Rencontre avec Hironobu Sakaguchi

Avant l’interview à proprement dit, un petit trailer réalisé spécialement pour l’occasion :

JulienC : Première question que j’aurais envie de lui poser est : Depuis quelque temps maintenant, en le suivant un peu sur son compte twitter, j’ai remarqué qu’il était très souvent présent en France. C’est un pays qu’il apprécie tout particulièrement ? Qu’est-ce qu’il retrouve chez nous ?

M.Sakaguchi : C’est vrai que je viens très régulièrement à Paris, tous les ans même, avec ma famille. Je ne viens pas qu’à Paris, je fais un tour d’Europe, mais ce n’est pas forcément pour y faire des reportages, ou des inspections au préalable. Je pense que ma fréquence en Europe se ressent dans la ville de Lazulis, par exemple, de The Last Story.

JulienC : Avant de parler de diverses créations, commençons par la genèse : Comment s’est passé le début de carrière de M. Sakaguchi ? On sait qu’elle a commencé au Japon, sur la Famicom. Est-ce qu’il peut nous raconter ses débuts et premiers pas dans le domaine du jeu vidéo chez Squaresoft ? C’était il y a maintenant quelques années.

M.Sakaguchi : Ce sont des choses qui remontent à 25 ans. Mes premiers débuts chez Squaresoft étaient sur PC. Mon premier jeu s’appelait The Death Trap, et puis, j’ai fait un certain nombre de jeux toujours sur PC qui n’ont pas forcément très bien marché. On s’est ensuite lancé sur Famicom. Ma première œuvre sur Famicom était King’s Knight, et honnêtement, je peux le dire aujourd’hui, c’était vraiment pas bon. Je me disais que je ne devais avoir aucun don pour faire des jeux, alors j’ai fait une dernière tentative. On ne sait jamais. « Si jamais je me plante, j’arrête ». C’est à partir de là que le nom Final Fantasy est né. L’anecdote est connue, vous la connaissez très certainement. Cela fait maintenant 25 ans que je perdure, donc ça n’a pas trop mal marché quand même.

Il s’agit certes du premier jeu de M.Sakaguchi, mais également le premier jeu de Squaresoft, qui s’appelait Square Co. à l’époque. The Death Trap était un jeu d’aventure textuel à l’occidental, c’est-à-dire que la progression est composée d’écrans fixes et qu’elle nécessite de taper les commandes permettant d’avancer. Un peu à l’image de beaucoup de jeux occidentaux tels que SRAM ou Conspiration sur Amstrad.

Même si l’esthétique du jeu laisse penser qu’il s’agit d’un RPG, il n’en est rien : The King’s Knight est un shoot, vertical qui plus est. Le joueur y incarnait un des quatre héros décidés à sauver la princesse Claire, kidnappée par un dragon.

A noter que le jeu a été décliné sur de multiples supports comme le MSX, le PC-8801 (de NEC) et le Sharp X1.

JulienC : Avant de faire cette dernière tentative, Final Fantasy, il y a eu une collaboration avec Nintendo, comme aujourd’hui finalement, avec The Last Story, mais la toute première était un petit peu particulière, est-ce qu’il peut nous parler du concept de ce jeu un peu étrange ?

M.Sakaguchi : Effectivement, j’ai travaillé sur un jeu qui a été édité par Nintendo à l’époque où j’étais encore chez Square. Ce jeu, je ne pense pas que beaucoup de gens le connaissent : Nakayama Miho no Tokimeki High School. C’est un jeu d’aventure textuel, mais qui avait une originalité : c’était que, pendant l’aventure, il y avait des numéros de téléphone qui apparaissaient à l’écran. Et quand on appelait ces numéros, on avait la voix de l’actrice Nakayama Miho – une actrice connue et très belle au Japon – qui vous donnait des informations et indices afin de poursuivre l’aventure. C’était un concept assez original. Et ce qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui, Nakayama Miho habite à Paris et à l’époque de Square, tous les cadres de Square ont pu diner avec elle, la rencontrer, etc… et moi qui étais Producer, je n’ai même pas pu la rencontrer une seule fois. Je suis vraiment dégouté…

JulienC : Cela va peut-être se produire ce soir.

Sakaguchi : Si elle est là, qu’elle se montre.

JulienC : Où es-tu ?!

(rires)

Classé comme « Aventure game » au Japon, autrement dit jeu d’aventure textuel, Nakayama Miho no Tokimeki High School est sorti en 1987 sur Famicom. On y dirigeait un jeune lycéen, fraichement arrivé au Lycée, et qui semble reconnaître l’idole Nakayama Miho.

