Peu de choses dans la vie peuvent se vanter de procurer un sentiment de soulagement. L’impression d’avoir passé un obstacle à la limite de l’insurmontable, pour se retrouver à nager dans un long fleuve tranquille, avec pour seule difficulté, celle de se laisser porter. Ce sentiment est transposable, sans aucun problème, à la trilogie Xenosaga. Car elle possède ce que peu de séries ont réellement réussi à créer. Le monticule de cadavres à passer pour apercevoir une vallée verdoyante, le film Titanic lors d’une soirée romantique… Merci, Monolith Soft, d’avoir su rendre le début de Xenosaga 3 libérateur, un plaisir comparable à la découverte d’un oasis dans le désert. Merci d’avoir créé cette sacrée purge qu’est Xenosaga 2.
Pour mieux retranscrire l’impression salvatrice que j’évoque dans l’introduction, votre humble serviteur va tout d’abord bien se défouler. En crachant son venin et en enchaînant ce qui fait de Xenosaga 2 une purge AOC. Vous aurez peut-être droit à une dose d’espoir à la fin, si vous êtes gentils.
Il n’y a sincèrement pas besoin de dépasser les cinq heures de jeu pour se rendre compte des ingrédients entrant dans la composition d’un lit à clous vidéoludique. Le premier point, qui va sonner très subjectif, est le chara-design. Oui c’est sûr, les yeux du premier, prenant parfois plus de la moitié du visage, n’étaient pas forcément du meilleur goût. Mais là, on se retrouve avec un style sans aucune personnalité, pas forcément plus réussi qu’un jeu indépendant où José, dessinateur (raté) à ses heures perdues, s’est fait engager pour trois euros de l’heure. Certains personnages sont simplement quelconques (Shion et MOMO), tandis que d’autres sont tout vraiment ratés, comme Junior avec son visage ne ressemblant à rien de connu, et KOS-MOS avec ses cheveux option « décoration de Noël ». Ah c’est quand même pratique les androïdes, ça te refait une décoration hivernale et ça consomme rien. Dommage, elle aussi, elle a une sale gueule. C’est d’autant plus dommage que certains personnages semblent avoir été épargnés par le ravalement de façade, à la mode chirurgien esthétique nigérian, des personnages semi-secondaires restant tout à fait corrects et n’ayant pas changé d’un iota par rapport au premier épisode. Du coup, dès le début, ça coince un peu. Sans oublier que l’absence de Mitsuda et de ses compositions grandiloquentes, qui faisaient une belle partie du sel du premier épisode, se ressent : les bonnes pistes de Kajiura font maintenant exception dans une bande-son peu mémorable.
Et y a pas que ça qui va faire grincer des dents. Car très rapidement, on va avoir ce goût un peu dérangeant dans la bouche, surtout après avoir connu le rythme du premier épisode. Ce sentiment que, quand même, ça fait un peu filler comme épisode. A sa décharge, si cela s’arrange par la suite, le jeu commence presque directement par une grosse scène d’action, assez longue, et dont l’utilité semble tellement inexistante que personne ne la mentionnera jamais plus. Etant donné que ça ne sera pas la seule fois dans ce jeu, et que celui-ci est plutôt court comparé à ses deux frangins, la pilule passe assez mal. Et elle coince encore plus l’œsophage quand le but premier de cette saga est de faire vivre un véritable scénario interactif. En regardant la série dans son ensemble, et les difficultés que Monolith Soft a eu pour réussir à conclure cette gigantesque histoire de la meilleure façon possible, le mot « impardonnable » n’est pas loin.
« Impardonnable », transition toute trouvée pour parler du système de combat. Les développeurs devraient recevoir dix mille fourches en enfer pour avoir créé le mètre-étalon des systèmes de combat merdiques. Car croyez-moi, vous allez en avoir des envies de meurtre. Pourquoi ? Vous allez comprendre. Tous les combats de Xenosaga 2 reposent sur les combos. Des attaques simples balancées à la suite ne viendront même pas à bout de petits ennemis, et ce très tôt dans le jeu. Car (attention, première salve de tridents infernaux), pour battre un ennemi, il va falloir le mettre en état de « Break », brisant ainsi sa défense et permettant de lui infliger des dégâts significatifs. Comment le faire ? En passant un ou plusieurs tours, avec chaque personnage, pour envoyer quelques minutes plus tard un combo amenant au « Break » d’un monstre. Dans le fond, ça n’a pas l’air si dégueulasse que ça, on pourrait survivre. Mais (deuxième fournée de fourches dans le fondement), même pour des rencontres aléatoires, vous ne pourrez pas « breaker » un monstre en un tour. Même pas en deux ou trois. Tenez-vous bien : pour tuer un seul adversaire d’un groupe, il faudra passer, au grand minimum, trois tours afin de « stocker » les attaques, tout en vous faisant démonter la tête, sans broncher, par les ennemis. Et parfois, vers la fin du jeu, vous ne tuerez même pas un monstre en un seul cycle de Break. Vous devez vous dire, « Mais il ne faut quand même pas plus d’une dizaine de tours pour tuer quelqu’un ? » Vous êtes mignons.
