Enfermez-vous dans une pièce, seul(e), éteignez-les lumières, branchez le casque, et (re-)plongez avec nous dans le macabre univers des survival horror. De façon occasionnelle, Mizakido et Vidok vous proposent de revenir sur un titre, dans une ambiance décontractée, pleine d’anecdotes, de tranches de vie et d’infos en tout genre. Chaque jeu sera choisi par l’un des deux rédacteurs et chacun devra justifier de son choix, certains, vous le verrez, seront des plus exotiques… Attention, âmes sensibles s’abstenir, ça va gicler.
Sources de plusieurs images : l’excellent Silent Hill Wiki
Vidok : Silent Hill… quel classique. Alors que Resident Evil a démocratisé le genre, Konami s’est permis de proposer une autre voie. Osée. Qu’est-ce ce qui t’as redonné envie de t’y plonger une nouvelle fois ?
Mizakido : Une petite crise de masochisme. La série des Silent Hill fait partie de celles que j’aime détester, et qui, par une raison que j’ignore, arrive encore à s’amuser avec mes nerfs avec un niveau d’oppression maximal. Du moins c’est une des séries qui me fait le plus cet effet. Avec les Project Zero. Mais sans m’enfoncer dans ma psyché foutrement torturée, je considère Silent Hill premier du nom comme une révolution dans le genre du survival horror. Car en plus d’aller taper efficacement dans les parties intimes de Capcom et son Resident Evil, les équipes de Konami CE Tokyo sont en effet arrivées à proposer autre chose qu’une plus ou moins bonne inspiration du jeu produit par Mikami, en lançant un univers torturé et une série qui tourne et vend encore aujourd’hui. Ce premier épisode aura également permis de révéler auprès des joueurs deux talents quasiment inconnus à l’époque et membres de la fameuse Team Silent : Akira Yamaoka au son et Keiichiro Toyama à la création. Un duo démoniaque que Konami n’a pas su garder.
▼▲ Silent Hill, c’est avant tout une histoire de jaquettes toutes aussi dérangeantes les unes que les autres.
▲ Frissons. Encore et toujours. Bordel cette mandoline ! Excellent travail pour cette restauration en 4K.
▼ Le jeu aura le droit en 2001 à une version Game Boy Advance, sous forme d’un visual novel.
Vidok : Akira Yamaoka a en effet explosé aux yeux du monde avec ce titre. Dès l’introduction, déjà, son talent nous éclabousse, grâce à cet inoubliable thème à la guitare. A la fois mystérieux et torturé, il incarne à la perfection l’image qu’envoie Silent Hill, et instaure en quelques secondes à peine après l’allumage de la console, un climat de malaise, qui ne cessera de s’amplifier au fil du temps. Cette musique nous montre l’arrivée sur Silent Hill d’Harry Mason, accompagné de sa fille Cheryl. Ayant perdu sa femme, Harry élève seul Cheryl, leur unique enfant, adoptée sept ans auparavant, perdue près de la bourgade de Silent Hill. Justement, la gamine supplie son père d’y retourner, en vacances. Étrange : ses parents adoptifs n’ont jamais abordé le nom de la ville avec elle. Décidé à élucider ce mystère tout en faisant plaisir à sa fille, Harry l’y emmène. La route est longue, il fait nuit. Seule une motarde, flic, a croisé la voiture. Soudain, une silhouette apparaît, Harry fait une embardée. Il se réveille plusieurs heures ensuite, le jour se lève, Cheryl a disparu. Le voilà à l’orée de Silent Hill à la recherche de sa fille… Dès la manette prise en main, au moment où les barres noires disparaissent de l’écran, synonyme de premiers pas, des frissons envahissent n’importe quel joueur. L’entrée en matière du titre en a laissé plus d’un sur les fesses. Il faut savoir que la ville, totalement embrumée, fait très vite place – suite à un coup de sirène – à un monde sombre où tous les environnements sont altérés. Des grillages remplacent les murs, les meubles deviennent délabrés, des cadavres apparaissent à chaque coin de porte. Des monstres, aussi, font leur apparition. Harry est perdu… et se réveille dans un café. What the fuck, dirait-il s’il était de la génération actuelle. En tout cas, c’est ce que je me dis en découvrant cette entrée en matière frôlant le génie. Le pire dans l’histoire, c’est que ce n’est vraiment qu’un début…
