[dropcaps style=’2′]Il y a 10 ans de cela à peu près, Star Ocean 3 s’est imposé comme mon jeu préféré de tous les temps. Valkyria Chronicles a fait très fort, mais il l’est encore aujourd’hui. Jamais un RPG, même Final Fantasy, ne m’avait happé autant par son gameplay, son histoire, ses personnages, son animation et son incroyable richesse. La période d’exclusivité de Star Ocean The Last Hope sur 360 fut un traumatisme atroce. Six ans après ce (très bon) 4e épisode, c’est un autre type de traumatisme qui m’attendait…
Il n’est pas peu dire que Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness commence doucement. Maître du dojo de kenjutsu, Fidel à la lourde tâche d’organiser la défense du village de Staal, en proie à des brigands. Accompagné de son ami d’enfance Miki et de Victor, un chevalier venu en renfort de la capitale, il va s’atteler à supprimer la menace une bonne fois pour toutes. Dans cette lutte, l’équipe va recueillir une petite fille du nom de Lylia, dotée de pouvoirs surnaturels. C’est là que l’histoire contée par Tri-Ace se bâtit sur du sable, car tout va tourner autour de Lylia, sans qu’à aucun moment le scénario ne viennent justifier l’attachement des autres personnages pour la jeune fille. Bref, la progression des évènements est tout sauf naturelle et ne peut que susciter le scepticisme du joueur.[/dropcaps]
Le fait est qu’en faisant d’un autochtone le héros de ce nouveau Star Ocean, le développeur met l’accent sur la partie un peu terre-à-terre du jeu, largement au détriment à l’aspect space opera, quasiment absent durant les ¾ du jeu. C’est réellement dommage, car les séquences mettant en scène la guerre spatiale et les diverses manœuvres de navigation sont toujours très fortes et prenantes, avec à la clé des cinématiques à la hauteur des enjeux. En plus de délaisser l’espace, Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness néglige ses personnages : le jeu est tellement centré sur Lylia qu’il oublie de construire sérieusement les relations des autres personnages entre eux, et de leur donner un background consistant. Des 6 personnages jouables, seul Emmerson a un vrai charisme et porte à lui tout seul l’ambiance de l’équipe, avec un certain brio d’ailleurs. Dragueur invétéré, il forme avec Anne un duo comique très plaisant en plus d’être un vrai meneur (officieux).
Le RPG de SquareEnix embarque pourtant son lot de private actions, petites scènes entre 2 ou 3 personnages censées étoffer la cohésion du groupe. Bon initiative sur le principe, mais on tombe là sur la grosse erreur de mise en scène faite par Tri-Ace : la majorité des séquences de scénario sont basées sur une caméra unique centrée sur Fidel. Le joueur peut la déplacer à sa guise, mais ce n’est quand même pas à lui de faire le travail de mise en scène du jeu! Cela résulte en une narration sans vie, présentée banalement… Bref, une absence du mise en scène sur une très grande partie du jeu. Il est amusant de constater que les antagonistes ressortent assez de l’expérience générale du jeu. En effet, les «méchants» de Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness apparaissent dans des séquences bien amenées et font l’objet des combats les plus intenses.
Visuellement, nous avons avec Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness un réel premier goût de JRPG nouvelle génération. La modélisation, mais encore plus les textures extrêmement fines, marquent une étape technique dans le genre. Malgré une nature plutôt quelconque, se promener avec son groupe de 7 personnages procure des sensations assez grisantes. Les personnages et les ennemis ne sont pas en reste, ce qui donne des affrontements de toute beauté, encore sublimé par les sorts toujours plus colorés et… gigantesques! Certaines magies remplissent carrément l’écran dans des effets pyrotechniques assez fabuleux. Mais le premier prix de beauté reste certainement à décerner aux villes de ce nouvel épisode, dont l’architecture et la richesse graphique sont sans commune mesure avec ce qui s’est fait jusqu’alors. La découverte de ces quelques centres urbains coupe littéralement le souffle.
