Il y a des jeux qui marquent. Quitte à saborder tout effet de surprise, Xenosaga 3 en fait partie. Si j’osais, je dirais que c’est un monument. Pas seulement du RPG japonais, mais du jeu vidéo dans son ensemble. Le jeu a sa réputation bien sûr, héritée du style inimitable de son géniteur, Tetsuya Takahashi, déjà père du mythique Xenogears. La conclusion de la Xenosaga est-elle difficilement accessible ? Assurément. Bavarde ? C’est certain. Prétentieuse ? Peut-être bien un peu. Mais outre ces caricatures réductrices, n’a-t-on pas affaire à l’apothéose de la plus ambitieuse des épopées vidéoludiques, accompagnée d’un quasi-miracle quand on prend en compte toutes les errances qui ont présidé à son développement ? C’est mon opinion.
Xenosaga 3 étant avant tout une conclusion, résumer le début du jeu paraît une initiative un peu vaine. Ceux qui lanceront le jeu sauront très vraisemblablement ce dans quoi ils se lancent et à quoi ils doivent s’attendre, une grande part de l’intérêt et de la richesse de l’expérience Xenosaga venant de son côté… eh bien saga, justement. Le premier élément qui pose les bases de la narration de ce troisième épisode est certainement son introduction in medias res qui nous fait rapidement comprendre que pas mal de choses se sont passées depuis la fin de l’Episode 2. A vrai dire on a un peu l’impression qu’on a zappé un épisode entier, et on ne serait sans doute pas très loin de la réalité.
Il faut dire que Tetsuya Takahashi et développement chaotique, ça va souvent de pair. On ne va pas rappeler ici les aléas du développement de Xenogears et les bizarreries de son deuxième CD. Le vision d’origine de Xenosaga était d’une ambition colossale : sortir six jeux, à raison d’un par an. Le projet était intenable et n’a donc pas tenu. Xenosaga 2 a de plus fait les frais de bisbilles entre éditeur et développeur pour un résultat qui a fortement déçu les joueurs et n’a donc pas vraiment assuré la pérennité de la série. Le troisième épisode, c’est donc le dernier, celui de la dernière chance, celui dans lequel Monolith a dû remâcher et condenser trois à quatre épisodes en une seule conclusion cohérente qui répondrait au maquis presque insondable des innombrables questions laissées en suspens par le début de la série. La tâche était herculéenne, et autant dire que ça et là on voit les coutures : on sent que des éléments manquent ou ont été expédiés trop vite. On peut même déceler assez facilement les grandes transitions entre ce qu’auraient dû être deux jeux différents, voir deux DVDs du même jeu. Mais compte tenu des contraintes, on ne peut qu’être admiratif du résultat obtenu par les équipes de Monolith.
En toute logique, Also Sprach Zarathustra est donc une œuvre d’une densité phénoménale. Dans ces conditions, le retour de la base du données du premier épisode était une nécessité, voire un pis-aller pour donner au joueur occidental les clés de compréhension indispensables contenues dans des médias annexes disponibles uniquement au Japon. C’est le cas notamment des animations en Flash A Missing Year qui développent le Terrorisme Gnosis qui fait le lien entre les deuxième et troisième épisodes, ou du jeu portable Pied Piper qui approfondit grandement l’histoire de Ziggy – cette dernière est d’ailleurs malheureusement la grande sacrifiée de Xenosaga. Chacun pensera ce qu’il voudra de la nécessité d’intégrer un média aussi non-ludique qu’une encyclopédie à un jeu pour comprendre les enjeux de sa trame, mais nul doute que cette colossale base de données est indispensable pour aborder le foisonnement scénaristique de la Xenosaga.
Car c’est une impressionnante profusion de références culturelles, historiques, mystiques et scientifiques revues à la sauce Xeno qui fait une bonne partie du charme de l’œuvre de Takahashi et qui constitue le socle incontestable du scénario du jeu. Certains n’ont d’ailleurs pas manqué d’accuser la démarche d’être prétentieuse et d’abuser d’une imagerie religieuse gratuite, des critiques le plus souvent assénées sans démontrer une énorme compréhension autant des enjeux de l’univers de Takahashi que du matériau qui lui a servi de base. Même si le créateur de la Xenosaga ne le fait pas toujours avec une grande finesse, il est indéniable qu’il a un vrai talent pour jongler avec d’innombrables référents culturels et les utiliser à bon escient pour servir son propos. Ce foisonnement est un des éléments incontournables de la richesse des univers qui se réclament de la « touche » Xeno. Mais il n’est pas non plus le seul…
En effet, réduire la série de Monolith à un simple alignement de références obscures et complexes serait grandement réducteur. Si Monolith a redoublé d’efforts pour construire méticuleusement un tel univers de science-fiction, c’est pour le peupler d’une galerie de personnages qui constituent à mon sens le cœur et l’âme de la série. En effet, si on oublie un instant les grands principes inspirés par le gnosticisme et la philosophie nietzschéenne, Xenosaga est avant tout une grande épopée de space-opéra, entretenue par la lutte entre individus, entre factions, entre philosophies… A vrai dire, on peut certainement prendre un pied monstrueux à faire la série sans chercher à comprendre ses grands principes métaphysiques.