Mizakido : Oh que oui ! A l’époque, Silent Hill a fait l’effet d’une petite bombe médiatique, au point de finir dans notre journal local (i.e. le Sud-Ouest), prônant l’interdiction du dit jeu dans nos chaumières, comme l’avait été, plus nationalement, Grand Theft Auto premier du nom ou Carmageddon. Il faut dire que par rapport à Resident Evil, qui mise davantage sur la surprise et quelques trucs mutants gores et purulents – et qui le fait bien, le jeu de Konami se penche sur l’aspect psychologique, en tapant aussi bien sur le joueur que le joué avec une ambiance pensante, un visuel cauchemardesque et surtout, une bande son à glacer le sang de n’importe qui. A ma connaissance, aucun autre jeu ne s’était aventuré dans les terres de l’épouvante sur autant de fronts, de manière aussi machiavéliquement distillée, et ce, en continu. Ceci n’est pas sans rappeler un certain Ring, le célèbre film d’épouvante japonais, sorti à la même époque, et qui partage un traitement similaire de la terreur chez le spectateur. Konami s’est cependant ici exporté vers une petite bourgade américaine, en apparence tranquille sous tous rapports, mais éprise d’une malédiction bien occidentale et fortement sataniste. Il est intéressant de noter que le jeu a subi quelques modifications pour son passage en Europe. La censure a en effet estimé que les monstres que l’on rencontrait dans l’école (les “Grey Child”), dans la version américaine (la première sortie), s’apparentaient beaucoup trop à des enfants que nous avions la possibilité de tuer, et ils ont donc été remplacés (après apparemment quatre essais) par les écorchés griffes que nous pouvons voir aujourd’hui. Si vous avez un Metal Gear Solid sous le coude, il suffit de lancer la démo qui était fournit avec pour avoir un bon aperçu de la dite différence, aussi bien visuelle que sonore… Brrrr ils font encore plus flipper. Bref, un autre parti pris risqué assurément, tout comme celui de proposer une aventure non pas dans un environnement clos, fait d’écrans fixes, mais bien d’une ville entièrement modélisée en 3D. Tout, ou presque, y est, disposés à des endroits volontairement éloignés : une supérette, une école, un hôpital, un parc d’attraction… Tout un tas de lieu différents à explorer, et qui rappelleront à beaucoup de bons et surtout de mauvais souvenirs. Saletés d’égouts.
▲ Lisa Garland est une des seules personnes que l’on sera content de (re)rencontrer dans l’hôpital.
Vidok : L’hôpital pour ma part. J’en frémis encore. Il faut dire que malgré sa technique chancelante, Silent Hill réussit le tour de force de suggérer énormément. Les décors crades et grillagés, en plus d’être explicitement désagréables, amènent l’esprit vers des contrées cauchemardesques, fortement confortées par un bestiaire tout aussi monstrueux. Chiens mal polygonés, cafards géants ou infirmières bossues au scalpel chatouilleux, ils envoient systématiquement vers des peurs profondes. Loin de moi l’idée de suggérer que l’hôpital est un endroit traumatisant – en fait si – mais la version Silent Hill dérange et inconforte. Ce constat est également valable pour l’école ou encore les égouts, comme tu le soulignes – encore que, je pense que rares sont les joueurs à avoir de douloureux vécus dans les égouts… Konami a réussi l’exploit de dépeindre une ville où aucun lieu ne respire la sérénité. Même les petites bâtisses cachées ou les magasins annexes, pourtant décorrélés de l’histoire, renferment un malaise. Le jeu ne nous laisse que rarement souffler, à vagabonder partout, le regard hagard et surtout la radio frétillante. Particularité très connue de Silent Hill, la radio grésille à l’approche du moindre ennemi. Pratique, mais angoissant. Réflexe : la carte. Toujours, dans un survival horror, lorsque l’on est stressé, une pression sur la carte permet de s’aérer l’esprit. D’autant que celle-ci est, tu en conviendras, plutôt bien faite. Claire et surtout évolutive : tous les évènements s’y notent automatiquement au fil de la progression. Une porte fermée, la voici barrée ; un sol défoncé, une croix rouge apparaît à son emplacement. Tout y est indiqué. Une idée tout simplement géniale qui dénoterait presque avec le reste du jeu tant elle est confortable.
▲ Jusqu’ici tout va bien.