Si la forme est très bonne, c’est le fond qui va faire défaut au RPG de SquareEnix. Car une fois l’émerveillement de la découverte passé, on s’aperçoit en réalité que le monde de Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness est loin d’être étendu. Les villes sont une manifestation particulièrement aïgue de ce symdrome : très belles comme on l’a vu, elles sont malheureusement toutes petites! Les capitales de cet épisode PS4 ont moins de superficie ou de richesse que Star Ocean 3 sur… PS2! L’histoire principale se boucle en trente heures, en ayant pris son temps pour compléter un grand nombre de quêtes annexes. On cherche encore le caractère divertissant de ces dernières, tristement listées sur panneau d’affichage, et qui consistent tour à tour à livrer divers objets au dit panneau, abattre quelques ennemis souvent situés à l’entrée de la ville (pratique, me direz-vous) ou encore à sauver un nombre incalculable de fois le dojo de Fidel… Que faire en dehors de ça? Deux donjons annexes : une Cathédrale des combats, apparaissant aléatoirement dans les environnements du jeu, et le traditionnel labyrinthe d’après-jeu, rythmé par l’habituelle Mission to the Deep Space. Dépourvu d’une carte pour se repérer et inabordable en dessous du niveau 100, celui-ci allongera significativement la durée de vie pour les plus persévérants. D’autres costumes n’auraient pas été de trop, surtout que certains personnages en disposent manifestement, mais Tri-Ace n’a pas eu la générosité de les inclure.
Autre énorme déception, la création d’objets est d’une tristesse sans nom. L’interface est froide, impersonnelle, et de misérables artworks ont remplacé la visualisation des inventions en 3D. Profitons-en pour signaler que bien que le look des armes soit différents dans les menus, c’est toujours la même que l’on verra pendant les combats : manque de temps ou d’efforts, encore fois quelque chose est passé à la trappe. Pas plus d’animation de pêche ou de cueillette, alors qu’aujourd’hui même les RPGs les plus modestes en ont. Plus d’inventeurs à trouver à trouver ici et là, même plus les petites mimiques des personnages au moment de la création… le mini-jeu culte de Star Ocean 3 nous manque cruellement. Ici, on consomme rapidement ses ingrédients pour créer les objets à livrer au panneau de quêtes, rien de plus… On apprécie en revanche la volonté de rendre le tout un plus vivant grâce à une Welch au design bien meilleur que dans Star Ocean 4, mais aussi beaucoup plus présente dans le jeu. Chaque accession à un nouveau type de synthèse fera l’objet d’une mini-quête initiée par la jeune fille, dont l’exubérance et le sans-gêne sont assez cocasses : tyrannique et égocentrique, elle nomme les membres de l’équipe ses «disciples» et n’hésite pas à les exploiter sans ménagement. C’est certainement l’un des rares aspects où ce dernier épisode se démarque en bien par rapport aux anciens.
Pour les combats, Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness profite pleinement de l’expérience des précédents ainsi que du progrès technique, sans toutefois éviter quelques écarts. Fait majeur pour le genre, vous avez toujours tous vos personnages avec vous. Pas de 1ere et de 2e ligne, pas de relais, pas de choix draconien à faire au moment de constituer l’équipe : tout le monde est là, tout le temps, dans tous les combats, et le changement de personnage est simple et rapide. Vous pouvez tout aussi aisément choisir qui va déclencher sa Rush Attack (ce ne doit pas forcément être celui que vous contrôlez), technique ultime de chaque personnage, dont les dégâts frisent les 99’999 à haut niveau. Il faudra pour cela consommer la jauge de Rush, qui a mesure qu’elle se remplit procure des bonus d’expérience et de Fol (la monnaie des Star Ocean). Petit plus agréable par rapport à Star Ocean 3 : la jauge ne vole pas en éclats à la première erreur, elle ne se videra que petit à petit si vous êtes trop souvent KO ou si votre garde est brisée. Cette flexibilité supplémentaire rend la progression beaucoup plus cool.