Et parfois, il n’y a aucune logique. Les combats de Xenosaga 2 sont typiquement du genre de ceux où prier dès leur début ne semble pas inutile. Pour vous donner une idée, le premier boss du jeu m’a tué lamentablement au premier essai. La deuxième fois, il s’est fait rétamer, alors que ma tactique n’avait pas changé. Et croyez-moi, ce n’est rien comparé au reste. De simples rencontres vont vous faire suer encore plus que certains boss, par leur difficulté complètement aléatoire, et surtout par leur longueur (comptez sans problème vingt-cinq minutes pour certaines rencontres normales dans le donjon final). De quoi avoir envie de se tailler les veines jusqu’à l’os quand un magnifique Game Over vous accueillera sur le dernier ennemi d’une carte, après avoir passé trente minutes à buter les deux premiers groupes présents sur celle-ci. Alors que dans certains jeux, la fin d’une longue séance de cinématiques et de dialogues laisse passer un « amen », là c’est l’inverse. Vous pleurerez des larmes de sang quand la narration s’arrêtera pour vous balancer dans un donjon. Car, ne vous inquiétez pas, vous allez en chier, tout le temps.
Voilà, c’est fait, votre auteur s’est vidé les glandes. Si vous décidiez d’arrêter la lecture maintenant, ce qui en ressort est que le jeu est un solide étron. Et à vrai dire, c’en est un. Pour aller encore plus loin, une merde bénite sauvée des eaux par une histoire et des personnages. Pas la peine de se mentir : Xenosaga, personne n’y touchera et n’en aura jamais entendu parler pour son gameplay, pas même le 3 qui se débarrasse du qualificatif de « purge ». Après tout, cette saga du J-RPG n’a que pour but de vous faire vivre les histoires de KOS-MOS et de sa créatrice Shion, à travers un gameplay. La transcendance d’un jeu par son scénario et le développement de celui-ci n’auront jamais été aussi forts que dans le cas de Xenosaga 2. Il faut être clair : sans la narration, ce jeu, vous n’y toucheriez pas 5 heures.
Et pour être sincère, même sur ce point, on n’est pas vraiment rassuré au début. Alors que le premier épisode enchaînait, ce dès le début et jusqu’à la fin, les moments-clés et les révélations, le deuxième épisode prend bien son temps pour se lancer. Les premières heures puent le filler, un vrai comble quand on pense que la série n’a pas pu inclure, au final, toutes ses idées. De l’action inutile tout droit sortie d’un shônen à six-cents chapitres, des discussions longues dont on ne retiendra rien… Il faut être fort, il faut tenir, parce qu’après environ quatre à cinq heures de jeu, on retrouve la frénésie scénaristique de son grand-frère. L’histoire avance enfin, les personnages se remettent en valeur, les moments mémorables s’enchaînent… Si votre auteur peut se permettre de la bonne vilaine subjectivité, la fin de cet épisode peut se placer sans problème parmi les meilleures du RPG japonais. Et oui, les éléments communs à la série font encore mouche. Les analogies à la religion, les réflexions philosophiques, la narration théâtrale, tout vous est balancé à la gueule pour finir dans un maelström sentimental dans les toutes dernières heures. Mais, vous m’excusez, néophytes à la série et à ce deuxième épisode, parce que je vais rigoler à votre souffrance avant d’y arriver.
Par contre, dites-vous que vous n’êtes pas les seuls à avoir souffert. Car on sent que le développement du jeu s’en est pris plein la face aussi. Les gros défauts dont je parlais dans la première moitié de cette critique partent tous de bonnes idées. Avec un peu plus de temps et de réflexion, le système de combat aurait pu être excellent. On a l’impression qu’avec cet épisode, Monolith s’est rendu compte de l’absurdité de son projet pharaonique, et de son rythme « un jeu par an ». Et Xenosaga 2, en plus d’être le plus mauvais épisode de la trilogie, est le symbole de l’ambition démesurée de ses créateurs. Il est, bien malgré lui, l’un des meilleurs représentants de ces jeux qui auraient pu devenir immenses, mais au final ne sont que des jeux moyens.
Il faudra jouer à Xenosaga 2 lorsque vous entamerez cette grande trilogie du jeu vidéo. Certes, vous allez en chier, les manettes vont voler, et vous allez parfois vous ennuyer. Mais vous assisterez aussi à de grands moments, comme les évolutions des personnages et cette fin gigantesque. Et en-dehors de son importance capitale dans le scénario, il représente, malheureusement, ce qu’aurait pu être Xenosaga avec plus de temps et de moyens. Alors que son petit frère, l’enfant prodigue, sera un vrai miracle, Xenosaga 2 n’est au final qu’un épisode sacrifié.