Mizakido : Tout à fait, et elle ne sera jamais de trop pour sortir de ce chaos. Car en plus de cela, là dehors et là dedans, l’obscurité ainsi qu’une faible visibilité règnent en déesses. C’est une autre finesse et un autre point d’originalité du jeu de Konami par rapport à la concurrence. Ainsi, de jour, nous serons plongés dans un interminable brouillard, celui bien gras et compact, saupoudré d’un peu de « neige »… En plein mois de juillet. L’intérêt est double. Tout d’abord, il permet de maintenir un sentiment d’oppression, même en pleine journée, de par la lourdeur de la brume et par le fait qu’un ennemi puisse surgir de n’importe où, avec seulement cinq mètres pour le voir arriver. Ensuite, cette trouvaille permet d’afficher très astucieusement une grosse portion de ville sans sections de chargements intempestifs de la part de la console, qui peut tranquillement respirer et ne pas rougir, à cause de ses limitations techniques, face aux ambitions du jeu pour cette l’époque. Un affreux clipping recyclé en un élément majeur de la série et une bonne référence IRL (personnellement ça fait tilt à chaque petite brume)… Tout juste brillant. La nuit c’est autre chose. Enfin, le clipping est toujours là, mais bien évidement, vu que l’on est plongé dans le noir, il se voit moins. Ici, c’est la lampe de poche qui intervient, toujours dans la même volonté de faire paniquer le joueur à la moindre apparition ou au plus bref des bruits. Dans un autre sens, couper la lumière permet d’esquiver un certain nombre d’ennemis si l’on ne s’en rapproche pas de trop, quitte à rater des objets ou des portes. Pour en revenir aux égouts, mon appréhension de cette partie est très simple : la radio ne bronche pas, les monstres attaquent du plafond, et malgré l’aide de la carte, on doit se taper un dédale labyrinthique diablement étroit, et qui plus est “calmement bruyant”, avec ces ignobles râles de je ne sais quelle créature, en lieu et place de l’habituelle “musique” mécanique et brutale. Une coupure – qui sert à rejoindre la non moins célèbre fête foraine – que oui, j’ai tendance à moins supporter que l’hôpital dans lequel l’on peut s’échapper dans une chambre par exemple. Après, heureusement que l’on est suffisamment armé…
Vidok : Le jeu est en effet assez généreux en termes d’armes à feu, à tel point que les boss – plutôt imposants – se font occire à une vitesse folle. Il faut avouer que le gameplay de Silent Hill encourage à la fuite. Harry Mason étant un péquin moyen, l’utilisation de flingues ou même de barre de fer est loin d’être innée. Cet état de fait se retrouve dans le gameplay au travers de la lourdeur d’exécution des coups. Un brin pataud, Harry a bien du mal à se sortir d’une situation d’urgence, encourageant souvent à déguerpir pour, au mieux, se retourner et répliquer. Il est très loin de la troupe d’élite des S.T.A.R.S. Et c’est ce qui marche très bien dans Silent Hill : ce sentiment d’infériorité face au mal. Les gigantesques lieux à visiter – mis à part les égouts, très cher ami – donnent le vertige, les ennemis arrivant souvent de n’importe où, notamment sur la fin du jeu où leur nombre croît de manière étonnante. Malgré tout, non grâce à cette maniabilité peu instinctive et surtout un Harry aux antipodes du héros que l’on aimerait incarner, le titre de Konami réussit à nous rendre incertains, à nous faire peser le pour et le contre, à nous faire paniquer au moindre chien bondissant, nous faisant nous demander quoi faire dans pareille situation. Tuer ou fuir. Dans tous les cas, l’envie d’en finir et de découvrir le fin mot de l’histoire reste le cœur de notre motivation. Découvrir les motivations de chacun des personnages rencontrés en cours d’aventure, tous plus louches et secrets les uns que les autres, fait partie de l’intérêt du jeu. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le background du jeu permet de réaliser un second épisode dessus (puis finalement, tout un tas d’autres) : les huit ou neuf heures passées sur l’histoire de Harry ne semblant pas suffire pour comprendre toutes les subtilités de la chose.
Mizakido : En effet, une première partie complétée de Silent Hill laisse planer de nombreux points non élucidés, en plus, pour les moins chanceux d’entre nous, une sorte de bouche pâteuse, une déception sans trop l’être, qui invite surtout à relancer une partie et refaire certaines parties du jeu autrement. Un aspect intéressant du jeu de Konami est de proposer différentes fins aux lectures différentes, selon quelles personnes vous aurez sauvé ou non. Vu les nombreuses symboliques présentes dans le titre, cela ne fait pas de mal. La ressemblance avec le premier Resident Evil est flagrante mais l’exécution est toute autre. Il est en effet très facile de rater CES moments clefs du jeu, littéralement au détour d’une ruelle sombre, qui permet au final d’arriver à obtenir « la bonne fin plus plus ». Cela aura été notre cas d’ailleurs… Toujours est il qu’on ne boudera pas notre plaisir pour retrouver cette galerie de personnages psychologiquement torturés, aux passés particulièrement douloureux ou/et monstrueux, et ces grands moments où un des personnages nous quitte d’une manière froide et horrible. Cette écrasante ambiance est d’ailleurs étrangement relevée par, quelques fois, à la conclusion du jeu, un bêtisier très dérangeant, et puis, si vous voulez vous en donner la peine, une quète de soucoupes volantes tout à fait décalée. Que dire, au final, que Silent Hill reste et restera un monument du survival horror, et que si vous ne l’avez jamais fait, vous devez absolument le faire ? C’est l’occasion de (re)découvrir un grand jeu et surtout la pierre fondatrice d’une série au background magnifique qui a frappé Capcom là où je pense, et ce malgré la sortie du second épisode de Resident Evil… Et ça, c’est toujours un régal.
Le Graal de l’horreur.
Mizakido
Terrifiant !
Vidok