Je pourrais débuter cette critique de Wild Arms 5 comme tant d’autres l’ont fait à l’époque de sa sortie : en vous disant que pour le dixième anniversaire de cette saga considérée (à tort ?) comme mineure, Media.Vision avait décidé de marquer le coup à grands coups de fan-service bien senti. Certes, ça n’est pas faux. C’est en revanche peut-être juste un peu réducteur tant Wild Arms 5 semble également chercher à faire la synthèse de l’identité de la série. On est donc ici entre classicisme absolu et message écolo pour le scénario, et entre western et science-fiction foutraque pour l’univers. Et comme la qualité des précédents opus de la série oscillait assez régulièrement entre le tout juste sympathique et le très bon, on peut légitimement se demander où se situe ce cinquième épisode.
Terrible Monster Attacking Crew!
Ce n’est pourtant pas dans l’originalité de son propos qu’il faudra chercher l’intérêt du jeu. Notre jeune héros Dean Stark a les cheveux bleus et rêve de partir chercher des pièces détachées de Golems (lisez : méchas) comme son modèle Nightburn. Le cas typique du héros adolescent en manque de repère masculin, en somme… Son amie d’enfance, la rousse Rebecca Streisand, en pince pour lui secrètement et reste aux côtés de notre grand dadais pour le protéger en attendant qu’il atteigne l’illumination et lui demande enfin le mariage… Et la charmante et éthérée Avril Vent Fleur surgit de nulle part dans la main d’un Golem, pile devant nos deux héros en devenir. Ces derniers exploraient bien sûr les montagnes attenantes au village natal. Vous savez, celles où les monstres sont niveau 1 et où il est fortement déconseillé d’entrer ? Si on précise qu’Avril se réveille amnésique, se sentant juste un lien inexplicable avec Dean et se souvenant du seul nom Johnny Appleseed – qui servira de seul prétexte à une grosse moitié de notre loooong périple – on en conclut que l’euthanasie du scénariste est la seule issue possible pour éviter le déshonneur…
Et on ne saurait pourtant avoir plus tort ! Sur une base des plus éculées, un scénario pas si stupide dans son message écolo-naïf se profile, vecteur sur le long terme de quelques bonnes trouvailles. Ce dernier à pour lui deux grands atouts. Tout d’abord, sa narration est vive. Au beau milieu d’un énième donjon de transition, il n’est pas rare de voir ce succéder trois scènes cinématiques obscures posant plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, mais relançant l’intérêt d’un joueur sans cesse sollicité. Voilà qui nous change un peu de ces donjons pénibles à cause de leur longueur et rythmés seulement par la succession des combats aléatoires. De plus, le scénario est mis en relief par des personnages vivants. Dean est divertissant de débilité, Avril dégage vraiment une aura de mystère et de noblesse et Rebecca se révèle attachante dans sa relation triangulaire avec ses deux camarades. On a affaire à du stéréotype, certes, mais à du stéréotype de qualité. Qui plus est, les scénaristes jouent parfois avec les clichés de personnages pour les prendre à revers de fort plaisante manière. Nightburn est à ce titre un exemple de modèle pour la jeunesse très particulier.
D’un point de vue esthétique, Wild Arms 5 s’en tire plutôt pas mal, même près de deux générations de console après sa sortie. Le chara-design d’origine est plaisant et coloré, même si les proportions des personnages sont parfois étranges, entre membres hypertrophiés et physiques de culturistes. Toutefois, les modèles 3D des personnages subliment le design in-game. On n’atteint bien sûr pas la finesse d’un Final Fantasy XII, mais le résultat est très agréable à l’œil. Qui plus est, chaque personnage dispose de ses propres mimiques qui le rendent unique et vivant : l’enthousiasme de Dean et l’élégance d’Avril sont ainsi parfaitement retranscrites par leurs mouvements.
Les décors des donjons et des villes, s’ils se distinguent moins, sont quant à eux assez fins pour un jeu de milieu de gamme sorti sur une PS2 en fin de vie. Bon, ils ne rendront pas la vue à un aveugle ou pire, à un technophile fanatique qui compte compulsivement pixels ou FPS. Et malgré ce rendu très honnête pour un jeu de son âge et de son budget, on peut déplorer une grande similitude dans le design de la plupart des donjons. Le joueur aura notamment l’occasion plusieurs fois au cours du jeu de parcourir des tunnels qui se ressemblent étrangement. L’un dans l’autre, le travail est honnête et le jeu nous propose certains lieux marquants.
Enfin, la carte du monde constitue un rappel agréable aux racines du genre. En effet, Wild Arms 5 renoue avec cette tradition séculaire du RPG, malheureusement tombée en désuétude avec l‘ère PS2. Et il s’agit là d’une carte de qualité à la réalisation correcte – malgré certaines textures bavouilleuses – et où les secrets à dénicher sont nombreux. Rocs à faire sauter pour avoir accès à de nouvelles zones, boss optionnels en pagaille, arbres où l’on fait sa collecte d’objets de soins, téléporteurs secrets… La chasse aux secrets est ouverte ! Et que les réfractaires au radar des précédents épisodes se rassurent : les villages et donjons sont visibles sur la carte, on ne fouille désormais les étendues au peigne fin que pour trouver des coffres cachés et les Millenium Puzzles. Une tâche si colossale pourrait paraître fastidieuse à pied, mais les concepteurs ont pensé à nous en mettant à notre disposition certains moyens de transport comme le train pour passer d’un quart de la carte à un autre, le Monowheel qui permet d’engloutir les kilomètres en vitesse en épargnant en outre à nos avatars la peine de combattre, et enfin un Golem qui permet d’accéder à n’importe quel coin de la carte au prix d’une lourdeur de déplacement plus qu’agaçante. Les visites de donjons tirent quant à elles profit de différents types de balle débloqués au fil du jeu que Dean peut utiliser pour résoudre des énigmes et accéder à de nouveaux passages.