La garde justement. Celle-ci est fixée sur carrée, avec la possibilité d’une double pression sur cette même touche pour lancer un contre sur une attaque faible de l’ennemi. Comme par le passé, il faudra bien observer si celui-ci prépare une attaque faible ou forte (qui brise la garde) et opter en une fraction de seconde pour le contre ou l’esquive. Un système qui a fait ses preuves, mais qui rencontre ici un problème non négligeable : sept personnages agissent en même temps à grand renforts d’effets spéciaux. Disons le tout net, la lisibilité des combats est plutôt mauvaise et perturbera la réactivité du joueur.
En enchaînant les attaques et techniques offensives, vous validerez, comme toujours dans la série, des cancel bonus faisant progressivement grimper leur puissance de 125 à 200%. Une option à maîtriser, car faire durer les combats est rarement une bonne solution. En effet, la difficulté augmente par paliers pour atteindre des niveaux quasi-insoutenables dans le dernier tiers du jeu, qui oblige à quelques missions de défense particulièrement ardues et autres marathons de combats monstrueux où l’adresse et le sang-froid du joueur sera mis à rude épreuve. Certaines techniques adverses au rayon d’action effrayant peuvent balayer plusieurs personnages en une fraction de seconde, d’autres les achèvent à terre… C’est vraiment impitoyable, d’autant que l’IA commence à montrer des signes de faiblesse : jouer Fiore ou Miki aide beaucoup, histoire d’avoir la main sur le soin. On transpire, on a envie de jeter le dual shock dans la TV, mais c’est proportionnellement tout aussi jouissif quand vient le moment de la victoire.
Alors que l’on commençait à avoir peur que Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness se borne à refaire du neuf avec du vieux, voilà qu’il propose un tout nouveau système de rôles. Le rôle de ce jeu désigne un titre qui va conférer des avantages tactiques au personnage qui l’équipe. Par exemple, HP boost augmente les points de vie, Sniper favorise les attaques à distance, Assassin permet d’être moins souvent attaqué, etc… Vous pouvez faire monter ces rôles de niveau en utilisant des Skill Points, ce qui en débloquera d’autres de plus en plus sophistiqués. Ce n’est pas le seul moyen de les obtenir, puisque certains seront reçus en récompense de quêtes annexes ou de private actions. Mais l’intérêt majeur du système est de combiner tous ces rôles, puisque chaque personnage peut s’en octroyer quatre. On peut par exemple démultiplier la puissance de la magie tout en limitant l’accroissement du coût en MP, renforcer l’efficacité de la garde ou des soins, cibler une catégorie d’ennemi en particulier avec les rôles -killer… Bref, les possibilités sont nombreuses et il est très intéressant de parfaire les combinaisons.
Malgré cette nouveauté attractive, on ne saurait nier que l’ombre de Star Ocean 3 plane sur ce dernier épisode. Tri-Ace avait très tôt annoncé qu’il reviendrait à une approche semblable à celle du hit PS2, et ça se ressent… trop! Quasiment tous les monstres sont des copiés-collé de ceux d’il y a dix ans. Même certains boss et certaines techniques offensives reviennent tels quels! Le personnage de Del Sur (prononcez à l’espagnole) est d’ailleurs à l’évidence un successeur spirituel du cultissime Albel Nox. Le schéma scénaristique est lui aussi largement inspiré du 3e épisode, avec la guerre au sol et le conflit spatial en arrière-plan, mais il ne peut l’égaler car il est trop court et mal mis en scène. Le jeu ira même jusqu’à jouer les musiques de Star Ocean 3 aux moments-clé… Choix qui peut laisser interdit, mais il ne prend que les meilleures : Airyglyph Castle, The Desolate Smell of Earth, The Divine Spirit of Language, sans oublier tout de même d’apporter sa pierre à l’édifice musical, comme avec par exemple l’excellent thème du vaisseau, le fier Charles de Gaulle (hé oui). On a néanmoins des fois l’impression de jouer à une sorte de jeu-hommage à Star Ocean 3 plutôt qu’à un nouvel épisode. Star Ocean 5 Integrity and Faithlessness, de manière assez regrettable, n’arrive tout simplement pas à être lui-même et à se forger une identité jusqu’au bout.