Mars War Logs n’était qu’un brouillon, nous le savions. L’univers imaginé par Jehanne Rousseau et ses équipes étant si dense, si inspirant – jusqu’au nom du studio, pour rappel – que les équipes du studio parisien ne pouvaient pas en rester là. Fort du succès de Bound by Flame, notamment sur Playstation 4, et devant le bon accueil global des dernières productions Spiders, Focus a consenti à financer ce projet de coeur. L’histoire de Technomancer pouvait désormais pouvoir s’écrire.
Plus ambitieux, The Technomancer l’est incontestablement, rien que dans sa technique. Bound by Flame était un développement PS3/360 porté sur Playstation 4 : The Technomancer est donc le premier titre créé spécifiquement pour les derniers supports, PC compris évidemment. Dès les premiers pas, Mars paraît plus vaste, plus complexe. Si l’on excepte les quelques décors extérieurs un peu moins réussis, les villes disposent de leur propre identité et foisonnent de détails que ne renieraient pas une oeuvre de Science-Fiction. Le Silk Engine souffre des mêmes tares que celui d’Epic, l’Unreal Engine, et certaines textures peuvent être particulièrement longues à charger à l’arrivée dans un lieu. Rien de dramatique mais attendre des environnements nets pendant une ou deux secondes peut frustrer. Zachary, nouveau personnage principal – nous y reviendrons – et toute sa petite clique constituée au fil de la progression, représentent les personnages les plus détaillés de l’aventure, d’autant que leur look varie en fonction des équipements.
Spiders, utilisant ses précédents mécanismes de jeu, a maintenu la customisation poussée des protagonistes : il est donc possible de placer des pièces d’équipement de la tête aux pieds en passant par le torse et les jambes. Et comme souvent, les plus beaux apparats ne sont pas nécessairement les plus utiles et résistants. De même, chacun peut disposer de plusieurs armes, dont la différence est visible sur le terrain. Les heures passant, les membres de votre équipe ne ressembleront que de loin à ceux que vous avez initialement enrôlés – vu leurs tronches un peu génériques, ce n’est finalement pas plus mal. Chacun a tout de même ses spécialités et il sera impossible de changer, sauf pour Zachary. Héros de l’histoire, il dispose de trois postures de combat, bâton/bouclier (défense ++), dague/pistolet (distance ++) ou long bâton (attaque ++). Bien pensées, elles demandent des réflexes et une approche radicalement différents ; malheureusement, le jeu ne poussant jamais à en privilégier une plutôt qu’une autre, le joueur futé remarquera que progresser en Gardien, à savoir bâton/bouclier, permet de faire chuter la difficulté.
Même en difficulté intermédiaire, le jeu ne se laisse pourtant pas facilement dompter, le moindre ennemi étant un sac à PV et dont le moindre coup réussi peut ouvrir une faille amenant un bien injuste lynchage que le système ne semble pas empêcher. Jouer à The Technomancer apprend à perdre pour un défaut d’IA. Même chose si l’on compte un peu trop sur ses partenaires – au nombre de deux au maximum – qui ne servent jusqu’à la toute fin qu’à distraire les ennemis le temps que vous tabassiez tout le monde. Fait encore plus visible lors des combats de boss, aux frappes si puissantes que la clé du succès est d’expédier l’affrontement. Pour mieux vous préparer, les équipes de Spiders ont décidé d’améliorer le système de crafting, déjà présent dans Bound by Flame : à chaque équipement ou arme, il est possible d’attacher plusieurs améliorations, dont l’apport est loin d’être négligeable. Rares sont les équipements tout prêts dans la nature, les ennemis et les coffres ne laissent en général que quelques ustensiles et le sérum nécessaire à d’éventuels achats. The Technomancer a en effet tout du grand puisqu’il affiche également non pas un mes trois arbres de compétences, permettant d’améliorer de manière significative les compétences physiques, combattives et magiques. Magiques ?
