– Archaic : Bonjour Aleksi, vous avez déjà abordé votre CV lors de la soirée Remember Me, mais pourriez-vous nous en reparler pour nos lecteurs ?
– A.B. : Je vais essayer de faire une version courte, plus orientée jeux vidéo pour Archaïc. Je suis à la base illustrateur. J’ai découvert, par hasard, le domaine du jeu vidéo lors d’un salon alors que je cherchais du travail. Je suis arrivé devant le stand Cryo, j’ai vu des dessinateurs présenter leur boulot, et là, révélation : dans l’univers du jeu vidéo, il faut tout créer en amont, en 2D, avant de passer à la modélisation, ce qui m’allait bien. Du coup, j’ai postulé chez Cryo, où j’ai décroché mon premier job. Je suis ensuite passé chez Kalisto Entertainment, où je suis resté 2 ans et demi. J’ai dû bosser sur une douzaine de projets. Aucun ne s’est fait, dommage pour moi mais c’était très formateur. Cela m’a un peu fait enrager, ce qui m’a amené à repasser en free-lance. J’ai bossé par la suite sur différents projets comme Asterix & Obélix, des jeux à licence comme VIP Starring Pamela Anderson, des jeux plus intenses comme Dark Earth, des concepts de jeux type Survival, … Bref, c’était assez large. J’ai travaillé pour Darkworks, sur le jeu Cold Fear, distribué par Ubisoft ; j’ai eu des missions pour diverses boîtes : j’ai bossé pour NC Soft, pour Ubisoft, à nouveau, sur Splinter Cell : Double Agent ou encore Haze. Puis, de rencontres en rencontres, ça m’a amené à monter le studio Dontnod Entertainment, avec d’autres associés, et amis.
– Archaïc : Des associés, en partie, rencontrés justement aux Utopiales, non ?
– A.B : En effet, en particulier Alain Damasio, dont la rencontre est assez amusante. En gros, ma sœur qui était bibliothécaire à l’époque, qui travaille dans l’édition maintenant, qui est traductrice-correctrice et qui lit un peu de tout, m’avait dit qu’elle s’était pris une grosse claque avec le roman « La Horde du Contrevent ». Un petit bijou que j’ai découvert, ensuite, à mon tour, avec notamment ce travail absolument incroyable sur le langage, en plus de nombreux autres points qui m’ont séduit. Puis, au cours d’une session des Utopiales – je ne sais plus laquelle – j’ai appris qu’Alain Damasio était là. J’ai alors demandé à quelqu’un de me le montrer de loin, pour voir un petit peu « l’animal ». Je n’avais même pas forcément envie d’aller lui parler, c’était juste de la curiosité. La personne en question a été un peu vite en besogne : elle est allée le chercher et me l’a ramené, au bar. Voilà, première rencontre, à écluser des bières. (rires) On a ensuite gardé contact. On a parlé de différents projets qui n’avaient aucun rapport avec le jeu vidéo, on en a d’ailleurs entamé certains. Et quand j’ai avancé avec mes autres associés sur notre projet de jeu vidéo, on s’est dit que ce serait pas mal d’avoir un scénariste dans l’équipe. On a alors rencontré Alain, l’idée l’a séduit et il nous a rejoints. Mais en tant qu’associés, notre tâche au sein de Dontnod dépasse le simple cadre d’illustrateur ou de romancier, il y a aussitôt eu un côté « entreprenariat » assez pronconcé.
Jean-Maxime Moris, notre directeur créatif du studio, a fait un calcul la première année : lors de la montée du studio, on a passé un tiers de notre temps en recrutement et entretiens d’embauche. Le but n’était pas d’être sévère ou difficile, mais de trouver des personnes pouvant travailler en équipe. Nous sommes actuellement 64 chez Dontnod. Ca semblait important de s’entourer des bonnes personnes, dont Alain fait partie.