Le jeu avait pour lui de nombreux éléments assez précurseurs à l’époque tels que l’utilisation d’une idole dans un jeu textuel, la possibilité d’appeler un numéro pour progresser (In Memoriam ?) ou encore l’utilisation du Fax System du Disk System pour publier ses scores en ligne.

Un petit trailer commercial :

JulienC : A cette époque, lors de cette collaboration avec Nintendo, il y avait un personnage hautement charismatique, c’était le président de Nintendo, Hiroshi Yamauchi. Il impressionnait tous les membres de Nintendo. Et je crois justement que M.Sakaguchi, à cette époque, l’avait croisé dans des conditions un peu particulières une fois de plus…

M.Sakaguchi : Oui, effectivement, M.Yamauchi, ce n’est plus un secret pour personne : c’était quelqu’un d’extrêmement impressionnant avec un charisme hallucinant. Je me souviens, à l’époque où l’on développait Tokimeki High School pendant les derniers mois du développement, je me suis retrouvé à Kyoto, dans le headquarter de Nintendo. Mon studio se trouvait au premier étage, là aussi où se trouvait également le bureau de M. Yamauchi. Je n’ai pas compris tout de suite, mais il y avait des toilettes à cet étage, des toilettes que personne ne voulait utiliser. J’ai compris plus tard que c’était ceux qu’utilisait le président Yamauchi. Et il faisait tellement peur que tout le monde voulait éviter de se retrouver seul, avec lui à côté, à faire pipi aux toilettes. Donc tout le monde allait aux étages supérieurs. C’est ainsi que je me suis retrouvé, une fois, seul avec lui, et je crois que je n’ai jamais eu aussi peur en faisant pipi. C’était très impressionnant…

JulienC : Nous allons désormais parler de ces grands jeux qui ont façonné la carrière de M. Sakaguchi. Final Fantasy, Lost Odyssey, The Last Story aujourd’hui. Il y a toujours une connotation de dernière fois, de dernier espoir. Un truc quelque peu définitif. Pourquoi retrouve-t-on cette détermination « jusqu’au boutiste » ?

M. Sakaguchi : Oui, ma fille aussi m’a fait la même réflexion. Elle m’a dit « Entre Final Fantasy, Lost Odyssey et The Last Story, pourquoi t’es pas capable de trouver d’autres noms que ça ? » Ca m’a un peu choqué qu’elle me dise ça de cette façon. Pour mon prochain, je ferai autre chose !


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  1. Franchement, je tire mon chapeau sur ce compte-rendu. Très intéressant, très complet, très instructif. A se demander pourquoi tous les CR d’events ne se présentent pas sous cet aspect complet et instructif (le décor, buffet et le goût du champagne, ça nous avance vachement quand même).

    Bon, par contre, c’est à se demander ce qu’on peut faire de cette paumée qui a osé poser la question interdite. Faut-il la pourchasser dans la nuit avec les fourches traînant dans les vieilles bicoques de jardin ou la brûler vive ? Pas que le côté remake de FFVII me dérange tant que ça (oh que si en fait) mais autant poser la question à la personne concernée par la chose ^^ »

    1. Oui, j’ai préféré me concentrer sur les dires du monsieur… faute de buffet et de champagne…
      Et heureusement qu’il n’y en avait pas d’ailleurs : moins c’est bling bling, mieux c’est. 🙂

      J’aimerais souligner la réponse de M.Sakaguchi à la dernière question, qui bien que totalement à côté de la plaque, a eu le droit à une réponse extrêmement polie et sérieuse. Certes, il était là pour faire de la promo mais je ne suis pas persuadé que d’autres réalisateurs/directeurs/producteurs auraient tenu pareille réponse. ^^

      1. Ouais, ni champagne, ni petits fours, ni places assises d’ailleurs. C’est pas que c’était organisé avec les pieds, mais on n’en était quand même pas trop loin.

        En tous cas, excellent compte-rendu Vidok. Bon, bien sûr pas vraiment de nouveautés par rapport à ce que j’avais déjà entendu du discours de Sakaguchi, mais un travail très sympa de complément et de documentation pour approfondir le truc, à la manière ce que tu avais fait pour l’interview d’Eric Chahi et de Jehanne Rousseau aux Utopiales. Personnellement, j’aime beaucoup la formule : c’est simple, ça reste fidèle à la rencontre, mais tu apportes une valeur ajoutée.

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