Chacun des personnages, amis comme ennemis, voit ici la conclusion d’une évolution personnelle très riche qui aura déjà bien commencé pendant les deux premiers épisodes. A la fin d’Also Sprach Zarathustra, chacun aura fait face à son destin pour le meilleur et pour le pire, souvent avec panache et non sans convoquer quelques émotions chez le joueur. La fin du jeu offre ainsi un sentiment de clôture tout en ouvrant de nouveaux horizons et de nouveaux défis aux survivants du casting. Une manière de continuer à faire vivre les personnages dans l’esprit du joueur tout en répondant à une très grande majorité des innombrables questions posées pendant près d’une centaine d’heures de jeu en cumulant les trois épisodes.
Si Xenosaga 3 assume et gère avec brio son foisonnement narratif, il a aussi le bon goût de simplifier le gameplay inbuvable du deuxième épisode. Premier bon point, les combats sont plus courts. Plus besoin de passer un minimum de dix minutes sur chaque malheureux groupe de mobs. Les quantités de HPs des adversaires redeviennent raisonnables, et ça se sent. Même si le jeu retombe un peu dans les travers de son grand frère sur la fin, la majorité d’Also Sprach Zarathustra est ainsi bien plus agréable à jouer.
Deuxième bon point, le système de Boost revient inchangé et le système de Break a été grandement simplifié. Une jauge remplace maintenant les enchaînements d’attaques aux propriétés obscures et l’accumulation autiste de points de Stock. Une fois que cette dernière est pleine, l’ennemi (ou le personnage de l’équipe), ne peut plus agir pendant trois tours et mange coup critique sur coup critique. Il s’agit là d’une alternative qui offre de la richesse stratégique aux combats : il faut savoir jongler entre attaques classiques et attaques de Break au bon moment, tout en prenant aussi garde aux deux niveaux de santé des personnages de son équipe.
Troisième bon point, le système d’évolution se fait lui aussi plus digeste. On dira adieu sans trop de regrets à l’accumulation ubuesque de Skills et d’Ethers du deuxième épisode. De toutes façons, même en étant généreux, on ne savait pas bien à quoi servaient les trois quarts d’entre eux. Ici les choses sont simples : chaque personnages a accès à deux arbres de progression correspondant chacun à un rôle en combat, des classiques tank et healer aux variations qui trouvent leur sens dans le gameplay du jeu – par exemple, l’attaquant qui se spécialise dans les dégâts de Break. Dans chaque arbre de progression sont mélangés des augmentations de caractéristiques, des Ethers et des Techs appropriés pour chaque rôle. Chaque personnage a donc une utilité bien définie en combat, tout en gardant une marge de personnalisation : trouver certains objets cachés dans les donjons permet en effet aux membres de l’équipe d’apprendre des compétences « hors cursus ». Xenosaga 3 réussit donc à offrir un système de combat efficace et stratégique sans s’encombrer d’une montagne de complications inutiles. Même les coups spéciaux spectaculaires du premier épisode reviennent par le biais d’attaques stylées qui consomment des unités de Boost mais qui offrent un bonus d’XP, de points de compétences et d’argent si elles sont utilisées pour achever un ennemi.
Mais la grande réussite du gameplay de l’Episode 3, ce sont incontestablement les combats en méchas. Le sentiment de puissance qui se dégage des phases de pilotages d’ES est grisant, et ce en grande partie grâce à leur mise en scène. Les robots géants virevoltent, assènent des grands coups de vibrolames, larguent des volées de missiles, enchaînent des combos, explosent dans de grandes gerbes de flammes et de tôle froissée… On retrouve ici les coups spéciaux qui font des tonnes de dégâts et le tout est mis en valeur par une interface futuriste du meilleur goût. Bref, l’ambiance est totale. Ici, pas de progression par l’apprentissage : non, on customise. On change de blindage pour augmenter les HPs, on installe un réacteur plus puissant qui donne accès à plus d’énergie, on modifie la programmation de son ordinateur de bord pour se prémunir de certains types d’attaque ou bénéficier d’effets bénéfiques, on adapte sa sélection d’armes en fonction de la consommation et de la puissance de chacune… Bref, on fait des trucs cools.