Autre rencontre intéressante aux Utopiales : celle de Michel Koch, lui aussi directeur artistique sur Remember Me. Il était, à ses débuts, illustrateur free-lance, il nous a rejoint sur Remember Me et il est désormais complètement dédié à Dontnod. A l’inverse de moi qui essaie de développer d’autres projets personnels, qui me tiennent à cœur, tout en restant rattaché à Dontnod. Notre rencontre s’est donc faite aux Utopiales, où il m’a présenté son book. Je lui en ai depuis parlé : à l’époque, malgré des choses intéressantes, j’étais moyennement séduit. Je l’ai recroisé lorsque nous avons commencé A-Drift et suis retombé sur son book, où son style avait progressé de manière impressionnante. En bossant avec lui, j’ai réalisé que nous avions beaucoup de goûts en commun, avec pas mal de centres d’intérêt identiques. Tout en conservant des différences, pas antinomiques, pas en opposition, mais plutôt complémentaires. Une autre belle rencontre, donc, des Utopiales.
– Archaïc : En parallèle de votre travail, êtes-vous joueur ?
– A.B. : Le truc rigolo, c’est que j’ai énormément travaillé pour le jeu de rôle papier et le jeu de cartes Magic the Gathering, où je suis encore maintenant un des artistes principaux. Je n’ai pourtant jamais joué aux cartes Magic et n’ai jamais fait de partie de jeu de rôle, même si je côtoie beaucoup d’amis joueurs de jeux de rôle, ou de cartes, même professionnels. Dans le jeu vidéo, je ne suis pas un très bon joueur, mais je joue beaucoup plus maintenant. Je suis loin d’être un hardcore gamer, je joue par petites périodes. Ça m’est notamment arrivé pendant la production de Remember Me, de jouer à certains jeux en étant en mode Recherche & Développement, voire veille technologique. A tel point que je n’arrivais plus à apprécier le jeu. Je m’en suis rendu compte lorsqu’après plusieurs heures, j’étais encore au début, que je n’avais rien enregistré de l’histoire et de mes objectifs, la faute aux nombreux mails que j’envoyais à mes collègues à chaque nouvelle idée à laquelle le jeu me faisait penser. C’était limite dangereux tant je gambergeais alors que j’étais tranquillement chez moi.
Récemment, j’ai joué à Far Cry 3, que je dois finir, car mis en pause sans trop de raison. J’ai vraiment adoré tout le début et y ai trouvé plein de trucs intéressants. En parallèle de son côté open world, il y a une petite réflexion qui m’intéresse – à moins que ce ne soit moi qui extrapole, quoique je pense bien qu’elle doit quand même être dans la réflexion des développeurs – c’est le rapport à la violence et le fait de faire justice soi-même. Dans la plupart des jeux vidéo, même si c’est un FPS, il y a souvent une communication visuelle autour du personnage. Prenez Dishonored, même si on ne voit pas le héros, il reste l’un des axes de communication au travers de son masque, mis en avant. Dans Far Cry 3, le grand méchant ressemble au personnage principal, mais tout en étant différent. On dirait une sorte de projection… mais je dois encore le finir pour voir jusqu’où les développeurs sont allés et voir si cette idée est vraiment développée. A côté de cela, je me suis mis à Mirror’s Edge, avec un rapport amour/haine assez particulier : je ne le trouve, en effet, pas très bien réglé. Le but principal est le mouvement, le « parkour », où il faut éviter les armes à feu. Cela donne des phases de jeu un peu exotiques offrant un rythme intéressant ; mais je n’ai pas du tout apprécié le fait qu’on nous inculque dès le début l’art d’aller vite, d’esquiver et d’être furtif alors qu’il y a des portions où la seule possibilité de sortie est d’affronter physiquement un vigile. Moi, j’aurais aimé passer 15 minutes à chercher une voie alternative pour lui échapper. Même en termes de difficulté, je le trouve mal calibré. Je n’apprécie pas le fait que l’on meurt très souvent, que le jeu soit punitif même en mode normal… bon je vais peut-être vous laisser parler. (rires)
– Archaic : (rires) On sent de la passion dans votre réponse !