décalé et sa vision quelque peu originale du jeu vidéo. Entre écrire n’importe quoi dans une notice, offrir un préservatif avec un jeu ou encore brûler la mascotte de Sony lors d’une conférence, l’homme s’était taillé une bonne (ou une mauvaise) réputation parmi ses confrères et la presse spécialisée.

Revenons à D donc. Nous y incarnons Laura Harris, une jeune blonde dont le père, brillant médecin d’un hôpital de Los Angeles, fût soudainement pris d’une pulsion meurtrière et assassina de sang froid plusieurs personnes présentes dans son établissement. La police, visiblement dans l’incapacité d’intervenir sans mettre une vie en danger, laissa entrer Laura dans le CHU dans l’espoir qu’elle arrête son père. En pénétrant dans l’hôpital vide de toute vie, elle ne tarda pas à être happée par un vortex dans une mystérieuse dimension dont le décor prend place dans un château. Son père l’accueille d’une voix lointaine et plaintive en lui suppliant de quitter cet endroit maudit. Peine perdue, Laura est bien décidée à retrouver son paternel coûte que coûte, malgré les dangers qui l’attendent. Le scénario, qui tient au final sur un timbre poste et dont le dénouement prête aujourd’hui à sourire, est timidement distillé à travers différents flashbacks – en trouvant des scarabées colorés dans divers endroits – où l’héroïne assiste à des scènes plutôt sanglantes et cannibales.

Pour la petite histoire, Kenji Eno présenta une version « édulcorée » de D à son éditeur (Acclaim Entertainment) qui ne contenait pas les scènes qui auraient été jugées trop violentes. Le jeu approuvé, il retarda l’envoi de son jeu pour être obligé d’apporter lui même le disque gold au presseur situé aux USA, sans passer par l’éditeur donc. Il échangea dans l’avion les disques, pour finalement donner la version finale contenant toute la violence, évitant ainsi toute censure.

Si on peut admettre qu’à l’époque le jeu s’aventurait sur les terres alors peu explorées de horreur, il est revanche utile de préciser que nous n’avons pas à faire ici à un véritable survival-horror comme l’a été Alone in the Dark ou comme le sera Resident Evil. On se retrouve ici face à un jeu d’aventure avec des énigmes avec des emprunts certains au point’n’click, et entièrement réalisé en cinématiques pré-calculées. Pas d’acteurs ni de décors au rabais, tout est réalisé ici en images de synthèse. Ce procédé permet d’afficher des graphismes plus bien bluffants qu’un moteur en temps réel et d’éviter de couper le fil de l’action par des chargements intempestifs, au détriment d’une liberté de mouvement très amoindrie, puisque tout est monté sur rails : pour se déplacer, le joueur n’a qu’à appuyer sur une touche de direction pour s’y diriger automatiquement au travers d’une petite séquence vidéo. Même procédure pour orienter son regard ou interagir avec les éléments du décor. Simple mais assez passif, ce gameplay aura d’autant plus de mal à passer du fait des déplacements très lents de Laura, probablement voulus pour souligner sa peur de l’inconnu. Mais quand même, il ne faut pas trois ans pour tourner son visage, à moins de vouloir surprendre le joueur avec un ennemi embusqué. Et malheureusement, il n’y aura pour ainsi dire qu’un seul adversaire en plus du « boss » final, et à cause des limites techniques imposées par un jeu tout en vidéos, on aura le droit à un « bête » QTE, tout droit sorti du mythique Dragon’s Lair : une petite séquence de touches à correctement presser pour échapper à un terrible chevalier fantôme qui jettera Laura dans un puits à la moindre erreur… Un puits peu profond et pourvu d’une échelle, idéal pour recommencer la séquence sans infliger de Game Over.

Car si D est beaucoup porté sur la mort, notre chère blonde ne meurt jamais, elle. Les divers pièges tendus sont évités de justesse par la demoiselle, sans assistance du joueur, et la dite scène « d’action » n’est pas pénalisante. Finalement, le jeu n’est qu’une succession d’énigmes souvent simplettes où le joueur devra parfois, en plus de faire chauffer ses méninges, rechercher tel objet pour le faire interagir à tel endroit pour progresser. Du grand classique pour l’époque donc. Tout n’est pas perdu cependant, car le titre propose une ambiance malsaine travaillée, avec un décor lugubre, des caméras bien placées, et un fond sonore frémissant. D’un point de vue visuel, D accuse quelque peu de son âge, sans pour autant être gerbant : environnements détaillés, pas de pixellisation excessive, jeux de lumières convaincants… Seul le personnage de Laura, aux cheveux en spaghettis et aux animations raides, nous ramène violemment en 1995.

On notera avant de conclure une idée de conception assez singulière, surtout pour un titre sorti sur une 32 bits : le jeu impose en effet d’être terminé en moins de deux heures, montre en main. Si Laura n’a pas retrouvé son père avant ce temps imparti, elle est renvoyée brusquement dans sa dimension d’origine, synonyme du seul Game Over possible. Et le joueur ne peut ni sauvegarder, ni mettre sa partie en pause, et ne peut que s’aider d’une montre et de trois indices donnés par un fragile poudrier. Encore assez surprenant de nos jours, cette idée nous atteste que la durée de vie du titre n’est pas du tout énorme, malgré les trois fins possibles selon les choix et des trouvailles du joueur.

D
Appréciation
Vestige mythique d’une époque où beaucoup de développeurs se sont engouffrés à corps perdus dans les jeux en Full Motion Video, D reste encore un titre intéressant à jouer. A défaut de proposer un gameplay et un scénario palpitants, son ambiance morbide et ses graphismes encore bien fichus attireront peut être encore le nostalgique ou la personne désirant s’essayer à un genre aujourd’hui disparu à cause de ses contraintes techniques et sa relative passivité. Le jeu aura connu un très grand succès, ce qui a permis au studio WARP d’offrir deux autres aventures à Laura Harris, avec l’imposant Enemy Zero, sorti en « exclusivité » sur Saturn, et D2, qui fût un des premiers jeux à être annoncés sur la nouvelle console de Sega : la Dreamcast. Et comme nous le verrons peut être un jour, ces titres là ont bien des histoires à raconter.
Points forts
L'ambiance horrifique
La contrainte des deux heures
Points faibles
Scénario passable
Pas spécialement difficile