Archaic : Si, en plus de rejoindre notre question suivante : Qu’est ce que l’expérience Remember Me vous a appris ?
– A.B. : Les points positifs de l’expérience : le fait qu’on soit arrivé jusqu’au bout, qu’on ait finalisé le jeu. Je suis fier de ce que l’on a fait, en ayant tout de même conscience qu’il y a pas mal de défauts, qu’il y aurait des choses à changer, à améliorer, pour un deux ou… plutôt pour un autre titre… voire un de nos prochains projets… On en a conscience : il y a beaucoup de points sur lesquels nous savons désormais comment travailler. Il y a cependant le défi technique de travailler sur les nouvelles consoles qui est là. Cela amène de nouveaux outils… Je reprendrai l’exemple de Naughty Dog, studio avec lequel on a eu quelques petits échanges. Ils ont fait un boulot absolument dément sur leurs titres. Ils totalisent plus d’une quinzaine de jeux répartis sur trois ou quatre consoles : un sacré background. Mais avant d’atteindre le niveau d’un Uncharted, ils ont d’abord monté le studio et ont réuni une équipe. Des personnes se sont retrouvées à travailler ensemble sur un, puis deux, puis plusieurs jeux. Même s’il y a turn-over, ils ont désormais un pipeline, un process et une organisation qui fait que chaque corps de métier sait comment répondre aux autres. Tout cela est extrêmement important dans un travail collectif tel que le jeu vidéo. Pour Uncharted, ils ont débuté leur aventure au début du cycle de vie de la console. Une fois le premier épisode bouclé, ils ont enchaîné directement sur le même jeu, même univers et même personnage, éléments auxquels les joueurs ont commencé à s’attaché, sur lesquels énormément de choses ont été développées, ce qui amène moins de travail. Ils ne sont pas repartis ex nihilo, ils peuvent ainsi se permettre d’affiner les choses et de pousser leurs idées plus loin. Ils ont enchaîner Uncharted 3 : L’illusion de Drake et The Last of Us, toujours sur la même console, donc même type de technologie. Ils ont ainsi appris à pousser la console, à l’appréhender, à s’accaparer la machine. Tout cela, pour dire, que nous, nous avons dû tout apprendre et faire en même temps avec Remember Me. A l’heure actuelle, la suite de Remember Me n’est pas d’actualité, et vu que l’on passe sur de nouvelles consoles, il y a une phase de réappropriation et d’apprentissage ; mais nous n’aurons pas tout à mettre en place : nous allons pouvoir affiner ce que nous avons appris de notre premier développement. Mais ce genre de démarche existe aussi dans le cinéma, prenez l’exemple de la trilogie X-Men de Bryan Singer ou encore celle des Batman dernièrement. A chaque épisode, ils ont pu aller plus loin car les volets précédents dessinaient déjà une ligne directrice et avaient débroussaillé beaucoup de choses.
– Archaic : Remember Me est en effet le premier jeu d’un nouveau studio français, développé en France. Quelles sont les difficultés de créér un studio de jeux vidéo AAA en France ?
– A.B. : Combien il y a-t-il de studios français faisant des AAA ? Si vous comparez avec les chiffres à l’international, il y a un gap. Il y a désormais une différence de plus en plus énorme entre les titres super musclés – en termes de production, d’équipe et de budgets – et les autres jeux. Le décalage était bien moindre il y a une dizaine d’années. Il y a même certains jeux qui ont maintenant l’appellation AAAA, comme si cela ne suffisait pas. Cela devient tellement énorme… Ce phénomène est également présent dans l’industrie du cinéma, à Hollywood, et même l’industrie du film en France, où c’est de plus en plus difficile de réaliser une oeuvre avec un budget intermédiaire. J’ai des amis issus du monde du cinéma français qui m’en parlaient : Il est possible de monter un budget de 60 millions d’euros, budget conséquent, avec des têtes d’affiche ce qui rassure les producteurs qui vous suivent donc sans problème. A l’inverse, vous pouvez monter un budget de 2 à 6 millions d’euros sans trop de problème. Par contre, il est beaucoup plus difficile d’en monter un de 6 à 20 millions, où la prise de risque paraît moindre, mais comme vous n’avez pas de gros acteurs ou actrices garantissant un minimum de rentabilité, les producteurs sont plus rétissants.
Pour en revenir au jeu vidéo, il semble qu’il y ait également ce décalage de plus en plus énorme. La technologie avance, il faut davantage de moyens si vous désirez jouer dans la cour des jeux réalistes. La course à l’hyper-réalisme nécessite plus de travail de modélisation, plus d’acuité au niveau des animations, du moteur, des rendus, … Pour en revenir à votre question : oui effectivement, c’est compliqué de développer du AAA en France, mais pas infaisable. C’est juste une sacrée bataille…
– Archaic : L’après Remember Me : le jeu est disponible, quels sont vos projets ?
– A.B. : Remember Me a été terminé en février 2013, il est sorti en juin. Il y a eu un énorme travail en terme de marketing/communication. Nous avons donc essayé de faire ce que nous pouvions pour porter le jeu, afin qu’il ait davantage de visibilité. Ce fut une belle bataille. Autant cela s’est plutôt bien passé en France, étant donné que nous sommes français et en France, moi ayant une petite visibilité d’auteur, Alain Damasio également, autant sur la scène internationale, cela ne s’est pas passé du tout pareil. Il y avait beaucoup de gens qui n’avaient jamais entendu parler du jeu. Cela dépend certes du budget de la couverture presse, mais aux Etats-Unis, par exemple, je connais pas mal de personnes de l’industrie qui ne connaissaient pas Remember Me, cela a nécessité énormément de travail. Mais est arrivé un moment où le bébé lâché, après plus de sept ans de travail – le studio a cinq ans – des dernières lignes droites épuisantes et la tête pleine de souvenirs de développement, nous avons lâché prise et nous nous contentés de regarder ce qu’il se passait. Il y a alors énormément d’émotion, et à ce moment-là, je pense que la meilleure chose à faire est de se remettre en selle et d’enchaîner sur la suite. Ce n’était pas notre stratégie mais cela s’est fait naturellement. Donc, là, nous sommes effectivement sur de nouveaux titres, mais je ne peux rien dire, sinon je vais me faire taper par pas mal de gens… (rires)
Archaïc : Merci beaucoup Aleksi. Nous vous souhaitons une bonne continuation chez Dontnod en attendant de découvrir vos nouveaux projets.