Des précisions sur le contexte sont indispensables : l’humanité a colonisé Mars. Les colons ont toutefois perdu tout contact avec la Terre. Malgré de nombreux essais, impossible de restaurer les communications : il leur a donc fallu créer cette nouvelle civilisation martienne, avec toutes les conflits d’intérêt que cela suggère. Nous incarnons donc Zachary Mancer, un Technomant – notez le jeu de mot du titre – la dernière recrue. Les Technomant constituent une caste de puissants guerriers-mages, capables de manier l’électricité. Dans le cadre de son rite d’initiation, l’aspirant Zach est amené à visiter un ancien dôme, vestige des débuts de la colonisation, renfermant un lourd secret sur l’origine du pouvoir des Technomant. Ce secret mais également la lutte des pouvoirs sur Mars sont le point de départ à la grande aventure Technomancer, nous amenant à découvrir des environnements aussi bien désertiques que glacés. Un imposant travail semble avoir été effectué sur la mise en scène des paysages, laissant imaginer un passé chargé en événements. La colonisation de la planète et son mystérieux passé recèlent pléthore de secrets que le jeu n’hésite pas à nous laisser entrevoir.
Les scénaristes ont été généreux en termes de PNJ et de crises à désamorcer. Pour en profiter, il est nécessaire de parcourir un maximum de quêtes annexes, d’autant qu’elles ont une influence sur certains événements et sur le récit post-ending. Extrêmement nombreuses, celles-ci représentent aisément la moitié du temps de jeu. Presque chaque PNJ et vendeur vous demandera de l’aide. Les joueurs de Mars ne seront donc pas dépaysés, d’autant que quelques clins d’oeil leur permettront de situer précisément l’histoire de Technomancer, si ce n’est que les intempestifs allers-retours prennent ici une tout autre ampleur en raison de ce monde plus étendu. Il est donc fréquent que vous deviez arpenter de nombreuses fois certains lieux au nom de différents PNJ, les ennemis présents réapparaissant à chaque passage. Votre pire cauchemar devient alors rapidement les retours à l’Echange, demandant de ré-affronter moult ennemis en sous-sols avant d’atteindre les niveaux civilisés eux aussi amplis d’adversaires tous plus résistants les uns que les autres. Une purge, qui pousse très vite à mutualiser les quêtes pour diminuer le nombre de trajets.
Bien que Spiders améliore sa formule à chaque itération, le studio n’arrive toujours pas à conjuguer ses moyens avec ses ambitions. Passons sur l’aspect réalisation, bien meilleure mais loin des cadors du secteur et le studio, nous le savons, a difficilement les moyens de titiller les Bethesda et autres CD Projekt. En revanche, la fresque qu’il tente de dépeindre requiert tellement d’efforts que le reste en pâtit énormément. Cut-scenes très raides, transitions mal gérées, animations pas toujours très raccords, le nombre de déboires démontre un manque clair de temps pour peaufiner tout cela, et, Jehanne Rousseau nous le disait aux dernières Utopiales, un moteur obsolète, modernisé selon ses dires pour la prochaine production, GreedFall. Espérons. Même chose du point de vue sonore. Olivier Derivière a réalisé un travail colossal, signant une bande son en parfait accord avec l’ambiance rouge, difficile et poudreuse du jeu ; son travail est malheureusement gâché par ces mêmes transitions peu heureuses et un doublage fait au réveil – en anglais – qui fait perdre de l’impact à bien des cutscenes.
Et que dire de la fin du jeu expédiée au point que l’on en vient à se demander si nos choix n’ont pas débouché sur la bad ending. Après enquête, non : toutes les fins du jeu sont bien du même acabit. Après autant d’investissement dans les quêtes annexes et les différents mécanismes, il y a de quoi rester sur sa faim.
Ambitieux, The Technomancer l’est indubitablement, et il serait idiot de lui reprocher. En revanche, il est plus opportun de lui rappeler qu’il serait préférable de peaufiner une aventure plus courte, mieux rythmée et plus fluide plutôt que de vouloir tout faire de manière maladroite. Spiders a su développer chez les joueurs un sentiment de bienveillance, qui perdure, créant presque une marque de fabrique mais qui pourrait lasser. The Technomancer a en effet pour lui un background original qui se laisse découvrir pendant la trentaine d’heures de jeu mais sur lequel il est difficile de vouloir revenir.