Au delà des articles élogieux et des conseils d’utilisateurs avisés, la découverte d’un bon jeu est parfois l’affaire d’un pur hasard. Par exemple, un achat peu onéreux lors du plus paumé des vides-greniers, un premier essai perplexe et une mise au placard durant quelques mois… Jusqu’au moment où, lors d’une nouvelle tentative plus pointilleuse, la qualité jusqu’alors insoupçonnée du jeu se révèle alors aux yeux du joueur médusé, qui se dit qu’il a finalement bien fait de s’y frotter une seconde fois. Mais pourquoi je parle de cela ? Parce que j’avais besoin d’une introduction un peu pertinente, et aussi parce que c’est exactement ce qui m’est arrivé avec Torico, sur Sega Saturn.
Développé par System Sacom, surtout « connu » chez nous pour ses Yumemi Mystery Mansion et Le Manoir des Âmes perdues, respectivement sur Mega CD et Saturn, Torico est trouvable aux États Unis sous le nom de Lunacy et Gekkamugentan Torico (月花霧幻譚~TORICO~) au Japon. Nous y suivons les péripéties de Fred, un jeune homme amnésique. Enfermé dans une prison au début de son aventure, il fait rapidement la connaissance d’Anthony, son étrange compagnon de cellule. Ce dernier lui souhaite la bienvenue dans la Cité des Brumes, petit village où sévit un maléfique lord dont il fera rapidement la connaissance et qui sommera notre héros de retrouver la mystérieuse Cité de la Lune s’il veut garder la vie sauve. Pourquoi notre héros? On le découvrira bien assez tôt, mais pas parmi ces lignes. Coincé dans ce village fantôme et sans arrêt épié par l’homme de main du lord, sa quête pour retrouver son passé et découvrir son avenir commence donc… Entre les mains du joueur.
A l’instar de D, Torico se présente comme un jeu d’aventure où l’on progresse par la découverte d’objets que l’on trouvera ça et là et dont on se servira aux moments et aux endroits opportuns. Aucune trace de polygones gérés en temps réel, les actions et dialogues sont entièrement simulés par des cinématiques en 3D pré-calculée. Il n’y a en gros qu’à appuyer sur une touche du pavé directionnel pour que le personnage se déplace automatiquement jusqu’au prochain écran fixe, tourne son regard ou examine un élément du décor. Le joueur a également à sa disposition un inventaire lui permettant d’utiliser les objets ou pour tout simplement sauvegarder. De manière générale, le jeu n’est pas vraiment compliqué, le seul obstacle pouvant être un élément du décor ou un dialogue que l’on aurait raté. Ce gameplay, très proche du film interactif, est simple et plutôt passif ne manquera pas de diviser les joueurs : certains s’ennuieront rapidement devant l’attente entre chaque séquence animée et le manque d’action, tandis que d’autres invoqueront un côté contemplatif propice à savourer l’excellente ambiance du jeu.
Difficile en effet de ne pas être happé par l’atmosphère obscure et mélancolique de Torico. Plutôt discret, le scénario évolue tranquillement au gré des dialogues avec les habitants du village qui, asservis et apeurés par le lord, ne se confiront que très rarement, mais aideront tout de même le héros après un petit coup de main, avant de disparaître dans leurs habitations. On ère donc seul dans un village pratiquement désert. Mais ceci est amplement suffisant pour maintenir le joueur en halène et le pousser à en savoir plus. Visuellement parlant, le titre a, comme bon nombre de ses collègues, plutôt mal vieilli. L’animation des personnages est raide, leur modélisation a pris de l’âge et le tout accuse de quelques ratés. Certes, mais System Sacom n’avait pas la puissance de frappe d’un Squaresoft, et la sombre palette de couleurs, l’étrange éclairage des décors à l’architecture biscornue donnent un cachet indéniable.
Malheureusement, on remarquera également la qualité catastrophique des vidéos, qui gâche un peu l’expérience : résolution ridicule, pixelisation à outrance, artefacts de compression… Ceci est peut-être dû au hardware de la Saturn ou à la volonté du développeur ou/et de Sega d’avoir voulu loger le jeu sur deux disques. Mais c’est bien au niveau de la bande originale que les équipes de System Sacom marquent un énorme point : les musiques, composées par Hideo Suzuki, Naoaki Jimbo et Yuji Nomi (Le Royaume des Chats) sont vraiment excellentes et poignantes, de la très belle introduction au très beau dénouement final. C’est d’ailleurs ce qui ressort le plus quand on lit les commentaires de nostalgiques internautes. Un tout qui participe à l’ambiance décalée et magique que dégage le titre. On notera que Torico propose plusieurs fins différentes selon vos actions dans la seconde galette, et que jeu est entièrement doublé en anglais. Un doublage plutôt convaincant mais qu’on se le dise : il n’y a aucun sous-titre, et quelques fois l’équilibrage entre les musiques et les dialogues rend la compréhension parfois difficile.