Au registre des combats, Wild Arms 5 reprend le système d’HEXs du précédent opus à quelques modifications près. En substance, le champ de bataille est divisé en hexagones (ou HEX) dans lesquels sont répartis alliés et ennemis. Toutes les actions, des attaques aux soins en passant par les altérations d’état, ciblent les HEXs et non les protagonistes. Donc, attaquer un HEX où se massent les ennemis est une bonne idée. Et se regrouper sur le même HEX avant de lancer un sort de soin est également une bonne idée.
Allié à quelques skills comme la téléportation ou le blocage d’HEX (qui interdit à tous les alliés ou les ennemis d’entrer ou de sortir de la zone verrouillée), ce système permet d’élaborer quelques stratégies bien sympathiques. Les mouvements des personnages sur l’aire de combat constituent donc une dimension vitale du gameplay. Ajout plaisant par rapport à Wild Arms 4, les personnages peuvent bouger d’un HEX et agir dans le même tour, ce qui donne aux combats une fluidité et un dynamisme punchy bien plaisants.
Les combats surviennent aléatoirement et leur difficulté globale est des plus abordables. Chaque personnage a de plus accès à tout un ensemble de skills personnels, de skills hérités du médium équipé (un objet contenant l’équivalent d’une classe de personnage : mage, guerrier, tank…), d’effets apportés par des badges eux aussi équipés… Les possibilités de personnalisation sont multiples et variées. Qui plus est, plusieurs personnages placés sur le même HEX peuvent déclencher d’impressionnantes et dévastatrices attaques groupées si certaines conditions sont réunies.
Nombre de quêtes annexes apportent leur contribution à une durée de vie déjà plus que respectable. Des personnages issus des précédents opus de la série sont cachés dans Filgaia – dixième anniversaire de la saga oblige – et donnent aux personnages quelques quêtes basiques qui permettent d’accéder à des armes uniques et des costumes alternatifs, clins d’œil des plus sympathiques. Le Black Market propose à vos persos d’échanger des niveaux contre des objets vraiment rares. Les plus courageux auront également accès à pas moins de quatre donjons optionnels. Et surtout, dans la tradition de la série, le jeu est rempli de boss cachés : comptez-en une bonne vingtaine. Bref, les joueurs qui voudront boucler le jeu de fond en comble devraient prévoir d’y passer une bonne centaine d’heures (voire plus). On regrettera juste que les quêtes soient bien moins variées que dans les précédents opus, Wild Arms 3 et Wild Arms Alter Code F en tête : ici, les boss optionnels occupent le premier plan.
Last but not least, l’aspect musical de Wild Arms 5 est de tout premier ordre. Cette fois, Michiko Naruke, la compositrice historique de la série, est restée en retrait pour des raisons de santé. C’est donc le duo constitué par Masato Kouda – déjà présent sur Wild Arms 4 aux côtés de Naruke – et Noriyasu Agematsu qui prend la relève. Et vraiment, cette dernière est assurée avec talent et panache. L’OST de Wild Arms 5 est très réussie et ce, même si elle s’éloigne un peu des inspirations westerno-morriconiennes habituelles de la série. Kouda et Agematsu expérimentent en effet dans de nombreux autres styles et contribuent à apporter aux thèmes du jeu une indéniable variété. Les morceaux oscillent entre le rock, parfois dur (le thème de Kartikeya), le jazz (celui de Nightburn), voire l’électro (celui de Persephone)…
On a du mal à imaginer que tant de genres différents trouvent leur place dans le jeu et pourtant chaque piste est utilisée à bon escient et jamais ce foisonnement stylistique ne paraît insolite ou déplacé. En un mot comme en cent, il s’agissait sans doute là d’une des meilleures OST de 2007, six CDs remplis de musiques qui excellent tant dans l’action que dans l’émotion ou dans les pistes d’ambiance.
Wild Arms 5 est donc un RPG d’excellente tenue, et peut-être même le meilleur épisode de sa série d’origine. La chose n’est pas étonnante quand on sait que la PS2 a été un havre qui a permis à une certaine gamme de RPG japonais de briller, comme ont pu en témoigner les Shadow Hearts ou les Shin Megami Tensei. Sans vraiment avoir l’étoffe de ces illustres exemples, le dernier des Wild Arms témoigne d’un âge d’or du jeu japonais sur consoles de salon que la génération PS360 nous a un peu fait oublier et constitue une madeleine de Proust au bon goût de nostalgie.
A noter tout de même que la version disponible dans notre beau pays propose une traduction française qui prend ses libertés autant avec le sens du scénario qu’avec les règles les plus basiques de l’orthographe. La version anglaise plus fidèle au déroulement originel du jeu et également présente sur la galette sortie en Europe est à privilégier.